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Goldman hisse le drapeau rouge
(?, juin 1994)

Goldman hisse le drapeau rouge
?, juin 1994
Jean Ellgass
Retranscription de Julien Schroeter

Deux heures de spectacle devant 10 000 personnes ébaubies. Fredericks, Goldman et Jones ont imaginé l’aube d’une ère "révolutionnaire".

C’est le miroir du monde qui nous entoure, un spectacle à la fois grave et frivole. Une mise en scène spectaculaire de nos déroutes idéologiques : de notre impuissance devant la formidable complexité du monde, alors que l’homme n’aspirerait qu’à la tendresse, au partage…

De retour samedi et dimanche à Lausanne, le trio Fredericks, Goldman et Jones a témoigné résolument de cet air d’un temps qui zappe d’une guerre à un numéro de cirque, ne distinguant plus les idéaux les plus nobles des émotions les plus obscènes. Ils sont venus au spectacle pour se divertir, voilà que l’actualité les a rattrapés par l’ironie du décor, figurant une ruine dévastée. On est à Sarajevo ou à Kigali, qu’importe, il ne reste rien, que cette autre que l’on implore ("Serre-moi fort").

Fragilité humaine

Apparaissant seul à la guitare au cœur des décombres, Goldman est bouleversant, parce qu’il incarne toute la fragilité humaine, notre désarroi. Mais déjà on zappe sur la chaîne musicale "Un, deux, trois" rock’n’roll, les trois amis se souviennent du jour premier où ils rencontrèrent cette musique qui transforma leur vie. Sarajevo (Kigali) devient piste de danse, la salle exulte sur le volcan éteint (l’orchestration est impeccablement consensuelle). Mais la montagne de feu se rallumera par intermittence, quand le chanteur ravive la plaie du nazisme ("Comme toi"), ou lance la projection d’un documentaire de médecins sans frontière : "vous ne verrez jamais cela à la télévision", dit une voix dans la nuit ; le combat acharné des sorciers blancs pour donner la vie à un nouveau-né d’ailleurs qui se meurt, sans les moyens d’ici.

Les images se confondent, se superposent : "Qu’est-ce qu’on peut bien faire après ça", chante Goldman ("Juste après"). Imparable. On tente de le suivre dans son discours parabolique, d’inspiration judéo- chrétienne : l’homme en guerre exorcise la bête immonde qu’il couve au fond de lui ("Frères"); il faut rallumer la lumière, "briser l’obscurité, balayer la poussière", que sont ces idéologies du "vieux monde à oublier" ("On n’a pas changé"). On y arrive enfin : dans le vide laissé par l’après-guerre froide, réinventer la vie, en "Rouge".

C’est le clou flamboyant de son spectacle : le "Choeur de l’ex-Union soviétique" est soudain là, qui entonne l’hymne de la nouvelle ère, dite "révolutionnaire". Goldman nous ressert en direct la chute du mur de Berlin – l’émotion sous-jacente de l’événement - ignorant le totalitarisme que symbolisent ces uniformes. Comme à la télévision, le chanteur recourt à la manipulation des images pour légitimer des propos terriblement réducteurs. C’est artistiquement douteux, et politiquement très incorrect.


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