Auteur, il le reconnaît sans réserve, de trois vols avec violences, accusé de deux assassinats et de deux tentatives qu'il récuse, et ô pointillisme de la procédure ! de port d'arme prohibée et d'usage de faux papiers. Pierre Goldman a des amis. Comme du temps de sa liberté, du temps de l'épopée qui était son aventure personnelle. Ni moins, ni plus d'amis toutefois qu'avant. Il a fallu ce procès devant la cour d'assises de Paris que préside M. Braunschweig pour inciter l'un d'eux, M. Marc Kravetz, au nom probablement de tous les autres, à signer dans Libération du lundi 9 décembre, son procès devant s'ouvrir l'après-midi même, un article intitulé "Pierre Goldman, notre am".
Le fait est en soi remarquable à l'intention d'un homme tant accusé, d'infractions de droit commun de surplus.
Car l'excuse n'est pas son mot. Ce qu'il prétend avoir fait, il le revendique et pour lui seul, aussi vraisemblable que puisse paraître parfois l'existence de complices. Pas plus qu'il ne se réfugie dans les méandres de cette psychologie primaire, d'usage dans les prétoires, pour tirer d'avance un bon de caisse sur les circonstances atténuantes de l'enfance malheureuse.
Né en pleine guerre de juifs résistants ? Oui. Carences affectives ? Non. Moins aimé que ses demi-frères et sa demi-sur ? Nullement. Moins aimé par sa mère légale (il fut reconnu par la femme qu'épousa son père au détriment de sa mère "biologique" ) que par cette dernière ? Qui le soutiendrait ? Une tentative de suicide d'adolescent ? Jamais.
Encore moins un traumatisme mal rétabli de ces événements de mai 1968 auxquels l'ancien membre de l'Union des étudiants, communiste devenu gauchiste en 1966 : "Je n'y ai pas compris grand-chose, n'étant plus dans le coup de ces formes de lutte".
Les voyages en Amérique latine alors ? L'expérience de guérillero permettait-elle de faire jouer la corde d'une contamination mal assimilée ? On saura simplement par la lecture d'une lettre à ses parents qu'il y menait "une vie très dure et très active". On ne saura rien en revanche, du pays où il était.
Un portrait élogieux
S'il ne récuse pas le portrait plus qu'élogieux qu'a fait de lui par écrit le directeur des prisons de Fresnes au profit du président de la cour d'assises pour dire : 1) qu'il a passé en prison une licence de lettres et une maîtrise d'espagnol, qu'il donne des cours bénévoles à ses codétenus, etc. 2) que durant les révoltes pénitentiaires de juillet-août derniers, malgré la dureté d'une incarcération sous le régime de la haute surveillance - "une conduite non pas excellente mais digne" - il a efficacement plaidé pour le maintien du calme. Pierre Goldman complète aussitôt le portrait en ces termes : "A cette époque, le 27 juillet, nous savions que tout mouvement violent était non seulement désiré par certains membres de certains syndicats pénitentiaires, mais que cela faisait totalement leur jeu pour faire valoir leurs revendications par rapport aux primes de risque. Les revendications des surveillants sont certainement légitimes, mais ce n'était pas à nous à servir de masse de manuvre pour les faire aboutir".
Pudeur est un mot qui a, pour Pierre Goldman, du sens dans une enceinte où les déshabillages du cur sont quelquefois un utile rempart contre les peines accablantes. Ce jeu, il n'en veut pas et explique dans une déclaration liminaire : "Je compte me présenter sans aucun des moyens traditionnels dans ce genre de procès, qui en augmente le côté théâtral, toutes choses qui me répugnent". Plus tard, il dira : "Je n'ai pas à exprimer d'opinion sur un domaine aussi intime. La loi peut exiger que l'on en parle, je ne suis pas obligé de répondre". Ou encore : "Je ne désire pas déballer en public des motivations psychologiques alors que je ne suis pas certain de leur pertinence. Je désire m'en tenir aux faits".
