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Musiques avec le temps, les trahisons et les révoltes
(Jean-Jacques Goldman voit "rouge" et remet les pendules à l'heure du)

Musiques avec le temps, les trahisons et les révoltes. Jean-Jacques Goldman voit "rouge" et remet les pendules à l'heure du constat. Sans se démentir
Le Soir (Belgique), le 16 février 1994

Dans un petit restaurant de Neuilly où il se sent bien - et où il débarque en combinaison anti-pluie de motard - Jean-Jacques Goldman s'est plié une nouvelle fois à l'exercice de l'interview. Il y excelle, ne se départissant jamais de cette chaleur et de cette franchise qui le fait tant aimer. Son dernier projet, intitulé "Rouge", ne parle pas que de communisme. Rouge est aussi la couleur de l'amour et du sang. Mais c'était enfin l'occasion de parler avec ce fils d'une famille de militants communistes purs et durs de cette expérience qui a marqué notre siècle.

L'occasion aussi de donner une image moins pastel du chanteur engagé depuis toujours dans un combat humanitaire devenu aujourd'hui trop banal.

Thierry Coljon : En prologue du livre "Rouge", tu parles en des termes assez durs de "la bande à Mitterrand", allant même jusqu'à citer les noms (Tapie, Fabius, Attali). Ce ton guerrier est assez inhabituel chez toi. Il fait parfois penser à un règlement de comptes...

Jean-Jacques Goldman : Non, je ne crois pas que mon langage soit particulièrement agressif. C'est un constat. Ce n'est même pas militant, ni partial.

Tu sais, un album, ça prend ses racines dans les trois années précédentes. Là je crois que pour quiconque, qu'il soit peintre, cinéaste ou musicien, il est impossible de rester indifférent devant cette fin d'expérience que fut le communisme. Quand elle se déroulait, il n'y avait pas grand-chose à en dire. Cette tragédie qu'est cet échec, c'était impossible de n'en rien dire. C'est comme de tomber amoureux et de ne pas en parler. À la limite, ce n'est pas de ma faute...

Thierry Coljon : Les disques ressemblent à leur époque. Après les années "entre gris clair et gris foncé", tu passes au rouge vif. C'est symbolique. Dans son livre, "Nos amis les chanteurs", Thierry Séchan te reprochait justement cette fadeur mesurée, cette banalité raisonnée. Là, en tapant du poing sur la table, en appelant les choses par leur nom, tu lui donnes une belle réponse. Qu'est-ce qui a suscité chez toi ce changement ?

Jean-Jacques Goldman : Je ne pense pas que ce soit original dans le sens où, au départ, il y a plus de 51 % de Français qui ont voté pour faire vaincre la gauche et qu'il y en a 30 % qui ont changé d'avis. Ça va dans un courant. Le seul truc pourquoi moi je suis plus énervé par ça qu'un autre, c'est parce que j'ai été élevé dans cette ambiance de militant de base. On ne peut pas simplement passer cette histoire-là par profits et pertes. Pour moi, il s'agit d'une vraie trahison de gens que j'ai aimés. D'une certaine manière, je me sens un peu, non pas leur porte-parole mais... C'était mes parents, mes frères, mes soeurs. De voir ces gens que moi j'ai eu le privilège de connaître... Euh, et voir ensuite cette espèce de déliquescence du pouvoir qui était sensé les représenter m'est peut-être plus douloureux à cause de l'amour et du respect que je portais à ces militants de base.

Thierry Coljon : Dans le clip de "Rouge", ce vieux monsieur qui feuillette avec nostalgie son album de photos de jeunesse, ça pourrait être ton père...

Jean-Jacques Goldman : Ça pourrait, oui. C'est un homme qui a toujours dit, chaque fois que je me moquais de lui ne fût-ce que quand les chars russes entraient à Prague, ce ne sont pas les idées qui sont mauvaises, ce sont les hommes. Il avait raison, les idées restent magnifiques. Pas spécialement les idées communistes mais même chrétiennes, ces idées altruistes quoi. Le fait qu'il faut bien vivre ensemble...

Le communisme a été l'horreur absolue. La sauvagerie la plus totale. Il fallait que ça meure, il n'y a aucun doute là-dessus. Mais c'est toujours comme on dit : il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Ce n'est pas parce que ces gens-là ont trahi que l'idée de faire que chacun ait ses chances, que l'éducation soit obligatoire et gratuite, soit mauvaise.

Thierry Coljon : Penses-tu qu'entre 1981 et 1989, les artistes, en France, se sont trop commis avec le pouvoir ?

Jean-Jacques Goldman : Il n'y en a pas eu tellement. Il y a eu Renaud... Il y a eu des concerts de soutien mais pas trop. Il y a eu Johnny Hallyday qui a fait "Je t'attends" avec Chirac. Il y a surtout eu une politique médiatique plus proche du ridicule de Jack Lang. Une récupération pathétique et comique même.

