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Pierre Goldman, le héros irrécupérable
(Marianne, du 6 au 12 octobre 1997)

Pierre Goldman, le héros irrécupérable
Marianne, du 6 au 12 octobre 1997
Yann Moix

"L'lnsoumis", le livre de Jean-Paul Dollé, permet à notre collaborateur Yann Moix d'évoquer "son" Pierre Goldman, ce juif magnifique, hors la loi, né pour être assassiné.

Pierre Goldman Le héros irrécupérable

Pierre Goldman est mon étoile jaune. Je le porte au cœur, cousu comme une bouche qui ne dénonce pas. Il m'a rendu juif. Juif jusqu'au courage devant la justice faillible, et juif jusqu'à la phobie des fascismes posthumes. Il fut un guerrier de l'Idéal, il n'est plus qu'une poussière atténuée. Avec les malentendus s'accumulent sur sa pauvre tombe les années qui s'en foutent. Le livre hommage de Jean-Paul Dollé, L'Insoumis, tombe à pic (1). Che Guevara, ailleurs, puis un peu partout, devint un mythe: Goldman n'incarne aujourd'hui qu'une vague erreur judiciaire jaunie par le temps, comme l'instantané d'une révolution qui n'eut jamais lieu. Suis-je donc le seul, de la génération des moins de 30 ans, à arpenter Pigalle, le soir, aux côtés de son souvenir ? Combien sommes-nous, dans nos chambres, le soir à lire et relire, depuis l'adolescence, les Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France ? Je revois, il y a six ans, le visage incrédule de l'égérie de son ami Yves Janin, lorsqu'elle m'entendit lui répondre que le type au monde que j'aurais le plus aimé rencontrer s'appelait Pierre Goldman. Son nom évoque une vague erreur judiciaire des années 70, instantané jauni par le temps d'une révolution oubliée. Je n'en fis jamais une icône, ce qu'il n'eût pas supporté, mais l'incarnation, sauvage et griffue, de l'insoumission. Non une insoumission de principe, théorique, intellectualisée, mais une insoumission physique, un brin bombeuse de torse, avec quelque chose du guérillero caressant son bazooka dans la nuit. Ce qui est fascinant, chez Goldman, au contraire, c'est cette contradiction entre l'appel du groupe et la volonté d'être seul. Etre juif, pour lui, c'est être héritier d'une solitude qui charrie ses souffrances et la mémoire de la Shoah. Suivre Goldman n'a pas de sens: sa vie reste à jamais inimitable, car Goldman n'a pas vécu. L'obsession de Pierre Goldman, c'est de transformer sa vie en destin. Autrement dit : faire de sa mort un chef-d'œuvre. Son existence tend tout entière vers une fin magnifique qui, d'un coup d'éclair, justifierait les années d'errance et de n'importe quoi. Chaque acte de Goldman, qu'il s'agisse d'un coup d'éclat antifasciste en Sorbonne en compagnie des "katangais" ou des marches parmi les ronces vénézuéliennes à citer Lénine, porte en lui ce telos obsessionnel : la mort rendra intelligible ce magma d'erreurs et de chemins qu'est la vie. Alors, sans cesse, il cherchera, parfois jusqu'au ridicule, une apothéose dont la fulgurance, loin de l'ériger en statue mythique des jeunesses en armes, le laverait de la souillure insupportable d'avoir été. Or, vivre dans l'excès de soi-même, mépriser les règles de la société, refuser toute autre morale que ses propres pulsions, c'est augmenter ses chances d'atteindre un trépas singulier. Un adieu proportionnel à ses outrances. Ainsi, Pierre Goldman n'a pas vécu. Il a, bien plutôt, incarné l'être. Cet être-pour-la-mort heideggerien cherchant coûte que coûte à s'extraire de lui-même pour devenir liberté pure. Il n'est pas un intellectuel, mais un corps. Un corps en vitesse qui cherche sa légende à travers son temps, et la provoque comme on accouche d'une idée. Goldman est un écrivain qui s'écrit lui-même, avec lui-même. Sa plume, ce sont ses poings, et sa page blanche, ses journées vides. L'angoisse est là, sourde et pleine de morgue: il faut remplir le temps. En ces années de poudre, au début des années 60, les combats de manquent pas : Goldman occupe son corps dans la fréquentation de l'Union des étudiants communistes, soutient l'indépendance de l'Algérie et, aux sorties d'Assas, va casser du facho à coups de barre à mine. Sa culture proprement philosophique est maigre et, au fond, la politique ne l'intéresse pas. Ce qu'il cherche ? Ce qu'il veut ? Tous l'ignorent, à commencer par lui-même. Il cite Kant à tout va, mais Kant, c'est lui. Il devient tout ce qu'il touche, s'incarne dans les concepts et, lui que le temps obsède, finit par devenir son temps. C'est pourquoi ce crime dont on l'accuse, en 1969, l'assassinat de deux pharmaciennes, boulevard Richard-Lenoir, à Paris, ne sera que le prétexte pour qu'une époque, celle de la démocratie libérale giscardienne, en juge une autre, sur le fumier de laquelle elle a éclos : celle de l'anarchie lénino-marxisante. Goldman, au fond de lui-même n'aspirait qu'à cette embuscade de 1979 pour le relier au destin de son peuple maudit. La société, via Goldman, s'opère elle-même d'un furoncle, celui des années d'extrême gauche et de la contestation. Pour faire peau neuve, il faut laver sa propre mémoire. Quand il s'agit de Vichy, la France choisit l'amnésie et met quarante ans pour faire son procès. Quand il s'agit de Mai 68, elle expédie le dossier en quelques semaines et choisit sur mesure ses boucs émissaires. Goldman apparaît comme le plus lumineux, le plus naturel, le plus évident d'entre eux. Ses excursions paramilitaires au Venezuela, ses amis louches, ses nuits à taper sur des peaux dans les ambiances cubaines, sa vie de paumé, et, surtout, son mépris du droit positif, en font le hors-la-loi hors pair. A travers lui, le pouvoir en place soignera le traumatisme des années de poudre, quand il vacilla. Le juif Goldman, au fin fond de lui-même, n'aspirait de toutes ses forces qu'à cela, à cette culpabilité qui coule de source, à cette condamnation absurde, dont l'arbitraire et la violence le relient au destin de son peuple maudit. Ce crime d'un autre, il mérite d'en payer le prix parce que l'existence d'un être comme lui ne peut avoir de sens. La Shoah a tué le sens. La seule chose à faire, c'est payer. Pour tout. Pour tous. Justice, injustice, ça ne veut rien dire quand toutes les valeurs, toutes les justices sont restées à Auschwitz. Légal, illégal, ça ne veut rien dire quand on sait que la loi, un jour, fut marquée d'une croix gammée. Coupable ? Mais quel est ce mot ? "Je suis innocent parce que je suis innocent", fut la défense de Goldman lors du procès. Il fut Goldman parce qu'il fut Goldman. La seule manière de le comprendre eût été d'être lui. Pour plagier Lacan, qu'il détesta, on dira de Pierre Goldman, dont la vie brève est un lapsus : jamais il ne se fera Maître. Ni aujourd'hui, ni demain.

Yann MOIX (1)

(1) L'Insoumis, vie et légende de Pierre Goldman, Grasset, 288 p., 125 F Sortie en librairie le 15 octobre.


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