JJG : Confidentiel
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JJG : Confidentiel
CBS Magazine, mars 1994
Propos recueillis par J.-F. Bouquet
J.-F. Bouquet : Avant de parler de toi, je voudrais commencer par cette nouvelle soirée des Enfoirés que tu nous a offerte, ce 5 février.... Une fois de plus, tu t'es occupé de cette superbe émission pour TF1... Cette fidélité t'honore mais ne devient-elle pas trop pesante ?
Jean-Jacques Goldman : Le problème n'est pas trop là. Passer un peu de temps à faire ton métier pour une cause, beaucoup le font. Mais dans ce cas là, il est important que cette opération devienne le rendez-vous de tous et pas seulement de quelques « abonnés ». C'est aussi la clé de sa pérennité. Il me semble que cette année, le pli est pris.
J.-F. Bouquet : Tu n'as pas peur de faire des jaloux en télé avec cette émission, car pour quelqu'un qui a des rapports bizarres avec le petit écran, tu nous as offert un programme de rêve.
Jean-Jacques Goldman : Il est clair que les artistes viennent d'abord pour les restos, pour Coluche. Que l'on soit jaloux de ça me semblerait pitoyable.
J.-F. Bouquet : Que penses-tu de cette semaine « chanson française » ? N'est-ce pas étrange que la France se sente obligée d'organiser une semaine spéciale pour sa chanson ? Y a-t-il vraiment un danger ?
Jean-Jacques Goldman : Il y a un danger pour toute chanson non anglophone, c'est un fait, ce sont les chiffres. Le problème n'est pas seulement français, il est espagnol, italien, allemand, etc... Est-ce que cette semaine est une bonne réponse ? Je n'en sais rien. La prise de conscience du danger en tout cas me semble essentielle, comme pour le cinéma, ou même la lecture.
J.-F. Bouquet : Avec ton dernier album, tu nous a gratifié d'un très beau livre, riche en textes et en magnifiques peintures.... Est-ce une nouvelle dimension artistique pour toi ?
Jean-Jacques Goldman : Mon idée au départ était simplement de faire un livret à l'intérieur du CD, un bel objet, en collaboration avec un illustrateur. C'est la qualité du boulot de Mattoti et de Chalandon qui a rendu ce livre évident. Je n'ai fait que suggérer et admirer leur travail sur lequel je ne suis pas du tout intervenu.
J.-F. Bouquet : J'ai l'impression que bien que tu dises que le rouge est la couleur de l'espoir... tu as vu rouge ! Tu étais en colère contre une certaine politique ?
Jean-Jacques Goldman : Des hommes trahissent des idéaux, les principes pour lesquels ils ont été élus, ce n'est pas nouveau. Ça fait juste mal quand on sait les espoirs que 1981 avaient suscités. Jetons les hommes et gardons les idées.
J.-F. Bouquet : Tu dis aussi que l'adolescence est rouge... Ça pour moi, c'est très intéressant...
Jean-Jacques Goldman : Le rouge est une couleur d'émotion, d'excès, de timidité ou de colère. Tous ces mots collent à cet âge.
J.-F. Bouquet : « Rouge », c'est pour moi, beaucoup plus que le nouvel album FGJ. C'est un album vérité, un album d'espoir, mais aussi un album très critique sur le monde actuel. Es-tu d'accord ?
Jean-Jacques Goldman : Sans vouloir me défiler, c'est difficile pour moi d'analyser ça. Je peux juste constater que chaque album est une photo des trois années que l'on vient de vivre. Et il est clair que pendant ces trois années, il s'est passé de telles choses dans notre monde que les chansons en sont inévitablement influencées.
J.-F. Bouquet : On dit souvent que vers 40 ans, les hommes se font une crise d'adolescence par refus d'être impliqués dans le monde de l'adulte. De plus pour être un artiste, il faut garde et protéger son coté « enfant ». Traverses-tu cette crise actuellement ?
Jean-Jacques Goldman : Il s'agit peut-être d'un dernier soubresaut lorsqu'on prend conscience qu'on a perdu presque toute trace de cette enfance ? ! A mon avis, les chanteurs en sont dispensés puisqu'on excuse toujours et même on encourage toutes leurs immatures pulsions !
J.-F. Bouquet : Carole et Michael me l'avaient déjà dit : ils aiment tes textes. Qu'ont-ils pensé de ceux de « Rouge » ? Carole, Américaine, chantant avec des Russes, c'était osé au départ, non ?
Jean-Jacques Goldman : Il faudrait leur demander. En tout cas, le fait déjà d'appeler l'album « Rouge » a fait l'objet d'une concertation ; ce n'est pas un titre anodin. Ils ont adhéré sans problème. Carole aime les êtres humains en général et les voix en particulier. Là, elle était comblée : êtres humains, voix et même général !
J.-F. Bouquet : De plus, tu trouves le temps de faire des chansons pour les autres... Pour Patricia Kaas, qu'est-ce qui t'a inspiré : l'amie ou l'artiste ?
Jean-Jacques Goldman : La reconnaissance d'être venue aux restos du cœur à l'Opéra et sur Starmania, le personnage, sa demande qui correspondait à un désir d'évolution intéressant, et bien entendu, la voix.
J.-F. Bouquet : Ta prochaine tournée 94 devrait démarrer vers le mois de mai. Peux-tu nous dire un peu ce qu'elle nous réserve comme bonne surprise ?
Jean-Jacques Goldman : Un peu prématuré. On bosse dans beaucoup de sens, décors, événements, images, mise en scène. Difficile de dire si cela va aboutir ou pas. En tous les cas, comme d'habitude, ce ne sera pas un « tour de chant » mais un spectacle. Pourquoi ? D'abord parce que ça nous amuse plus, nous !
J.-F. Bouquet : Très sincèrement, aujourd'hui, lorsque tu regardes ta carrière, as-tu des regrets ? Des choses à faire ou à ne surtout pas refaire ? Et ne réponds pas « faire des interviews », s'il te plaît !
Jean-Jacques Goldman : Ce serait presque obscène, non ? J'ai eu beaucoup de chance, toutes les chances. Les regrets sont les ruptures avec les gens, mais elles sont inévitables, parfois douloureuses mais inévitables.
J.-F. Bouquet : Pour finir, as-tu toujours envie, comme tu le disais en chanson, d'être minoritaire ?
Jean-Jacques Goldman : Que ce soit dans mon attitude, dans mes disques, la scène, je n'ai jamais cherché « la majorité », mais mon plaisir d'abord. Il semble que ça été compris. Cette minorité là me comble !
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