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Céline Dion : la conquête du monde
(L'Actualité, 1er janvier 1996)

Céline Dion : la conquête du monde
L'Actualité, 1er janvier 1996
André Ducharme
Retranscription de Monique Hudlot

Treize millions de disques vendus dans plus de 25 pays ! La France est sous le charme et les États-Unis craquent pour sa "voix céleste".

Céline, grande de l'année? On est flattés, c'est important, L'actualité. Et "Céline est toujours fière d'être honorée au Québec", me dit au téléphone René Angélil, agent et mari de Céline Dion. La vedette, elle, récemment victime d'une rhinopharyngite, repose sa voix, dont elle a bien besoin par les temps qui courent.

En 1995, Céline Dion a conquis la France. Rien que ça. Le courant, il est vrai, a mis du temps à passer, malgré le sympathique effort du populaire animateur de télévision Michel Drucker, qui la présentait déjà comme un phénomène en 1984. La colombe avait alors 16 ans, les dents croches, des robes sans bon sens, un organe puissant, mais un charisme très relatif.

Aujourd'hui, la France entière croit en "D'eux", l'album que lui a sculpté Jean-Jacques Goldman, l'auteur-compositeur (aussi interprète) français le plus respecté. Pour ce disque, mêlant ballades, blues et gospel même, "Jean-Jacques m'a appris à déchanter", répète Céline Dion. Goldman a expliqué au magazine L'Express l'ex-résistance des Français au talent Dion : "Des chansons inégales, pas d'image et surtout une interprétation datée". Point de vue colonisateur peut- être, mais Céline l'a pris au sérieux. Pour lui, pour "D'eux", elle adopte la sobriété, lâche la haute voltige vocale (ce qui n'empêche pas les montées vertigineuses), cherche l'émotion. Le travail porte ses fruits : l'album s'envole comme des baguettes.

Prédiction des experts : d'ici Noël l'album aura atteint en France les 2 200 000 ventes. De quoi faire trembler sur son socle Sa Majesté Jackson elle-même, qui détient le record absolu du disque le plus vendu en France : 2 500 000 exemplaires de "Thriller". Premier admirateur de sa femme, René Angélil fait les comptes : "Le 23 octobre, on a écoulé en une seule journée 57 000 exemplaires de "D'eux". Faut dire que la veille, Envoyé spécial, une émission de prestige d'Antenne 2, avait consacré à la chanteuse un reportage de 45 minutes. Ça s'appelle un coup de pouce.

Angélil affirme : "C'est le plus grand phénomène musical à avoir touché la France au cours des 20 dernières années". Sa déclaration, vérifiée et relayée par les médias, est confirmée par la ruée vers les magasins, le balayage des ondes. Une amie, responsable des arts de la scène à l'ambassade du Canada à Paris, résume : "C'est la folie furieuse, on la voit et on l'entend partout".

"Céline est un trésor national", m'a dit un jour le patron de Sony du Canada. Trésor, le mot est juste. Celle qui signait, en 1991, un contrat de 10 millions de dollars avec Sony Musique, devrait en rapporter des centaines de millions, et cette année seulement ! Le gosier d'or fait des merveilles, met les statistiques dans une impasse.

Accrochez-vous : au moment où j'écris ces lignes, cinq albums de notre Céline occupent le Top 50 ; "D'eux" se cramponne à la première place depuis 27 semaines ; le single, "Pour que tu m'aimes encore", a séduit plus d'un million d'acheteurs en France seulement; et en dépassant les trois millions d'exemplaires, "D'eux" se révèle l'album français qui s'est le plus vendu dans le monde (sur le nombre, 400 000 au Québec - un record de tous les temps - et, sous le titre de "The French Album", 150 000 aux États-Unis, un sommet). En Angleterre, Céline Dion a reçu, le 1er novembre dernier, un disque d'or pour les 100 000 compacts - en français, yes sir! - envolés : une première. En Hollande, du jamais vu pour une chanson française, "Pour que tu m'aimes encore" a collé cinq semaines à la tête du palmarès. Et combien d'autres exploits de ce genre. "J'ai la liste ici devant moi. Vous voulez que je vous l'envoie ?" me demande Angélil.

Maintenant, si on additionne les chiffres de vente combinés de "The Colour of my Love" et de "D'eux" partout dans le monde, soit dans plus de 25 pays, on atteint le score de 13 millions de disques. Faramineux.

