Le souffle de Goldman
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Le souffle de Goldman
Le Soir (Belgique), 7 mai 1994
Thierry Coljon
La série forestoise de Fredericks-Goldman-Jones n'est pas terminée
Il s'agit chaque fois de retrouvailles. Jean-Jacques Goldman est chez lui sur la scène de Forest-National qu'il a si souvent foulée – au point de toujours détenir le record d'audience – et qu'il a retrouvée jeudi soir pour une série de quatre concerts attirant 32 000 personnes. Et ce n'est pas fini puisqu'une cinquième date a déjà été annoncée officiellement pour le 30 juin.
Le nouveau spectacle de Fredericks-Goldman-Jones, dont c'était la deuxième date seulement, est du même tonneau que ses prédécesseurs : il réussit à marier le gigantisme d'une superproduction avec l'intimisme d'un ton proche et sympathique. La puissance avec la douceur.
Et, avec deux petits films bouleversants d'humanité insérés dans le corps du concert, le chanteur français parvient même à faire plus fort encore en secouant une audience qui s'en retournera le cœur léger, la tête emplie des voix chaudes et vibrantes du Chœur de l'ex-Armée Rouge.
Une couleur rouge qu'on n'a pas retrouvée que sur le ticket en forme d'étoile mais tout au long d'un spectacle conçu avec un cœur gros comme ça. Et, n'en doutons pas, seul le manque de temps pour tout installer a été la cause des petits ennuis sonores qui se sont produits jeudi soir : ils auront été vite réglés pour les trois autres dates.
(en pages intérieures)
Pluie d'étoiles rouges pour un concert très humain
Comme s'il s'agissait d'un jouet dont il ne se lassera jamais et qu'il aime partager avec d'autres, Jean-Jacques Goldman a toujours aimé les superproductions. Machineries, podiums coulissants, éclairages qui en mettent plein la vue, JJG aime en donner pour son argent à un public dont il veut néanmoins se sentir proche. Gigantisme et intimité font d'habitude difficilement bon ménage. C'est sur cet antagonisme apparent que travaille le chanteur sympa.
Cela lui a toujours réussi mais on a eu bien peur au début de son nouveau spectacle dont il n'a pas encore véritablement essuyé les plâtres, jeudi soir à Forest-National, puisqu'il s'agissait là de la deuxième date de la nouvelle tournée qui nous reviendra fin juin. L'impressionnante infrastructure à différents niveaux rapetissant les huit musiciens n'est pas une surprise mais le son énorme noie totalement les voix. Même celle de Carole, c'est tout dire. On se raccroche à ce qu'on peut pour ne pas perdre pieds: "Serre-moi" en intro acoustique, "Envole-moi" et "Comme toi", avec un très joli passage au violon tzigane joué par JJ lui-même, sont autant de bouées familières nous interdisant de sombrer dans l'ambiance un peu sombre, inquiétante, comme sortie d'un "dark age" dont on attend avec impatience l'issue promise. Ce fameux rouge après le noir.
Mais c'était comme si tout cela était bel et bien voulu. Pour "Je commence demain", Jean-Jacques charrie le public, en interrompant la chanson, histoire de réveiller un peu cette audience qui n'attend que ça pour gueuler son envie de se défouler. Les climats varient petit à petit. L'humour apparaît sous forme de palmes phosphorescentes, on se met même à planer avec une conclusion à la Pink Floyd par un Michael Jones qui n'a jamais voulu se refuser un petit plaisir. Pour bien rester en contact avec une salle qu'il ne veut pas perdre, il passe au petit "break" bluesy, assis derrière son clavier (à la "C'est pas d'l'amour"). Et "On n'a pas changé" de servir de transition pour la dernière ligne droite d'un concert de deux heures qui, dès ce moment, trouvera sa véritable voie.
D'INTERMINABLES... D'INSOUTENABLES SECONDES
Il suffira d'un petit film: des combattants inquiétants, de toutes les causes, de toutes les luttes. En une fraction de secondes, un sourire les éclaire et en fait des êtres humains comme les autres. Mais aussi vite, ils peuvent reprendre leur masque glacial si l'on pense à faire marche arrière. Et comme si l'on n'était pas assez secoué, c'est à ce moment stratégique que Jean-Jacques nous envoie ce superbe film introduisant "Juste après". Une maternité en Afrique, pas de couveuse, pas de réanimation, juste une infirmière confiante décidée à ramener à la vie un bébé quasi mort-né. Et les secondes, insoutenables, de s'écouler. Le bébé a beau être gifflé, agité dans tous les sens, rien y fait, les secondes, interminables, s'écoulent. La salle est silencieuse, pendue au souffle inexistant du bambin tout chiffonné que la mort guette. Le temps s'arrête et nous délivre quand le bébé enfin bouge. C'est simple et beau. Et, ainsi dans une salle de huit mille personnes, l'effet est géant. Et on a bien besoin des tambours phosphorescents de "A nos vies manquées" pour nous remettre d'une telle émotion.
Mais Jean-Jacques, le petit malin, n'en a pas fini avec ses surprises de sale gosse qui adore faire des cadeaux: ainsi "Il suffira d'un signe" se voit-il agrémenter d'une bonne trentaine d'uniformes, casquettes et étoiles rouges: les Choeurs de l'ex-Armée Rouge au grand complet et un final grandiose pour un "Rouge" prometteur d'avenir radieux. On aime y croire l'instant de cette saine fraternité qui aura duré le temps d'un concert humain et gai à la fois.
Une lueur réjouie illumine les visages quittant la salle. Mission accomplie, mon cher Jean-Jacques...
Fredericks-Goldman-Jones sera encore ces samedi et dimanche soir à Forest-National. Tout est complet. Mais le trio reviendra le 30 juin au même endroit. Préventes à partir du 14 mai.
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