?
|
?
Tempo, juillet 1994
Eric Maluse
Lorsque l'auteur de "Je te donne", ancien guitariste de Taï Phong, compositeur, parolier à ses heures (Kaas, Hallyday, Pagny...) vous accorde un entretien, la première réaction est de penser à une plaisanterie ? Eh bien, non !
Alors pourquoi limiter nos questions à Rouge son nouvel album ?
De passage dans la ville rose, nous en avons profité pour effectuer un reportage-photo, questions-réponses à batons rompus, quelques minutes avant son éblouissant concert...
Tempo : Vous avez dit en parlant de votre album "Rouge" que cette couleur est la vraie couleur de l'espoir, pourquoi ?
Jean-Jacques Goldman : Pendant toute mon enfance elle a été la couleur politique de la génération de mes parents et en particulier la leur. Pour eux c'était synonyme d'un monde meilleur, d'une grande fraternité... Pour moi, elle a donc toujours évoqué l'espoir.
Tempo : Les élections européennes ont eu lieu. Croyez-vous en la construction de l'Europe ?
Jean-Jacques Goldman : Je n'ai pas de leçon à donner aux gens. Le fait de chanter des chansons ne m'autorise pas à donner des conseils et je ne le ferai pas. Mon sentiment est qu'effectivement, je ne crois pas que l'on puisse parler d'Europe sans parler de la Bosnie. Construire une Europe sur les quotas laitiers, je sais que c'est important... ou l'Europe élargie à seize... mais il y a des gens qui sont nos voisins qui meurent. Maintenant je trouve personnellement très positif le fait que ce problème soit remis au centre de la discussion.
Tempo : Quelle couleur donneriez-vous alors aujourd'hui à la Bosnie et à la Serbie ?
Jean-Jacques Goldman : C'est le rouge, mais malheureusement celui du sang. C'est le noir du deuil. C'est aussi l'absence de couleur car, tristement, on ne voit pas beaucoup d'alternative.
Tempo : Et si l'on comparait votre musique et vos chansons à une recette de cuisine ?
Jean-Jacques Goldman : Au départ, c'est très hamburger et "fish and chips". La musique qui m'a donné envie d'en faire moi-même, c'est celle que j'ai écoutée dans les années 60-70, la musique d'Outre-Manche, le blues. Après, un peu de pinard est arrivé... avec des textes de Français comme Ferré, Berger, etc. Un mélange de hamburger, que je n'aime pas d'ailleurs, mais disons de cuisine américaine avec de la cuisine française.
Tempo : Un confrère, en 1991, avait résumé en trois mots-clés vos 13 années de succès en générosité, respect et tolérance. Avec votre dernier album ne faudrait-il pas rajouter "haine et désespoir" ?
Jean-Jacques Goldman : Résumer tout ce travail en quelques mots, c'est très difficile et c'est plutôt au public de le faire car c'est vraiment impossible de le faire soi-même.
Tempo : Vous qui aimez les textes de la poésie française ainsi que les mots, que pensez-vous de la loi Toubon ?
Jean-Jacques Goldman : Ça ne me dérange pas que l'on force les mômes à lire et à écrire à l'ecole, que l'on impose des quotas de chansons françaises. Je pense que si on se désintéresse complètement de tout ce qui est identité nationale, elle meurt. Il y a eu des exemples avec le cinéma européen qui a beaucoup de mal, il y a eu la chanson italienne qui a failli mourir, alors que c'est la langue musicale par excellence ; elle revient parce que je crois que des mesures ont été prises. Il faut faire attention ; si on ne construit pas de bibliothèques, si on n'apprend pas aux mômes à lire, ils regardent la télé.
Tempo : Mais le fait que l'on veuille changer des termes d'expression courante ?
Jean-Jacques Goldman : L'idée est bonne au départ et si on peut éviter le ridicule, c'est pas plus mal.
Tempo : Quel est pour vous, puisque vous en parliez, le principe fondamental de l'éducation des enfants ?
Jean-Jacques Goldman : L'apprentissage de l'effort, je crois que c'est aussi bête que ça. Je crois qu'on ne peut pas demander uniquement de la bonne volonté. Tout ce qu'on apprend, tout ce qu'on sait, tout ce qui nous a été précieux a un moment est venu de facon coercitive. On n'est pas obligé de donner des coups sur les doigts avec des règles comme à mon époque, ou des gifles, mais je pense que la première vertu, c'est l'autorité.
Tempo : En 91, dans une interview avec Le Point, vous confiiez qu'avec votre père, vos frères et soeurs, vous passiez vos soirées à lire ; avez-vous pratiqué la même chose avec vos enfants ?
Jean-Jacques Goldman : Non, parce que n'ayant eu la télé qu'à 12-13 ans nous lisions, mais maintenant c'est très difficile de les arracher de la télévision. On le fait, ça arrive, mais il est sûr qu'ils lisent beaucoup moins que nous, nous lisions.
Tempo : Etre 3 sur scène, n'est-ce pas partager un peu le fardeau de la gloire ?
Jean-Jacques Goldman : Un petit peu, mais ce n'est pas pour ça qu'on s'est mis a 3, c'est parce qu'on trouvait que c'était mieux. Ça m'intéressait davantage et s'il y a cet effet secondaire, tant mieux.
Tempo : Dans quelques minutes c'est le spectacle. Vous sentez-vous stressé ?
Jean-Jacques Goldman : Ça va. A un concert, on n'a pas d'angoisse vis-a-vis des gens. Car s'ils viennent ce n'est pas pour juger ou se poser des questions, c'est pour prendre du plaisir. Ils ne nous veulent pas de problème, le seul, en fait, c'est nous. Il faut qu'on ait envie, qu'on soit bon, qu'on ait de la voix, qu'on soit en forme. Il faut aussi que techniquement tout marche et comme il s'agit de grosses structures, c'est la seule angoisse que j'aie.
Tempo : Pourquoi dans le concert n'avez-vous pas inclus les choeurs de Bulgarie ?
Jean-Jacques Goldman : Parce qu'avec les 30 Russes de l'Armée Rouge, ça fait déjà 100 personnes sur la tournée et que les voix bulgares n'interviennent sur le disque que sur l'intro d'un morceau. Il était difficile de prendre encore 30 personnes, ça créé des problèmes...
Tempo : ...oui, avec 30 Russes...!
Jean-Jacques Goldman : et même avec 60 techniciens et musiciens !... (éclats de rire)
Tempo : Ce soir, vous êtes ici avec Carole Fredericks et Michael Jones. Avez-vous l'intention de faire encore quelque chose tout seul ?
Jean-Jacques Goldman : En 79-80, si on m'avait demandé si un jour je chanterais tout seul, j'aurais répondu: "non, impossible, ce que j'essaie c'est d'écrire des chansons pour des gens et moi ça ne m'intéresse pas du tout de chanter". Deux ans après, je faisais mon premier album parce que personne ne voulait de mes chansons. Ensuite, on s'est mis à 3 parce qu'on a fait de la scène ensemble, qu'on se connaissait depuis longtemps et parce que j'ai commencé à composer des chansons qui étaient des trios, mais je ne le savais pas encore. Le seul contrat qu'on ait ensemble c'est de prendre du plaisr et le contrat durera tant que le plaisir durera. Ça fait déjà 6 ans et j'espère que ça continuera.
Retour au sommaire - Retour à l'année 1994