Portée par son triomphe sur disque, Céline Dion entreprenait, cet automne, une tournée européenne de 50 spectacles à guichets fermés (sur le marché noir, le prix des billets pouvait grimper à 500 dollars). Dans des salles de 6 000 à 16 000 places, du Spektrum d'Oslo au Wembley Arena de Londres, la chanteuse prouve qu'elle est encore meilleure en chair et en gestes que sur disque. La critique, presque unanime, sort le traîneau des grands mots : "voix céleste, concert consécration, spectacle parfait". Plusieurs journalistes la comparent à Mariah Carey, sa principale rivale aux États-Unis, qui joue dans les mêmes plates-bandes pop, avec des productions aussi nickel et un répertoire aussi béton. Mais le spectre vocal de Céline est une menace pour toutes les autres.

Le producteur Guy Cloutier n'hésite pas une seconde : "C'est la plus grande chanteuse du monde". Plus nuancé, Jean-Jacques Goldman l'assoit à la même table que Barbra Streisand et Aretha Franklin. Deux idoles de Céline. "Pendant qu'on était en France, raconte Angélil, Céline a voulu visionner tous les documents sur Édith Piaf. Je crois qu'elle va en rester marquée pour la vie. Elle m'a dit : "Il y a tellement de choses qui lui sortent du coeur quand elle chante, qu'il n'y a pas une technique vocale qui tienne à côté de ça"".

Ayant entendu la môme Dion oser Quand on n'a que l'amour de Brel, au Zénith à Paris, Luc Plamondon a dit sur les ondes d'une radio : "Elle est rendue à un stade où il lui faut des choses démesurées. Je rêve de lui écrire des chansons que je suis peut-être incapable d'écrire".

Céline Dion a 27 ans, le teint pâle, un long cou, la coiffure changeante, le coeur à la bonne place. Et un garde du corps, signe de star. C'est une bosseuse, dont l'horaire est réglé comme du papier à musique. Lever vers 14 h, vocalises, silence total jusqu'au moment de la représentation. Hygiène vocale et discipline de vie exemplaires.

En vacances du 20 décembre au 20 janvier, elle s'offre un peu de délinquance avant d'attaquer son agenda 1996-1997 : 400 spectacles dans toutes les régions du globe. La tournée de l'automne 1995 n'était donc qu'un amusegueule, un échauffement. Ça part sur les chapeaux de roues, le 22 janvier. Elle sera la vedette du MIDEM (Marché international du disque, de l'édition musicale et de la vidéomusique), à Cannes ; le gouvernement français profitera de l'occasion pour lui remettre une statuette couronnant l'"artiste francophone ayant le plus vendu de disques dans le monde". Pas le temps de savourer sa victoire, Céline sommeille déjà dans l'avion qui l'emmène en Australie.

Au printemps, elle lance son quatrième album anglais (enregistré, avec le gratin des réalisateurs, dans les meilleurs studios de Los Angeles, de Nassau et de New York), qui contient une reprise de "All by Myself", un succès des années 70, et trois chansons de Goldman traduites en anglais. "Pour que tu m'aimes encore", proclamée chanson de l'année au récent gala de l'ADISQ, s'appelle "If That's What It Takes". Attendons voir la réaction des Américains. Un mois de promotion aux États-Unis, puis la machine Dion arrive au Québec en mai, étrenne le nouveau Forum de Montréal, poursuit son chemin au Canada et retourne aux États-Unis. Puis, c'est l'Orient (la Malaisie, l'Indonésie, le Japon, etc.), l'Europe et l'Australie de nouveau. Le traintrain, quoi!

La petite Céline est devenue une femme solide sur ses belles jambes, sûre de ses attraits, formidablement sexy dès qu'elle a pu avouer publiquement son amour pour René Angélil. Cette cachotterie (pourtant un secret de Polichinelle) était le caillou dans sa chaussure.

Car Céline Dion possède une qualité rare chez les vedettes de son altitude : la sincérité. Peu importe où et en compagnie de qui elle se trouve, la fille d'Adhémar Dion, de Charlemagne, au Québec, dit tout ce qu'elle pense, avec sa candeur touchante, son vocabulaire plein de trous et son accent "ahurissant", comme le qualifient les Français. Sur la scène du Zénith, par exemple : "Moi, quand j'avais cinq ans, que je voulais devenir une chanteuse, je prenais ma brosse à cheveux comme si c'était mon micro. Pis là, je me regardais dans la glace, pis je me chantais ça comme il faut, pis je me dansais ça aussi".

Délire et frissons dans la salle, Céline Dion rend les rêves possibles. Ce n'est pas une marionnette à la Mireille Mathieu, elle a une tête et des lumières dedans. Elle ne manifeste aucun signe de déséquilibre mental. Oh ! on la sent fragile quand elle affirme : "Ça compte, ce que les gens pensent de moi". Faut-il rappeler qu'elle a tout fait devant public : elle a grandi, pleuré, épousé l'homme de sa vie. Celui-ci me dit d'ailleurs, avant de raccrocher : "Vous savez, les records, les premières, les choses spectaculaires ne font que commencer…"


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