Les plus belles citations de Jean-Jacques Goldman
Tout sur l'actualité de Jean-Jacques Goldman
La vie de Jean-Jacques Goldman, de ses origines à aujourd'hui
Tout sur les chansons de Jean-Jacques Goldman
Tous les albums de Jean-Jacques Goldman
Tous les DVD et les cassettes vidéo de Jean-Jacques Goldman
Toutes les tournées de Jean-Jacques Goldman depuis 1983
Interviews, essais, livres
Robert Goldman : l'autre Goldman
Pierre Goldman : le dossier
L'histoire des Restos du Coeur et les tournées des Enfoirés
Les sondages de Parler d'sa vie
Listes de discussion et de diffusion, liens, adresses utiles, recommandations
Goodies : Jeu, fonds d'écran, humour...
Le livre d'or de Parler d'sa vie
Le pourquoi de tout ça...

Goldman à l'heure de ses vérités
(Télémoustique, 1994)

Goldman à l'heure de ses vérités
Télémoustique, 1994
Jean-Luc Cambier
Retranscription d'A.R.

Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents communistes mais ce fut le cas d'un certain JJG qui ne l'oublie pas. Il chante "Rouge", rouge comme l'espoir, rouge comme la colère. Avant ses visites bruxelloises, un Goldman comme vous ne l'avez jamais connu. Pour promotionner son nouvel album, Goldman s'est fait encore plus discret. Il a heureusement pris la bonne habitude de parler sans réserve à la presse belge. Une interview d'autant plus précieuse que son inclination naturelle à nuancer situations et réflexions entre gris clair et gris foncé, donc, à arrondir les angles, ne résiste pas longtemps à un sentiment de trahison. Il commencera d'abord par relativiser ses "innovations musicales" : "j'ai les moyens de me passer mes envies. Comme il est moins intéressant de faire 10 fois la même chose, je m'offre les Choeurs de l'Armée Rouge comme je m'offrirais un guitariste de Memphis si j'en avais le désir. Je n'ai pas besoin de me restreindre car je suis malheureusement raisonnable. Mes fantasmes ne vont pas plus loin qu'utiliser le batteur de Dire Straits, Chris Whitten." Il minimisera son appétit soudain de travail, lui qui avouait avoir besoin de 3 ans pour écrire 12 chansons mais qui vient, sous pseudonyme, d'en fournir à Patricia Kaas, Christopher Thompson et Marc Lavoine, sans parler des guitares ou choeurs tenus pour Charlebois, Patsy... ("J'aime bien la vie de studio et je voulais rencontrer de nouveaux musiciens, arrangeurs ou techniciens avant de commencer mon album. Ce n'était pas beaucoup de boulot").

Il repoussera l'idée que ses textes sont plus sentimentaux ou révéléateurs qu'auparavant : "Je n'ai pas l'impression d'avoir plus de liberté pour m'exprimer ouvertement maintenant qu'on chante à 3 voix avec Michael Jones et Carole Fredericks. La forme a changé, pas le fond. Une chanson comme "Confidentiel" sur la fin d'un amour était plus "révélante". "Dors bébé dors" ou "Pas toi" étaient très impudiques, même si le public ne s'en est pas douté. Et si j'écris au féminin "Il me dit que je suis belle" pour Patricia Kaas, ou "Il part" pour Carole, c'est que ce sont les femmes que je connais le mieux et qui m'intéressent le plus". Mais il ne tentera pas de nier qu'il voit rouge dès qu'on évoque les questions politiques et sociales de ces dernières années. Ces critiques déterminées surprendront les fans qui connaissaient mal ses origines familiales et son goût pour l'information et les débats d'idées. On savait pas contre que Goldman était un homme de conviction et de loyauté, même s'il fallait être dans la confidence pour apprendre qu'il avait préféré, pour ses enfants, la normalité de l'école publique au ghetto privilégié du privé. Interview :

TM : Dans le livre-CD qui constitue l'édition luxueuse de "Rouge", en plus des paroles, des illustrations de Mattoti et des nouvelles de Chalandon, il y a des textes en italiques où tu te livres beaucoup plus que d'habitude.

JJG : Ce sont des extraits d'une interview avec Sorj Chalandon, journaliste à Libération mais surtout ami-proche. Peut-être qu'il s'en dégage plus d'intimité. Il connait mon travail dès les maquettes et je le fais même travailler sur les textes. Sur le livret du CD, je remercie les "pauliniens" parce qu'on se trouve toujours à six, Sorj fait partie du cercle, dans le petit restaurant Chez Pauline. Je lance un thème et ils racontent ce qu'ils en pensent. C'est une de nos traditions. Par exemple, je leur raconte une situation : une chambre d'hôtel, 2h du matin, un couple se sépare, il va trouver son épouse, que pense la maitresse laissée seule ? Ils me racontent leurs expériences ou leurs impressions et je m'en sers plus écrire "Il part". Ce sont eux qui m'avaient dressé une liste d'actes manqués pour l'album précédent, même si la chanson "A nos actes manqués" ne reprend pas toutes leurs suggestions allant du poil sur le savon aux néons déprimants de la salle de bain. Je ne suis pas du genre à m'asseoir en me disant "aujourd'hui, réfléchissons à l'insémination artificielle ou au cours mondial de la patate". "Réfléchir", "penser" ce sont des mots qui me semblent lourds, je préfère plutôt "discuter", "être ensemble". C'est surtout le plaisir de se réunir pour tenter de trouver une logique à tout ça qui nous motive.