Thierry Coljon : Mais en allant chercher pour ce disque les Choeurs de l'Armée rouge, l'image officielle par excellence d'un communisme stalinien et brejnevien pur et dur, ça passe un peu pour de la provocation, non ?

Jean-Jacques Goldman : Pour moi, cet orchestre était aussi le symbole de ce qu'il y a de beau là-dedans. Quand moi j'allais voir les Choeurs de l'Armée rouge au palais des Sports, porte de Versailles à Paris, je peux dire que les 4 000 personnes qui étaient là étaient de belles personnes. Des gens qui cotisaient, qui se battaient, qui étaient d'une honnêteté scrupuleuse, qui croyaient, qui allaient coller des affiches le soir. Toute cette population militante était admirable. En plus, les voix des Choeurs étaient magnifiques, c'était aussi un symbole de cette pureté-là. Tu as beau penser à l'Armée rouge, à l'Afghanistan, tout ce que tu veux... les voix restent très belles, les chants restent beaux. Pour moi, ça évoque plus Potemkine que les bombes tuant les enfants en Afghanistan.

Cette chanson, "Rouge", est une comédie musicale en fait. C'est 1936.

Thierry Coljon : Il y a quelqu'un dont nous n'avons jamais parlé parce que le moment ne s'y prêtait pas. Il est temps maintenant d'évoquer la mémoire de Pierre Goldman, ton demi-frère (1)...

Jean-Jacques Goldman : Je ne l'ai jamais caché qu'il était mon frère dans le sens où je pensais qu'il était hors sujet. Qu'est-ce que je pourrais dire... Il y avait évidemment un grand écart d'âge, on était demi-frères. Mais il n'était pas atypique dans la famille. D'une certaine manière, une fois de plus, la personne la plus atypique de la famille, c'était moi parce que je n'étais pas militant. Moi, je faisais de la musique, de mouvance un peu sociale-démocrate qui les faisait un peu ricaner. Ce n'était pas par opposition vis-à-vis d'eux mais bien par conviction et comme c'était des gens tolérants, ils le toléraient. J'étais considéré comme le canard de la famille, un peu trop pragmatique, un peu trop réaliste.

Tous étaient donc militants, lui aussi. Il a seulement poussé son militantisme jusqu'à aller faire la guérilla en Amérique du Sud mais ce n'était pas très particulier dans ma famille. Le cas particulier, c'est ce qui lui est arrivé après et qui relève du droit commun...

Thierry Coljon : Pragmatique et réaliste. Pour un artiste, ce n'est pas les qualificatifs qu'on citerait en premier...

Jean-Jacques Goldman : J'étais sûrement le moins rêveur de la famille. Mais je ne sais pas si écrire des textes et de la musique est un métier de rêveur. Même en dehors du fait qu'il s'agisse d'un business, je pense qu'il faut être créatif, pas forcément rêveur.

Thierry Coljon : Créatif, tu l'es plus que jamais, en multipliant les collaborations, avec le reporter Sorj Chalandon, avec l'illustrateur Lorenzo Mattotti. Te sens-tu étriqué avec le support disque, dans un métier tel que tu le pratiquais jusqu'ici ?

Jean-Jacques Goldman : Susciter un apport créatif de la part d'autres gens, ça oui, ça m'intéresse. Non pas que je me sente étriqué mais je trouve qu'à partir du moment où un disque, ce n'est pas que de la musique et des mots mais aussi un objet, je veux que cet objet soit beau. Sans vouloir me dénigrer, le boîtier métallique déjà utilisé pour le disque "live", ce n'est pas mon idée. Le seul talent que j'ai eu, c'est de n'avoir pas refusé le projet qu'on m'a proposé. Ce sont deux jeunes mecs qui sont venus avec ça, après avoir vu dix autres artistes qui ont dit oui mais qui ont oublié ou que la firme de disques n'a pas suivis.

Thierry Coljon : Il y a tout de même un désir profond d'apporter un plus, d'aller plus loin que d'offrir régulièrement son album puis sa tournée...

Jean-Jacques Goldman : Oui, parce que faire des disques, c'est une partie importante de ma vie. J'y passe mon temps, j'y mets beaucoup de moi-même. Moi, je ne fais pas des disques pour passer le temps ou payer mon loyer. Donc, quand on me propose des choses qui sont belles et qui sont possibles maintenant parce que j'ai un statut et un pouvoir qui fait que je peux rendre les choses possibles, évidemment ça m'intéresse...

Thierry Coljon : Tu as déjà eu l'occasion d'évoquer précédemment ta peur de te répéter, de n'avoir à un moment plus rien à dire, de devenir banal. Cette angoisse reste-t-elle un moteur de création ?