Pour tout le monde, qu'on l'en dise innocent ou qu'on l'en accuse, le plus grave de ces faits est le meurtre d'une pharmacienne et de sa préparatrice, boulevard Richard-Lenoir, à Paris (11è), le 19 décembre 1969, vers 20 h 10, meurtres accompagnés d'une tentative de meurtre sur un client d'abord, puis sur un gardien de paix qui tentait de ceinturer l'agresseur.
Avec le même calme qu'il avait pour reconnaître les vols qualifiés, Pierre Goldman rejette toute responsabilité dans ce quadruple crime. Ayant avoué, sans détours, à l'audience, sa culpabilité dans les trois agressions, il attend que soient aussi tenues pour sincères ses protestations pour l'affaire du boulevard Richard-Lenoir : "Je suis innocent parce que je suis innocent".
Ce n'est pas qu'un système de défense dont la portée serait d'ailleurs fatalement limitée. Même si la peine encourue n'est théoriquement pas plus grave dans ce cas que dans les précédents.
Complexe et trouble
Pierre Goldman a d'abord un alibi qui tient en ceci : le jour du meurtre, explique-t-il, j'avais rendez-vous à 19 h 30 au métro Saint-Paul avec un complice pour une agression contre une crémerie en gros. Il n'était pas là. Je me suis rendu chez un ami, rue de Turenne, chez qui je suis resté jusqu'à 20 h 30 ou 21 h.
Pierre Goldman lui-même ne juge pas cet alibi décisif. Mais M. Braunschweig en tirera pour sa part la conclusion suivante : "Il est certain que vous êtes allé depuis le métro Saint-Paul chez cet ami. On peut penser que c'était le 19 décembre. Mais à quelle heure ? Tout est question d'heure, de minutes. J'ai bien peur qu'on ne puisse jamais l'établir". Que dire après cela ?
Pierre Goldman a d'autres arguments. Pour lui, arrêté le 8 avril 1970 à Paris sur dénonciation, l'accusation de meurtre qui le vise résulte directement de la personne de son dénonciateur et les policiers qui se sont saisis de lui savaient déjà sur son compte beaucoup de choses.
Selon Pierre Goldman, l'informateur - unique - de la police connaissait tous les détails des trois agressions reconnues et croyait que l'accusé avait commis la quatrième boulevard Richard-Lenoir, ce qu'il nie. Le réalisme des détails livrés à la police dans les trois premières affaires ont rendu (sic) crédibles les soupçons dont le dénonciateur a fait part sur la quatrième.
De sorte que, à peine arrêté, Pierre Goldman soutiendra avoir entendu avant tout interrogatoire sur ce dernier sujet des propos tels que : "C'est toi l'assassin des pharmaciennes" ou "On vient de sauter le mec de Richard-Lenoir".
"Demandez à l'informateur, dit alors Pierre Goldman, de vous dire pourquoi il croit à ma culpabilité, mon innocence en découlera".
Mais ce nom, personne ne veut le fournir. M. Gustave Jobard, directeur adjoint de la police judiciaire appelé pour témoigner sur ce point, présentera une curieuse défense de l'institution telle que : "L'indicateur, c'est une race qui disparaît" ou "Je me refuse à faire une enquête qui aurait pour but d'identifier un indicateur". Cette remarque lui vaudra un discret rappel à l'ordre du ministère public, faisant observer : "A moins que ce ne soit de nature à faire avancer le dossier" .
Pour des raisons bien différentes, accusé et défenseur s'y refusent aussi, craignant que leurs révélations ne permettent à la police de dire que le personnage découvert est étranger à l'affaire.
A ce point du débat, M. Braunschweig, semblant percevoir, selon l'expression de Pierre Goldman, "quelque chose de complexe et de trouble", a éclaté : "donnez-moi ce nom", s'adressant visiblement à tous. On le comprend. Mais n'y a-t-il vraiment rien en son pouvoir permettant de donner satisfaction à la défense sans déplaire, puisque cela paraît si important, à la police ? Ou bien laissera-t-on s'accréditer l'idée que cette affaire Goldman est un vestige de la chasse aux gauchistes, florissante en 1970-1971 ?
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