Pierre Goldman n'a pas été condamné parce qu'il était coupable d'un double meurtre et de deux tentatives de meurtre le 19 décembre 1969, boulevard Richard Lenoir. Pierre Goldman n'a pas été condamné au vu de preuves formelles, irréfutables. On n'a pas demandé aux neufs jurés si la culpabilité de Goldman était établie. Chacun sait aujourd'hui qu'elle ne l'était pas.
Non, Pierre Goldman a été condamné sur une "intime conviction", par une "majorité d'au moins huit voix", comme le veut la loi.
Ce verdict scandaleux sanctionne une monstrueuse erreur judiciaire.
L'"intime conviction" c'est la conviction que même s'il n'est pour rien dans ce dont on l'accuse, "il aurait bien pu". La seule certitude des jurés c'est le constat terrible qu'"il n'est pas comme nous". Pierre Goldman a été condamné parce que ses parents étaient juifs et résistants. Il a été condamné parce qu'à l'âge de 6 ans, une institutrice le trouvait indiscipliné et parce qu'à 16 ans un censeur de lycée le fait mettre à la porte pour ses activités politiques. Il est condamné parce que - et si ce n'est lui c'est donc ses frères - des voitures ont brûlé rue Gay Lussac en mai 68 et que des lycéens se révoltent aujourd'hui contre l'école et la famille, comme il le faisait en 1961. Il a été condamné parce qu'il étudie la philosophie en prison et qu'il l'enseigne à de jeunes détenus alors que chaque juré, chaque boutiquier, sait que philosophie se résume à sexe, drogue, endoctrinement et subversion.
Pierre a été condamné pour la longueur de son nez : tous les témoins l'ont dit, à l'audience, bien que ce détail n'ait jamais figuré dans leur déposition avant que l'on eût "identifié" l'assassin des pharmaciennes. Pierre Goldman a été condamné sur des preuves construites par les policiers de la brigade criminelle et sur des préjugés moraux et racistes fabriqués par l'idéologie ambiante et la majorité silencieuse.
Il a été condamné par un jury dans lequel ni toi ni moi ne figureront jamais, ni des gens qui pourraient être des amis de Pierre, des frères de combat, des gens qui te et me et lui ressemblent. Ce n'est pas une "majorité d'au moins huit voix" qui a condamné Pierre. C'est un monde qui juge un autre, qui juge sans connaître, qui juge parce qu'il a peur de l'autre et qui se venge, par la réclusion perpétuelle, de cette peur. C'est un monde pour qui la résistance juive, celle qui fut la mère de Pierre ne peut être qu'une "exaltée", un monde qui dit "l'Amérique du Sud" par ce qu'il ne sait pas que l'Amérique latine existe comme il dit le Tonkin ou l'Indochine, pour ne pas parler du Vietnam. Un monde qui dit "mulâtre" dans les dépositions mais "métèque" quand il parle. Pierre a été condamné à la réclusion à vie : le combat pour faire éclater son innocence ne fait que commencer. Mais ne nous y trompons pas, nous avons tous été condamnés avec lui vendredi soir.
Retour à "Pierre Goldman : le dossier"