Une brèche qui d'un coup projette en pleine lumière le scandale de la machine judiciaire, le laminoir des assises, avec ses représentants "du peuple" qui au nom du peuple français, condamnent des présumés innocents à la réclusion criminelle à vie. A la mort lente. Ce scandale est quotidien. Ils sont des dizaines chaque année qui sortent ainsi broyés des Assises, pour rentrer dans la nuit, terrorisés à vie. Immigrés, ouvriers ou paysans, sortis de leurs vies quotidiennes, écrasés par le langage et le savoir de l'appareil, dominés par les magistrats et par les policiers. Ils sont des dizaines chaque année exécutés de cette manière. Et donc, la trace se perd, dans l'oubli de la prison.
Dans la machine qui mène un homme jusqu'à la prison, tous les maillons ont été attaqués ou sont l'objet d'attaques incessantes. Les détenus se sont soulevés dans les prisons. L'instruction et son secret sont l'objet de contestations incessantes. Restait la machinerie qui condamne, la pourvoyeuse de Centrale. L'événement de la nuit de vendredi à samedi c'est celui là : la contestation de la cour d'Assises. Du saint des saints de la justice.
C'est d'ailleurs ce que Pottecher, chroniqueur judiciaire et Braunschweig, le président des Assises, ont parfaitement compris. A la colère subversive de la nuit, ils ont opposé comme cela se fait maintenant de manière générale, des réformes : réforme du systèmes des jurés pour Pottecher Réforme générale des Assises pour Braunschweig.
Pourtant, vendredi soir, personne n'était venu là pour commettre un acte politique répondant à un mystérieux mot d'ordre d'extrême gauche. L'extrême gauche organisée n'aime pas Pierre Goldman. Pas plus que l'extrême gauche ne passionne Goldman. C'est son droit commun et son affaire n'intéresse personne. Personne sinon ceux qui l'ont connu. Pour la plupart, entre 1962 et 1966, lors de la crise de l'UEC avec la direction politique du PC et dans la lutte contre les fascistes à la fin de la guerre d'Algérie. Pierre était aimé. Et chacun alors, fut aussi un artisan de ce qui allait mûrir un jour et exploser sous le nom de mai 68. Les mêmes d'ailleurs se retrouvaient aux premières lignes de mai 68, comme ils se retrouvaient hier là, au MLAC, au GIS, ou ailleurs. Pierre Goldman avait emprunté une autre route comme beaucoup, mais il avait été lui jusqu'au bout de cette route : en Amérique latine. Et lorsqu'il était revenu il avait eu du mal à comprendre, à s'insérer dans la contestation. Il avait manqué le virage de mai 68.
Un miroir pour chacun de nous.
Et pendant toute cette semaine, chacun à travers Pierre, était venu comme on répond à un appel personnel. Parce que chacun de nous, face à Goldman, était face à un miroir. Cela aurait pu tout aussi bien être mon procès, comme celui de Jean, d'Yves ou des autres. C'est pourquoi nous étions là. Pour une affaire personnelle qui alors, n'avait pas de mot d'ordre. Qui n'avait rien à voir avec la politique. Chacun était venu pour un ami. Chacun était directement concerné.
La révolte a été d'autant plus grande, que chacun dans cette salle, s'était, comme Pierre Goldman si l'on ose dire, laissé prendre aux mirages de la justice. L'attente du verdict était inquiète. Mais personne n'attendait un verdict de culpabilité dans l'affaire Richard Lenoir. De la déférence de l'avocat général et du président, chacun tirait des conclusions. En bonne logique, lorsque les témoignages de l'accusation ont été démolis par la défense, il apparaissait clairement que Goldman serait condamné pour les attaques à main armée. C'est tout. C'était déjà énorme. Nous avions tout oublié ou plutôt nous ne savions par que la cour d'Assisses c'est la justice rendue par une petite bourgeoisie bornée de notables. Que la police et la justice fonctionnent en l'occurrence comme des "machinations de bonne foi" et qu'à s'en remettre à elle, à ses servants et à ses magistrats, un révolutionnaire, truand et intelligent de surcroît, est a priori un suspect. A priori un homme socialement dangereux. La cour normalise. La même cour d'Assises présidée par le même Braunschweig avec d'autres jurés, condamnait Tramoni, policier de Renault, qui avait assassiné Pierre Overney en lui tirant dessus à bout portant à 4 ans de prison. La même cour, elle, a condamné Pierre Goldman à la réclusion à vie. Sans preuves. C'est la machinerie judiciaire qui l'a condamné. Pierre ne le savait pas comme nous ne le savions pas. La violence de la réaction a été à la mesure de la découverte.
Pierre Goldman croyait qu'il lui suffisait d'être innocent et à partir de là, de se battre à l'intérieur de l'institution, avec des avocats coutumiers de ce type de batailles, des pénalistes, comme Me Pollack et Liebman, Pierre ne voulait pas d'un procès politique, pas plus qu'il ne voulait apparaître comme un cas social, ce qui, malgré ses exigences, a pourtant été fait à plusieurs reprises. En particulier de la part de Me Liebman.
Pierre Goldman, le lendemain du verdict, samedi matin, à Fresnes, recevait la visite d'une amie. Comme elle lui avait demandé comment il supportait le choc, il eut cette phrase : "De voir tous ces amis, ça a été mon mai 68 à moi".
Et, l'événement de la nuit de vendredi
à samedi, c'est aussi cela. Pierre comprenant tout à coup, alors
qu'il était presque transporté par les événements
au bord de la folie, que contre une institution comme la justice, le face à
face d'homme à homme entre lui et de grands policiers, entre lui et Braunschweig
ne suffisait pas. Alors qu'éclatait la présomption d'innocence,
"une machination policière de bonne foi" - parce que s'est
ainsi que fonctionne l'institution - l'a envoyé à la mort lente.
Du coup, il apparaissait que contre la justice, il faut aussi un mouvement de
masse, un rapport de forces qui fasse éclater les contradictions de l'institution.
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