TM : On perçoit en France une déception et une inquiétude générales. Ta position de chanteur à l'abri du besoin ne semble pas t'avoir préservé de ces sentiments.

JJG : Bien sûr. D'ailleurs, tous les albums sont datés, remplis des trois années qui viennent de se passer. Il n'y en a pas un seul qui n'ait pas une relation directe avec l'actualité. Mais je suis sûr que c'est vrai pour n'importe quel chanteur qui met un peu de sens dans ses chansons. En 86-87, Cabrel, Renaud, Souchon et les autres n'ont pas pu ne pas parler de la faim en Afrique et du drame éthiopien par exemple. Aujourd'hui, si en même temps que Rouge, il y a une chanson comme "Foule sentimentale" de Souchon, ce n'est peut-être pas un hasard.

TM : Rouge, le titre de l'album, se réfère à une symbolique de cette couleur plus large que celle de la politique. C'est pourtant au communisme et à la chanson "Rouge" qu'on ramène tout l'album.

JJG : Je savais que je n'y échapperais pas. C'est le plus facile. Récemment, ma mère m'a téléphoné une critique où le journaliste trouvait incroyable qu'on puisse croire encore à ces rêves révolutionnaires. Il pensait que c'était moi qui parlais quand je chante "y aura du soleil sur nos fronts et du bonheur plein nos maisons, c'est une nouvelle ère, révolutionnaire" . Bien sûr, c'est une chanson "comédie musicale", une évocation de l'après-1917 (la révolution russe), de l'immense espérance de cette époque, de la beauté de cette espérance, même si, nous en 1994, on sait très bien comment cela va finir.

TM : Dans le livre-CD "Rouge", tu t'en prends nommément à "Tapie, Fabius, Attali, la bande à Mitterrand... des tricheurs se revendiquant des Droits de l'Homme, de l'anti-racisme. Ces idéaux deviennent tricheries". Tu n'avais jamais été si violent et si précis.

JJG : Des hommes politiques se sont fait élire sur ces idées. Et puis, quand ils ont eu accès au pouvoir, on les a retrouvés impliqués dans des délits d'initiés. Ce n'est pas rien, c'est quand même piller l'Etat pour s'enrichir personnellement. Autour de cette bande, il y a beaucoup trop d'hôtels particuliers à Paris, de yachts, de Rolls Royce, d'avions privés... Dans les "grands travaux" (l'Arche de la Défense, L'Opéra-Bastille, La Pyramide et le "Grand Louvre", la nouvelle bibliothèque nationale) , il y a bien sûr une volonté d'entrer dans l'Histoire mais cette ambition personnelle, on peut encore dire qu'elle profitera finalement à la France. Par contre, arroser ses proches et sa famille, protéger ses partisans, c'est incompatible avec l'altruisme et l'honnêteté des militants de base qui ont voté et travaillé pour eux. Ça ne me choquerait pas chez un homme politique de droite parce que lui n'a pas prétendu qu'on allait tout partager puisqu'on était tous frères et égaux. Venant de la gauche, c'est une terrible trahison.

TM : Tu n'avais jamais exprimé une telle irritation mais, en même temps, tu conserves un aspect positif qui a toujours été présent dans tes chansons et leurs explications.

JJG : Il a fallu attendre ces 3 dernières années pour qu'on parle de corruption, de délit d'initié et de suicide. Personnellement, je ne me sens pas floué, enfin si un peu, en tout cas, je ne suis pas à plaindre. Mais surtout, j'ai vu toute ma vie des militants de base compter leurs sous mais quand même penser aux autres et travailler pour les autres. Trahir ces gens-là, qui sont le milieu dans lequel j'ai grandi, c'est vraiment ignoble.

Mais je n'ai pas de regrets parce que l'espoir continue. Je reçois des témoignages émouvants dans ce sens. Par exemple, dans une radio, entre deux jingles, un gamin que des filles en mini-jupes et une Porsche attendent dehors me demande : "Tu crois vraiment que ce n'est pas mort, qu'il n'est pas ridicule de croire en ces idées-là ?" Il y a 3 ans, il était étudiant en socio et maintenant il fait le clown dans une radio. Mais il se sent devenir con et se demande s'il n'y a pas autre chose à faire dans la vie que de s'offrir une voiture de sport. Beaucoup se posent cette question. Il est plus sain de penser "on a été trahi" que "nous avions tort".

TM :On a pourtant l'impression d'un retour en arrière, d'une population tellement angoissée par la crise qu'elle est prête à tout pour être rassurée, même à soutenir des gouvernements qui lui expliquent tranquillement que, pour sauver un minimum d'emplois et d'avantages sociaux, les riches doivent devenir plus riches et les pauvres plus pauvres.

