Auteur : Jean-Jacques Goldman
Compositeur : Jean-Jacques Goldman
Editée par : J.R.G. / N.E.F. Marc Lumbroso
Version originale
Année : 1987
Interprétée par : Jean-Jacques Goldman
Distribuée par : C.B.S.
C'était un cordonnier, sans rien d'particulier
Dans un village dont le nom m'a échappé
Qui faisait des souliers si jolis, si légers
Que nos vies semblaient un peu moins lourdes à porter
Il y mettait du temps, du talent et du coeur
Ainsi passait sa vie au milieu de nos heures
Et loin des beaux discours, des grandes théories
A sa tâche chaque jour, on pouvait dire de lui
Il changeait la vie
C'était un professeur, un simple professeur
Qui pensait que savoir était un grand trésor
Que tous les moins que rien n'avaient pour s'en sortir
Que l'école et le droit qu'a chacun de s'instruire
Il y mettait du temps, du talent et du coeur
Ainsi passait sa vie au milieu de nos heures
Et loin des beaux discours, des grandes théories
A sa tâche chaque jour, on pouvait dire de lui
Il changeait la vie
C'était un p'tit bonhomme, rien qu'un tout p'tit bonhomme
Malhabile et rêveur, un peu loupé en somme
Se croyait inutile, banni des autres hommes
Il pleurait sur son saxophone
Il y mit tant de temps, de larmes et de douleur
Les rêves de sa vie, les prisons de son coeur
Et loin des beaux discours, des grandes théories
Inspiré jour après jour de son souffle et de ses cris
Il changeait la vie
Graffiti : "Il changeait la vie", un titre vantant les mérites de la pratique au détriment de la théorie ?
Jean-Jacques Goldman : C'est un peu la suite de la première chanson [A quoi tu sers ?], sauf que c'est aussi une apologie des tâches humbles concernant ceux qui changent la vie en faisant bien leur travail. Peu importe le boulot exercé. J'aurais très bien pu prendre l'exemple du journaliste ou d'un balayeur et je crois vraiment que de bien faire les choses, ça change davantage la vie des gens que de belles théories ou de longs discours.
Graffiti : N'etait-ce pas aussi, une façon de respecter les autres et soi-même ?
Jean-Jacques Goldman : (...) Surtout soi-même.
Graffiti : Les idéologies sont belles et bien bannies de nos préoccupations. Désormais il faut agir et ne plus parler n'est-ce pas ?
Jean-Jacques Goldman : Si le vingtième siècle a apporté quelque chose, c'est surtout cette prise de conscience-là. Il y a une phrase qui illustre particulièrement bien l'abstraction et le caractère désuet de certaines théories et qui dit "Du passé, faisons table rase"...
Graffiti : Optimiste, positiviste tu l'es, car n'était-ce pas naïf de penser qu'on puisse influencer le cours du temps ?
Jean-Jacques Goldman : Je crois qu'un bon boulanger dans un quartier, il change la vie des gens de tous les jours. Pareil pour un flic s'il fait son boulot humainement, eh bien, lui aussi il change la vie. Et un prof, alors lui, c'est incroyable, s'il est bon ou mauvais, soit il donnera aux mômes de son lycée le goût de la lecture ou bien il les dégoûtera à jamais. Là encore ça change la vie.
Graffiti, 1987
Xavier de Moulins Beaufort : Changer de vie ?
Jean-Jacques Goldman : Savoir aller contre les évidences. Contre cette épouvantable banalité d'un destin tout tracé, plus par la violence des faits que par une vraie décision. Chercher à infléchir le chemin des victimes les plus exposées. Ce sont les plus belles histoires. Permettre à chacun de trouver sa place. La vraie exclusion n'est plus seulement le chômage. C'est surtout qu'une partie de la population, aujourd'hui, n'est même plus en mesure de travailler. Alors, il y a trois façons pour changer la vie. La première, l'école. La seconde, l'école. La troisième, l'école. C'est la seule solution pour changer la puissance des faits sur l'enfant et l'arracher à l'évidence de sa condition.
Jean-Jacques, le fataliste
Faim de siècle n° 24, février 1996
Jean-Luc Combier : Après toutes les photos d'enfants pour illustrer "Les Mains", vient l'image de leur instituteur auquel tu rends hommage en disant que chaque jour, il change un peu la vie. Ce métier d'enseignant te semble un peu primordial ?
Jean-Jacques Goldman : Je pense que la Révolution avec un grand « R » est là et uniquement là. Après avoir expérimenté la révolution rouge et noire, c'est l'éducation. L'éducation est la seule pratique réellement révolutionnaire. Je n'ai pas l'impression que mes textes me donnent un rôle de professeur mais je peux peut-être donner confiance. En exprimant des opinions qui peuvent sembler cuculs, j'aide peut-être ceux qui les partagent à les trouver moins nunuches. J'ai toujours fortement revendiqué le fait d'être un boy-scout.
Quand la chanson est bonne
Télé Moustique n° 3807, 16-22 janvier 1999
Patrick Simonin : On peut vivre une vie humble et puis avoir des rêves aussi. "Il changeait la vie" : il changeait la vie à sa manière en forgeron. Tout le monde peut bouger comme cela les choses.
Jean-Jacques Goldman : "Il changeait la vie", c'est une chanson spécifiquement anti-révolutionnaire. C'est-à-dire, changer la vie, cela a été un slogan extrêmement usé et éculé, et, en fait, rien n'a beaucoup changé. Mais par contre, effectivement, votre vie, elle change quand vous allez chez le boulanger, si le pain est bon ou s'il n'est pas bon. Cela quotidiennement. Ou si vous avez mal aux pieds quand vous allez chez le cordonnier ou si le cordonnier fait bien son boulot. Ou alors si votre prof de biologie est fort et il vous donne la passion, ou si le prof de biologie est fou et absent. Cela fait des grosses différences dans la vie des gens sur le plan quotidien. Alors, comme la Révolution avec un grand R maintenant, on a quand même un petit doute. En tout cas, sur l'heure où elle va arriver. Alors en attendant, je pense qu'on peut, chacun à son niveau, être un bon présentateur, essayer d'intéresser les gens, essayer de faire des chansons qui puissent intéresser les gens, faire du pain…
Questions à Jean-Jacques Goldman
TV5, 20 novembre 1999
Bertrand Dicale : Par le poids de vos chansons et les valeurs qu’elles défendent, vous sentez-vous être un des personnages de votre chanson “Il changeait la vie” ?
Jean-Jacques Goldman : J’ai l’impression que les trois personnages de cette chanson - le cordonnier, le professeur et le petit saxophoniste - changent la vie au quotidien. Si je suis parmi les gens qui changent la vie, c’est dans le quotidien, avec ma famille, avec les gens qui travaillent pour moi, avec mes musiciens ; mais pas avec les gens qui viennent à un concert ou achètent un album tous les quatre ou cinq ans.
Bertrand Dicale : Ils peuvent écouter cet album tous les jours...
Jean-Jacques Goldman : Je ne pense pas qu’il va leur changer la vie. Il va les encourager dans leur démarche, leur montrer peut-être que d’autres gens peuvent penser comme eux. Mais je n’ai pas l’impression d’être dans la situation d’un prof qui va décider un gosse à sortir de sa condition. Je ne pense pas qu’on puisse changer la vie par une chanson. On peut l’aider à changer.
Goldman : "Une chanson ne change pas la vie"
Le Figaro, le 10 décembre 2001