Jean-Jacques Goldman voit rouge
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Jean-Jacques Goldman voit rouge
Guitarist n°56, mars 1994
Olivier Garcia
Jean-Jacques Goldman conjugue [manque plusieurs mots] énergie avec le nouvel album de Fredericks-Goldman-Jones, "Rouge", incrusté, pour les amateurs, dans un superbe livre objet. Interview rare d'un musicien qui voit parfois rouge, à sa façon.
Olivier Garcia : Tu restes fidèle au "groupe" Fredericks-Goldman-Jones bien
que tu sois l'unique auteur-compositeur de l'album, n'y aurait-il pas un petit soupçon de "coquetterie" de ta part, un côté image sympa ?
Jean-Jacques Goldman : D'abord, il y a des tas de groupes avec un seul compositeur. Ensuite, on ne s'est pas dit "on va faire un groupe, il faudrait penser aux chansons", mais l'inverse. J'ai toujours été attiré par les duos ou les trios. Quand je me suis rendu compte que toutes les chansons de l'album précédent étaient construites ainsi, je ne pouvais pas décemment l'appeler Jean-Jacques Goldman puisque nous étions trois à chanter. Pour celui-ci, les voix familières de Michael et de Carole répondaient naturellement à mes compos, il n'y avait donc pas de raison de changer de dénomination.
Olivier Garcia : A quel moment Michael et Carole interviennent-ils ?
Jean-Jacques Goldman : J'en ai discuté avec Michael puisqu'il est compositeur. Mon aventure principale étant Fredericks-Goldman-Jones, j'ai demandé égoïstement de garder le privilège de la composition. C'est ce qui m'intéresse le plus, cela ne l'empêche pas de beaucoup intervenir et il est libre de faire un album Michael Jones de son côté.
Olivier Garcia : "Rouge", la chanson titre "engagée" de l'album peut apparaître à certains comme une provoc...
Jean-Jacques Goldman : C'est triste que cela puisse être pris comme cela, il y a aussi du rouge dans le drapeau français, et du très vif. Ce n'est pas de la provoc, le rouge est une couleur digne, plus large que sa connotation politique, même si je ne la nie pas.
Olivier Garcia : Tu dis dans le refrain "autant crever pour des idées que ramper sans combattre", vaut mieux mourir debout que vivre couché ?
Jean-Jacques Goldman : J'ai trouvé terrible la phrase des pacifistes allemands "Mieux vaut être rouge que mort". L'histoire de France qui a conduit mon père ici est plutôt une histoire de gens debout. Il est venu de Pologne dans les années 30 fasciné par Victor Hugo, la déclaration des droits de l'homme, il a fait de la résistance, et j'ai été élevé dans une famille qui vénérait cette France-là.
Olivier Garcia : Dans le livret de l'album, on te voit jouer de la guitare avec Michael Jones devant les choeurs de l'armée russe qui chantent sur "Rouge", comment s'est passé l'enregistrement à Moscou ?
Jean-Jacques Goldman : Moscou est à moins de quatre heures d'avion, il y a là-bas de grands techniciens et de très bons studios. On a envoyé des cassettes, des partitions et nous sommes arrivés avec une bande programmée au clic de façon à pouvoir changer au dernier moment, y compris la tonalité. Comme il n'y avait pas cinquante casques dans le studio, le maître de choeur en a pris un pour diriger. Ensuite nous avons fait quelques petits recalages mais tout s'est bien passé.
Olivier Garcia : Avez-vous rencontré des musiciens locaux à Moscou, des guitaristes ?
Jean-Jacques Goldman : Radio Plus, une radio française qui nous a aidé, avait organisé une soirée dans laquelle j'ai pu entendre un bluesman tchétchène et un chanteur néo-rive gauche mais ils ont une telle aspiration occidentale...
Olivier Garcia : A propos de musiciens, là aussi tu restes fidèle à ton équipe de base, le guitariste Patrice Tison et le bassiste Guy Delacroix ; tu n'as pas envie comme d'autres artistes d'enregistrer avec des pointures internationales à la mode dans un studio branché ?
Jean-Jacques Goldman : Je continue à faire des essais. Pour la batterie, j'ai voulu Chris Whitten, j'ai [manque plusieurs mots] Christophe Deschamps fait aussi bien. Ce que fait Pino Palladino à la basse fretle est très intéressant mais Guy Delacroix est un très très grand. Quant aux guitaristes, on a essayé mais je prendrais Patrice Tison en séance juste pour le plaisir de l'entendre jouer. Michael partage le même [manque plusieurs mots] et nous avons travaillé avec lui de façon différente, il est venu passer des journées entières avec nous à faire des guitares. Nous avions vraiment envie de soigner les guitares de Michael.
