Au début du mois d'avril de 1970, Pierre Goldman se rend chez un ami, rue de l'Odéon. Au moment où il va traverser la rue, il est brutalement intercepté par un groupe de policiers. Le lendemain matin, la grande presse tiendra sa "une". On vient d'arrêter l'homme qui, le 19 décembre 1969, avait tenté un hold-up dans une pharmacie du boulevard Richard-Lenoir, tuant la pharmacienne et sa préparatrice, blessant grièvement un client et un policier qui s'était porté à leur secours. Rien que de très banal dans tout cela, encore un exploit policier dans la longue lutte qui oppose le vice à la vertu. C'est du moins la thèse que la police, relayée par la presse va accréditer. Pour les jurés qui auront à en délibérer cette semaine, l'affaire est loin d'être aussi simple que dans sa version policière.
Sur quoi, en effet, s'appuie-t-elle ?
1) Sur la dénonciation d'un "indic" dont la police n'a jamais donné l'identité.
2) Sur un aveu "a contrario" de Pierre Goldman qui aurait déclaré "spontanément" aux policiers qu'il n'y était pour rien dans l'"affaire Richard-Lenoir", avouant pour prouver que ce n'était pas "son style", trois autres hold-up dont la police n'avait pas identifié les auteurs. Les policiers prétendent qu'ils n'avaient pas fait la moindre allusion à Richard-Lenoir dans leur premier interrogatoire.
3) Sur la reconnaissance "formelle" de Goldman par le client blessé au cours de l'arrestation et par le gardien de la paix qui avait tenté d'arrêter l'agresseur.
4) Sur la reconnaissance d'autres témoins de la scène qui sont sortis à leur fenêtre en entendant des coups de feu.
Quatre points que les avocats de Pierre Goldman n'auront pas de peine à réfuter. La question de l'indicateur de police est douteuse en elle-même. La police devra donner des précisions qui jusqu'à présent, font défaut pour qu'elle puisse être prise en considération.
Les conditions de l'interrogatoire de Pierre Goldman au quai des Orfèvres ne sont rien moins que problématiques. Si les policiers ont réellement arrêté Goldman sur la foi d'une dénonciation, on comprend mal qu'ils n'y fassent pas allusion quand ils tiennent enfin l'assassin ! D'autre part, Pierre Goldman nie les propos qu'on lui prête.
La reconnaissance par les deux témoins directs est également entachée de doute. L'un d'eux a vu le portrait de Goldman dans tous les journaux avant d'avoir à l'identifier au quai des Orfèvres ; l'autre, le policier, avait été "préparé" à cette reconnaissance et avait vu une photographie de l'homme qu'il avait à "reconnaître".
Les conditions dans lesquelles s'est effectuée "la reconnaissance" de Goldman par les témoins ne sont pas claires. La police procède en faisant tourner dans une salle un certain nombre de gens, le coupable présumé et des policiers habillés de façon identique en fonction du signalement recueilli au cours de l'enquête. Les témoins ne sont pas visibles de la pièce où cette reconnaissance se déroule. Aucune photo n'a été réalisée, montrant l'ensemble des personnages ainsi exposés. Dans quel état était Pierre Goldman. Lui qui n'avait ni dormi ni mangé à ce moment là ? Un homme sur lequel pèsent de tels soupçons n'a-t-il pas un comportement qui le distingue des autres ?
Quant aux autres témoins, il est au moins douteux qu'ils aient pu, avec précision, identifier qui que ce soit un 19 décembre, le soir, de fenêtres situées à plusieurs mètres de la scène. Aucune reconstitution de l'agression n'a eu lieu. Elle eût permis de vérifier, entre autres, le bien fondé des témoignages de ce type.
Ces éléments sont, rappelons-le, pour l'accusation, les seuls éléments de preuve. Ils sont peu solides. Mais cette fragilité n'est pas seule à plaider en faveur de Goldman.
1) Pierre Goldman a toujours nié toute participation à l'agression du boulevard Richard-Lenoir pendant les quatre années de l'instruction de son procès. Il n'a jamais varié dans aucune de ses déclarations.
2) Les expertises balistiques ont toujours été négatives. Goldman a été arrêté sans armes. On en a retrouvé deux dans une valise qui lui appartenait : aucune n'a servi à cette agression.
3) Les signalements donnés par les témoins après le 19 décembre étaient beaucoup plus confus : on y parlait notamment d'"un noir".
4) Les meurtres commis dans la pharmacie sont à l'évidence les actes d'un individu affolé, perdant son sang-froid. Rien qui ne corresponde avec le comportement de Pierre Goldman. Ses amis proches disent de lui - et ont témoigné devant la police - qu'il était d'une parfaite maîtrise de soi, notamment dans les situations difficiles ou dangereuses.
D'autre part, et on ne manquera pas de le rappeler au cours du procès, Pierre Goldman s'était trouvé à l'occasion de l'un des trois hold-up qu'il a avoués, face à un homme qui tirait sur lui. Goldman était armé, il n'a pas fait usage de son arme. Voilà qui cadre mal avec les observations faites par les policiers sur l'agression du boulevard Richard-Lenoir.
5) La question de l'"alibi". Les policiers arguent contre Pierre Goldman de l'imprécision de ses déclarations à ce sujet. Il dit avoir rendu visite ce soir-là à des amis. Or les déclarations de ceux-ci sont différentes entre elles. N'importe qui de bon sens admettra que plus de quatre mois après, il est difficile de se souvenir à la minute près ses faits et gestes - ou des faits et gestes de copains qui vous rendent visite.
Telles sont les bases "matérielles" de ce procès. Nous y reviendrons évidemment au fur et à mesure de son déroulement.
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