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L'amour pour (ou contre ?) JJG |
Depuis les troubadours, les vents d'amour restent une inspiration formidable,
transcendante. Il est bien évidemment impossible de se pencher un peu
plus en avant sur la personne de JJG sans s'intéresser de plus près
à sa façon de concevoir l'amour : la force du sentiment en lui-même,
sa place dans ses créations, son utilité véritable, ses
effets sur les choix et modes de vie.
Car Jean-Jacques, comme tout artiste ou presque, s'appuie sur les ivresses de
ces relations à l'autre pour écrire, peut-être pour composer.
Cet homme si discret, si humble et qui se veut, dirait-on parfois, transparent,
révèle sur ses aspirations, et sur ses idées les plus secrètes
ou les moins conscientes, énormément plus qu'il ne le pourrait
jamais autrement.
Essayons, à l'aide des mots qu'ils a rendus parfaits dans nos mémoires
depuis des années, de comprendre un peu mieux ce petit bonhomme, simple
et perfectionniste, effacé mais furieusement volontaire. Nous verrons
que l'amour est tiraillé entre tant et tant d'autres peurs, refus ou
apparences qu'il paraît bien peu aisé de l'y placer.
Au premier abord, et après seulement quelques réflexions, est
mise en évidence chez ce Monsieur une très apparente indépendance
vis-à-vis des autres, une vraie liberté (Je
marche seul). Jean-Jacques affirme pouvoir se passer si nécessaire
de l'être aimé, coûte que coûte !...
Indépendance par ailleurs soulignée dans des attitudes faussement
distantes, notamment, même s'il n'était ici que question de carrière,
quand il dit de Céline Dion quant à la suite de leur collaboration
: "Je n'ai pas besoin d'elle".
Cette indépendance affichée est tout à fait naturelle chez
l'homme ; elle n'entre pas du tout en conflit avec son altruïsme, ou avec
cet attachement aux êtres qui l'entourent dont il ne se cache pas. Elle
est à lier avec ce qui semble être l'idée maîtresse
de la vie pour Jean-Jacques, le moteur principal, la plaque tournante de tous
autres mouvements, pulsions, projets, l'objectif ultime, même inavoué,
et qui travaille de concert depuis toujours avec ses dons et son génie:
l'affirmation de soi.
Sans arrogance ou rêve de pouvoir, sans hauteur, l'affirmation de soi,
pour vraiment vivre, exister d'abord dans sa tête, se sentir présent,
créatif, utile, là, et pour garder cette intensité de vie
obsessionnelle, synonyme de subsistance. Une idée de dépassement
omniprésente dans son oeuvre, et dont le meilleur témoin est son
formidable Au bout de mes rêves,
en lequel tout être humain veut se retrouver. Une envie de dévorer,
d'aller plus loin, excessive chez l'homme, presque désequilibrée,
et qu'il chante dans Là-bas.
L'affirmation de soi envers et contre tout engendre en l'être une certaine
crainte de l'amour, une peur de se fondre et de disparaître en l'autre,
ce qui reviendrait à mourir individuellement. C'est pourquoi Goldman
précise qu'il n'appartient qu'à lui-même, et surtout pas
à son aimée (Appartenir).
Là encore, cette idée est étroitement liée à
celles, déjà mises en évidence, d'indépendance totale,
et de volonté d'affirmation. Jean-Jacques refuserait de trop sacrifier
pour le bon plaisir de l'autre ; il n'irait jamais juqu'à se constituer
sa dépendance, son servant. Il gardera toujours une marge relativement
large de liberté, il s'occupera notamment de son autre amour, inanimée,
moins dangereuse : la chanson. Et bien qu'il ait écrit le second 'French
Album' pour que Céline s'y retrouve, il a aussi très évidemment
parlé pour lui dans Je chanterai.
La crainte de se fondre en l'autre, de disparaître ainsi, est parallèle
à la peur de vulgarisation. Voilà encore un thème toujours
présent chez Goldman, et dont les sommets sont Compte
pas sur moi et Minoritaire. La star
normale accumule les contre-exemples des types et modèles alentour. Ce
gars-là est viscéralement différent. Et même devant
la mort. Quand d'autres se lamentent ou baissent les yeux, il chante en gris
foncé sur son passé, et fait magnifiquement face (En
passant). Il constate que toutes les routes mènent là. Ce
sont des remarques dépitées, mais courageuses. Et avant ce à
quoi l'on ne peut rien, il compte bien vivre
cent vies, suivre les étoiles et les chercheurs d'or (On
ira). Il compte bien remplir sa vie, ces années qui lui resteront,
cette vie qui l'aura fait mourir (Il me restera).
Il est possible d'élargir encore notre compréhension de cette
gêne de l'amour, en considérant la dernière chanson d'amour
que JJG ait écrite (Sache que je)
:
Un amour qui ne laisserait pas de place à l'indépendance individuelle
signifierait la mort. Et l'amour peut être limitatif, en poussant à
ne plus voir "que toi", "mes poèmes", et "mes rimes à moi", à
s'enfermer misérablement dans son admiration de l'autre, mais peut-être
encore plus du sentiment, de l'emportement qu'il peut susciter... car n'a-t-il
pas déjà confié que "c'est l'amour, qu'on aime aimer "?
Il a chanté avec force ce plaisir, ce sentiment qui l'aide encore un
peu à se dépasser, et qui inspire tant de folie dans sa forme
absolue, même si elle est assassine pour le moi (J'taimerai
quand même)...
Mais alors, mis à part le côté "filon d'inspiration", pourquoi
l'amour ? Encore une fois, pour être utile, et exister par là-même.
L'amour, parce que l'on a tant besoin que l'on ait besoin de nous... pour savoir
que nous sommes apparents, importants, nécessaires. "On a tant besoin
d'y croire encore" (Je te promets)...
La chanson d'amour, parce que les gens le font sur les siennes, et il n'a pas
nié que cela lui faisait quelque chose, le flattait en quelque sorte.
Confirmait un peu plus son existence, rendait son rôle un peu plus intéressant
encore, son histoire plus particulière (Autre
histoire)... L'histoire d'un être voulu particulier, humain comme
les autres. Qui aura cherché, poursuivi sans relâche ses limites,
le sens de son existence et ses capacités de création. Dans la
recherche d'un tel absolu, pouvait-on laisser de côté la muse des
siècles par excellence, l'amour universel ?
(c) Florian Cossa
23 avril 1999 Tous droits réservés