Jean-Jacques Goldman : une discrétion bien affirmée

Essais

Jean-Jacques Goldman est d'une discrétion légendaire, et ce depuis le début de sa carrière. Cette caractéristique n'est pas foncièrement calculée, elle relève d'un trait de caractère marqué chez ce personnage réservé.

Qu'il soit occupé par la promotion d'un album ou non, JJG n'indispose pas, n'étouffe pas le public d'apparitions incessantes. Il répète à qui veut bien l'entendre que son travail consiste à écrire, à composer et à chanter, et non pas à parler... Plus que de la paresse ou de la mauvaise volonté, il faut bien voir dans cette déclaration et dans ses attitudes globales face à la presse une appréhension lucide de son rôle d'artiste ("aller parler dans des émissions telles que 7 / 7 consisterait à outrepasser mes compétences de musicien").

Dans le contexte de Jean-Jacques Goldman, la réserve dont il fait preuve peut être interprétée comme une protection devant tous les dangers qu'engendre la vie d'artiste. Il y a peut-être un peu de ça... Mais la biographie de Jean-Jacques laisse entendre que le compositeur de Je te donne n'aura pas attendu le succès pour adopter cette attitude. Ses anciens professeurs ne se souviennent que très vaguement de lui, il avoue avoir eu une enfance sans histoire, et ne fut la plupart du temps pas à l'origine des groupes dans lesquels il jouait. JJG n'est qu'une ombre dans la foule, un simple passant et le revendique pleinement.

Pourtant ses chansons délivrent un "message" a priori paradoxal. Dans ses textes, JJG fait l'apologie de ces identités bien constituées, qui, jour après jour, changent la vie (l'infirmière de Juste après, le cordonnier d'Il changeait la vie...) En plus de ces rôles sociaux très précis, il encourage la prise en charge personnelle et la constitution de personnalités propres par des moyens tels que l'imaginaire (Petite fille), la culture et l'utilisation de moyens légaux (Envole-moi). A son propre sujet, il revendiquera même dans son second album solo son souhait "d'être minoritaire".

On pourrait dès lors dénoter un contraste entre le personnage discret et effacé qu'il est et sa foi en des individus uniques, qui seraient appelés, en quelque sorte, à sortir du lot.

Souvent l'attitude réservée de Goldman a été prise pour de la timidité. Pourquoi pas ? Mais cette attitude vient probablement aussi d'une force intérieure qui l'a toujours animée ; une certaine confiance en lui. Récemment, il déclarait à Laurent Boyer qu'il n'avait pas de problèmes d'ego, et qu'il pouvait se passer du regard des autres. Ainsi Goldman n'a pas besoin d'être acclamé, d'être adulé pour vivre. S'il trouve toute cette reconnaissance très agréable, elle n'en est pas pour autant indispensable. Ceci explique en grande partie pourquoi Goldman n'adopte pas de comportements agressifs, pas cette attitude de "winner" à la limite de l'arrogance. Il corrobore cette déduction dans la chanson Doux. Lui qui se déclare "mieux armé contre les témoignages de haine que contre les témoignages d'affection", n'a pas de raison logique de se mettre en avant. Ce qui ne l'empêche pas d'être acharné dans son travail, de le faire du mieux qu'il peut. Ce qui est d'ailleurs la chose essentielle à ses yeux.

De même que le cordonnier n'aura pas besoin de s'imposer à tout prix dans la foule, il pourra trouver satisfaction dans son activité quotidienne, et se retrouver dans sa famille de sang ou de coeur (dans cette "armée de simple gens") où son identité propre pourra pleinement s'exprimer. Renaud dit dans une chanson que "vouloir trop plaire c'est le plaisir des moches". La frime est davantage un moyen qui vise à se faire reconnaître par autrui qu'une fin en soi. L'exhibition aussi. Si certains en ont besoin, elle n'est en tout cas pas mère du talent ou du génie...

Par cette acceptation de la notion de simple unité dans la foule, moyennant les compensations du sommet du paragraphe précédent, Jean-Jacques sous-entend également que le poids de la masse sur l'individu, considéré par certains comme une fatalité écrasante, n'empêche en rien sa réalisation. Ou du moins ne la condamne pas définitivement... Vous avez dit "positif" ?

(c) Julien Schroeter

30 avril 1999 Tous droits réservés