Jean-Jacques Goldman : Oui. Ça reste aussi une nécessité de se dire que je ne changerai pas dans le fonds parce que je ne vais pas augmenter mon vocabulaire ou mes suites d'accord, ni changer mes tics. Je peux changer la forme sans changer le fonds. Je peux prendre les Choeurs de l'Armée rouge, je peux faire un truc acoustique... ça restera du Goldman. Je ne vais pas faire de la dance-music, je ne vais pas parler des thèmes de X ou Y. C'est toujours un peu les mêmes thèmes qui me touchent, mais comme tout le monde...

Thierry Coljon : L'album précédent évoquait tes 40 ans, tes actes manqués... On retrouve encore ici le leitmotiv du temps qui passe...

Jean-Jacques Goldman : Oui. Dès que je rencontre quelqu'un qui a passé 40 ans, il me parle de ça. C'est vraiment à partir de cet âge-là qu'on se rend compte que nos jours sont comptés. Pas nos jours de vie mais nos jours de fin de jeunesse, quoi. Il n'y a pas beaucoup de contre-exemple...

Thierry Coljon : Tu dis aussi que tu es passé de 14 à 40 ans. Direct. Pas de bandes de copains, de boîtes, de boums, de temps perdus. Ta jeunesse fut-elle aussi solitaire et triste ?

Jean-Jacques Goldman : Sage, réaliste. Je regrette ça, oui. J'enviais ceux qui avaient plus de bagout. Oui, c'est comme ça. Il y a plein d'autres choses que je regrette. De ne pas avoir 1 m 85. Bon, ce n'est pas une plaie. Mais s'il y en a une, c'est peut-être celle-là, oui. C'est vrai que quand je vois des ados en bande, ce que j'envie beaucoup, c'est cette inconscience d'âge. Ce côté équipe de foot en virée, troisième mi-temps, tout ça me fascine un peu, j'ai une inaptitude totale à ça. Je suis très envieux de ça, oui.

Thierry Coljon : Quand tu dis aussi qu'on a tous l'impression de vivre une vie d'exception, tu n'iras tout de même pas jusqu'à nier le fait que ta vie, ne fût-ce que dans les années 80, fut exceptionnelle...

Jean-Jacques Goldman : Oui mais enfin, j'étais aussi pas mal prédestiné par mon passé. Il y a sûrement des explications passionnelles au fait que ce soit tombé sur moi, étant donné d'où je viens, qui était mon père, qui était ma mère, etc. Même si ce n'était pas prévisible. C'est la chance, sûrement. Il faut peut-être savoir la saisir mais moi, je ne suis pas du tout un exemple de combativité, d'un gars capable de saisir sa chance. Il se trouve que j'avais toutes les caractéristiques, le moule était fait pour que je sois cette personne-là.

Thierry Coljon : Serbes, Bosniaques... Je ne dis pas qu'ils ont tort de se battre, écris-tu. Ne penses-tu pas qu'on devrait toujours avoir tort de se battre?

Jean-Jacques Goldman : C'est Renaud qui dit qu'aucune guerre, quelle qu'elle soit, ne se justifie. Je ne suis pas du tout d'accord. Il y a des fois où t'as pas le choix ou alors il faut mourir. Pour libérer les camps de concentration en 1945, il a fallu une mitraillette à la main. Ou alors, on admet de vivre avec des prisons autour de soi. Ce qui est le cas puisque ça n'empêche pas de dormir qu'il y ait la Somalie, la Bosnie... Il va falloir tuer des Serbes pour que ça s'arrête, pour sauver des Bosniaques. C'est le seul moyen. On attend ça. C'est de l'arithmétique atroce, abstraite pour nous et très concrète pour eux.

Thierry Coljon : En parlant de la France, tu écris : Ce pays qu'a choisi mon père et dont je suis éperdument amoureux. On ignorait ça...

Jean-Jacques Goldman : J'en suis fou amoureux, c'est vrai. Il y a des choses que je hais mais il y a des petits signes comme ça tous les jours... Quand Euro Disney est en difficulté, j'avoue que ça suscite chez moi un amour immodéré pour la France. Quand "Batman" se plante dans ce seul pays au monde, quand Woody Allen fait 600 000 entrées sur son dernier film, c'est ici. Mais quand je dis en France, ça embrasse, que vous le vouliez ou pas, l'espace francophone. C'est pas des choses que beaucoup de Belges revendiquent mais cet espèce de regard prétentieux et en même temps ironique sur le monde est assez particulier. Je ne pourrais pas m'en passer...

Jean-Jacques Goldman sera à Forest-National les 5, 6 et 7 mai. Album "Rouge" (Columbia; distr. Sony). Livre "Rouge" de Sorj Chalandon, Jean-Jacques Goldman, Lorenzo Mattotti (éditions PAU/Columbia-Sony; distr. Hachette).

(1) Pierre Goldman, célèbre militant gauchiste de mai 68, fut condamné à perpétuité en 1974 pour le meurtre de deux pharmaciennes. Après révision du procès, il fut rejugé et acquitté en 1976 avant d'être assassiné trois ans plus tard par un groupuscule d'extrême droite.


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