JJG : Ce qui m'énerve, c'est qu'on puisse penser ça. On a eu la malchance de rencontrer ces socialistes-là, même si le hasard est moins responsable que la société qui façonne les hommes. Peut-être que la société française n'était pas prête, trop caviar, trop intello... Peut-être que la crise va sécréter des gens plus efficaces et surtout moins corrompus. Non seulement je crois que les idées de gauche restent bonnes mais même qu'elles sont le seul moyen de se sortir de ces problèmes. Une solution individualiste à l'américaine, on voit que cela mène à une cohabitation, à 2 rues de distances, du quart monde et du 24è siècle. La solution ne peut qu'être collective.

TM : Tu sembles considérer les guerres comme une fatalité de l'Histoire, non de la nature humaine. C'est, d'une certaine manière, optimiste puisqu'on peut plus facilement changer les circonstances que l'homme.

JJG : Oui, c'est d'ailleurs le thème de la chanson "Né en 17 à Leidenstadt" ("si j'étais né sur les ruines d'un champ de bataille, aurais-je été meilleur ou pire que ces gens si j'avais été allemand ?" ). L'Europe occidentale est en paix depuis 50 ans et, ici, tous les problèmes d'un jeune de 20 ans, c'est de choisir entre une R5 ou une peugeot 106. En Algérie aujourd'hui, il faut choisir entre être égorgeur, complice ou égorgé. Le jeune Bosniaque n'a même pas ce choix.

TM : Le temps qui passe est un autre grand thème de "Rouge".

JJG : C'est une obsession caractéristique des plus de 40 ans. Je connais mes musiciens depuis plus de 10 ans, on a eu ensemble l'insouciance des gens de 30 ans, maintenant la fuite du temps est notre grande complicité. Quand je rencontre Yves Simon, Alain Souchon ou Philippe Labro, on discute 6 min de l'affaire OM-Valenciennes, trois des pêcheurs bretons et à la fin de la conversation, c'est le temps qui passe. J'ai croisé Hallyday dernièrement et, après quelques minutes à parler de moto [Goldman est un pratiquant passionné], on s'est mis à évoquer notre âge.

A 30 ans, on a l'impression d'un temps infini devant soi. On remet toujours au lendemain. A 40 ans, on sent que le temps est compté. J'ai eu 40 ans à Bruxelles [le 11 octobre 91]. On avait glissé deux mots sous ma porte pour mes 40 ans. L'ingénieur du son me souhaitait "bienvenue au club, tu verras ça ne fait pas mal". C'est vrai, ça n'empeche pas de vivre. Un des claviéristes me demandait : "qu'est-ce que ça te fait d'aller sur tes 50 ans ?" . Et c'est vrai aussi. L'étape suivante ce sera pas 35 ou 38 ans mais 50 ans, déjà presque 60 ans. C'est une donnée nouvelle à laquelle il faut faire face.

TM : Dans "Que disent le chansons du monde", tu constates, qu'au fond, les chansons racontent toujours les mêmes histoires. N'est-ce pas frustrant pour quelqu'un qui se veut créateur ?

JJG : Non, parce que j'ai jamais eu la moindre illusion. Tu ne crois quand même pas que j'ai cru faire évoluer la chanson mondiale ? J'ai certainement tenu un petit rôle. J'ai été un de ceux qui ont fait passer la musique rock dans la chanson française et l'ont popularisée. Je n'ai pas été inutile mais avoir fait des choses nouvelles, sûrement pas. Au départ, mon ambition "démesurée" était d'écrire des chansons et d'en vivre, même pas de les chanter.

TM : Tu as, à nouveau, la dent dure contre "les rocks stars en stock, ex-rebelles jet-settisés" [On a pas changé]. Tu ne pardonnes décidément pas ce marketing de la rébellion.

JJG : C'est une blessure toujours rouverte, une autre trahison. Je m'étonnais récemment de la forme physique des Guns'n Roses. Sur scène, Slash et Axel sont toujours torses nus et ce sont de vrais athlètes. Je me souviens de junkies comme Johnny Winter, Neil Young ou Keith Richards, ils ne ressemblaient pas à des sportifs. Et puis, j'ai appris par le réalisateur du clip "Rouge", qui a aussi travaillé avec eux, qu'ils ont des appareils de musculation jusque dans leurs chambres d'hôtel et qu'une fille est engagée uniquement pour préparer leur jus de carotte. Quand on sait que l'album s'appelle "Appetite for destruction", que le groupe est le chantre du "sexe, drogue, et rock 'n roll", que les kids vont croire que c'est la défonce qui leur donne cette énergie et ce corps, quand on sait que tout ça finit dans le jus de carotte et un mariage avec un mannequin, c'est du cynisme à l'odeur de vomi. Moi, je n'ai jamais été fasciné par ce mythe de l'autodestruction liée au rock et à l'adolescence. Mais j'étais honteux de ne pas en être, de tousser en fumant un joint, d'avoir peur des piqûres et de rentrer tôt le soir pour ne pas inquiéter mes parents.


Retour au sommaire - Retour à l'année 1994

- Signaler une erreur Ajouter à mes favoris