Olivier Garcia : Tu es as joué beaucoup ?
Jean-Jacques Goldman : Peu, j'étais tellement bien entouré, par Michael, Patrice et Gildas Arzel. J'ai joué les acoustiques, Michael n'est pas fan et me les laisse. Pour le reste, je fais les maquettes et on enregistre plusieurs prises en studio. Comme j'aime bien entendre les autres et qu'ils sont franchement mieux que moi, je suis quasi absent au final.
Olivier Garcia : Comment avez-vous enregistré les acoustiques ?
Jean-Jacques Goldman : Je me sers essentiellement de deux guitares : une Trameleuc électro-acoustique qui étonne à chaque fois tout le monde par ses
possibilités en acoustique pure et une Gibson qu'on m'a achetée. Michael a une Martin qu'il me prête de temps en temps.
Olivier Garcia : Michael te surprend-t-il encore après toutes ces années ensemble ?
Jean-Jacques Goldman : D'abord, il a un style à lui, très rock anglais, micro grave, Gibson comme dans "Frères". [manque plusieurs mots] se dit jamais "coupons là, le solo est trop long". Ensuite, Michael, a un côté prof, il a enseigné, il a appris, il peut apprendre. Quand je lui dis : "là, j'entends un solo slide saturé", il s'isole pendant quinze jours, achète vingt disques et revient en ayant fait le tour de la question avec tous les accordages possibles. Michael n'est pas figé sur le plan technique, c'est une qualité rare.
Olivier Garcia : Tu écoutes des jeunes guitaristes ou groupes ?
Jean-Jacques Goldman : En dehors de la radio, pas trop. En tournée dans le car, il y a toujours quelqu'un qui arrive avec le nouveau Roben Ford mais tellement de choses ont été faites qu'il est difficile d'arriver avec le truc particulier.
Olivier Garcia : Et toi, cherches-tu à créer une forme "française" de la musique que tu aimes ou les textes te suffisent-ils à affirmer un particularisme ?
Jean-Jacques Goldman : La question ne se pose pas, tu fais des chansons avec tes acquis. Regarde MC Solaar, il a été à l'école ici, a vécu dans une cité, a été élevé par des parents d'origine africaine ; il fait du MC Solaar et sa musique résulte de tout ce qu'il est. Pour moi, c'est la même chose, j'ai connu la musique anglaise et américaine des années 70, j'ai été élevé d'une certaine façon, et je fais ce genre de chanson naturellement.
Olivier Garcia : Composes-tu plus à la guitare ou au piano ?
Jean-Jacques Goldman : De plus en plus au piano, le résultat est immédiat parce que tu as les basses et les accords mais les titres rapides restent plus faciles à la guitare.
Olivier Garcia : Tu as toujours beaucoup de guitares ?
Jean-Jacques Goldman : Pas mal. Mes principales sont des Scamps à corps semi-creux que ce luthier français m'a fait d'après un manche d'Hohner que j'aimais bien, avec des sons plus Fender que mes habituelles Gibson SG ou Les Paul. Pour les maquettes, j'utilise toujours une petite Hohner sans tête d'inspiration Steinberger, pratique parce qu'elle rentre dans une valise et très vivante.
Olivier Garcia : Côté amplis, effets...
Jean-Jacques Goldman : Pour les maquettes, ma vie s'est arrêtée au Zoom, pour le reste j'ai toujours une base de Mesa Boogie avec un GP 16 Roland. Je demande surtout cinq types de sons qui viennent instantanément quand j'appuie sur un bouton et Michael s'occupe de cela. Lui, ça l'intéresse et il change de matos toutes les semaines.
Olivier Garcia : La maturité fait-elle son ménage avec l'émotion, avec les années, gagne-t-on ce qu'on perd et réciproquement ?
Jean-Jacques Goldman : La chanson tragique de Léo Ferré "Avec le temps" se termine par "Avec le temps on n'aime plus", il me semble pourtant qu'il aimait encore jusqu'à sa mort. Plus tu avances, plus il y a de xièmes fois où tu fais les choses : un disque, écrire une chanson, avoir du succès, chanter devant plus de dix mille personnes. Cela n'en devient pas banal, l'émotion reste forte mais te bouleverse moins que la première fois ; à l'inverse, l'expérience permet de se laisser moins influencer et de passer outre l'avis des gens du "métier". Par exemple, aujourd'hui, je n'hésite plus à garder une partie avec un pain parce qu'elle est forte.
Olivier Garcia : Vous allez faire de la scène ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, on commence tranquille en mars par les îles de l'Océan Indien avant de revenir fin avril et de débuter en France par quatre jours au New Morning en quasi-acoustique.
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