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"Jurés assassins !"
Libération, lundi 16 décembre 1974
Article de Serge July
Retranscription de Nathalie Laverdure

La nuit du verdict de Pierre Goldman aux Assises de la Seine.
"Jurés assassins !"
… criaient le public, des avocats, des journalistes, à l'énoncé du verdict condamnant Pierre Goldman à la réclusion à perpétuité… à la mort lente.

Il était 00h15. La cour - Braunschweig, le président, ses deux assesseurs et les neufs jurés - délibéraient depuis 2h35. Et puis la sonnerie. La sonnerie qui rappelle que l'heure est venue. La salle se remplit. Pour l'acte capital. Un huissier, comme on n'en voit que dans les films de Sacha Guitry, a frappé les trois coups… Et ils sont entrés. Pierre Goldman s'est levé, vacillant de fatigue. Trois heures auparavant, il n'avait pas été en mesure d'ajouter un seul mot aux plaidoiries de sa défense. Et puis, comme il aurait lu un spot publicitaire à la radio ou les résultats du grand concours pour la lessive Pax, Braunschweig lit le verdict : "Les jurés ont répondu oui aux 42 premières questions concernant la culpabilité ; oui à la question concernant les circonstances atténuantes. En conséquence, et selon les articles du Code Pénal, etc. - le etc. est de Braunschweig - la cour condamne Pierre Goldman à la réclusion criminelle à perpétuité.

Le jury insulté

Alors il y eut un sanglot, il a éclaté au milieu des avocats de la défense - une jeune avocate - puis simultanément, un autre sanglot, au premier rang du public : un vieil ami de Pierre. Les sanglots se multiplient comme autant d'orages et puis, couvrant les sanglots longs comme une éternité, des cris, pour devenir : "Jurés assassins".

Une cinquantaine d'avocats sont dans le prétoire à cette heure tardive de la nuit, venus pour "apprendre" dans un grand procès d'assises. Ils se retrouvent avec les avocats de l'"affaire", pour ensemble, insulter un jury d'assises. Surmontant le tumulte, un homme, sans faire de bruit, sans esclandre, comme si cela était le plus naturel du monde, se lève de son banc du prétoire où il avait pris place. Il est lui aussi un ami de Pierre, du temps de l'UEC. Il traverse le prétoire et personne ne fait attention à lui. Peut-être les magistrats le voient-ils mais ils sont prostrés. Il sort du prétoire, monte sur le banc des avocats de la défense et va embrasser Goldman. C'est tellement naturel que tous éprouvent le besoin d'en faire de même. Les cris de "jurés assassins" se poursuivent. Le mot d'ordre est repris partout. Y compris dans les rangs de la presse où l'on voit des chroniqueurs judiciaires connus, insulter eux aussi, le jury. Des jurés et des magistrats statufiés dans la peur, pétrifiés par le scandale.

Sans chercher vraiment à convaincre, image vivante d'une contradiction, membre du Syndicat de la magistrature et du PS. Il n'empêche qu'il fait partie de cette chaîne qui, selon une machination de toute bonne foi, envoie Goldman à la mort lente, à l'ombre de la vie, sans preuves : un avocat général peut toujours et c'est son droit, abandonner l'accusation. Il ne l'a pas fait.

Le prétoire alors est totalement envahi. Les jurés sont insultés à trois mètres de distance, tandis que simultanément, des dizaines d'amis de Pierre se précipitent vers lui, l'embrassent. Ils sont en larmes et lui vacille. Comme un bateau ivre.

A aucun moment, Braunschweig "le plus grand des présidents d'assises" ne demandera l'évacuation de la salle. Il est impuissant. Et il ne bougera pas. Comme ne bougeront pas les jurés ou l'avocat général. En foncé dans son fauteuil, il dira à des journalistes qui l'interrogent - la phrase le condamne implacablement - sa tristesse d'avoir été aussi bien suivi par les jurés : il avait demandé la détention perpétuelle à vie.

La salle crie "innocent", un avocat ôte sa robe et la jette.

Le père de Pierre se précipite vers le box des accusés. Il embrasse Pierre, échange quelques mots avec lui, puis il se jette vers les jurés et les insulte à bout portant : l'un d'eux fera même un signe qu'il n'a pas voté pour. Dans son sillage, des gens s'approchent encore et leur crache à la figure. La seule femme jurée se bouche les oreilles des deux mains pour ne plus entendre ce qu'elle entendra désormais toute sa vie. La salle entière crie "Innocent". Une robe d'avocat vole. Un avocat l'a ôté en signe de protestation.

Pendant ce temps, les gardes mobiles eux aussi pétrifiés depuis de longues minutes et les magistrats sortent de leur léthargie. Le greffier en chef essaie de contenir le père de Goldman. Pierre hurle, interdisant qu'on touche à son père. Des gardes mobiles veulent le tirer en arrière. Alors le box est occupé. Un ami de Pierre se précipite vers les gardes mobiles et les bouscule. Le bouleversement est général, Braunschweig, à son tout va vers Goldman et semble-t-il tente de justifier son rôle. Les quelques gardes mobiles qui restaient au fond de la salle escaladent à leur tour le box des accusés et parviennent à passer une menotte à Pierre, ballotté d'un visage, d'une main à l'autre, qui tous et toutes promettent de le sortir de là, de prouver son innocence. Une foule d'amis, d'habitués des assises, d'avocats et de journalistes pleurant. Une foule hurlant d'innocence. Une foule crachant et insultant un jury d'assises.

Pierre Goldman, après une trentaine de minutes de ce vertige, est emmené. IL disparaît derrière la porte. A leur tour, les jurés et les magistrats sortent en débandade, blessés dans leur orgueil. Des gens errent encore dans la salle, pleurent encore. Encore des cris. Et puis, d'elle-même la salle se vide lentement. Entre deux portes, derrière la salle du conseil, une avocate interpelle Braunschweig qui, hors de lui, lui rétorque : "Vous n'aviez qu'à mieux le défendre". Phrasé aussi implacablement hypocrite que celle de l'avocat général. Un homme est envoyé à la mort lente sans preuves - mieux son procès a démontré une présomption d'innocence - et c'est ce que trouve à dire le président de la cour d'assises. C'est scandaleusement peu comme justification.

Dans les couloirs, des visages égarés se croisent, puis finissent par sortie du palais de justice. Il est une heure du matin. Simultanément a lieu l'audience civile. Dans un palais désert, dans une salle vide, les avocats, les magistrats et les jurés ont repris leur place. Goldman est ramené. L'un des avocats de Goldman répond au magistrat en pleurant. Goldman, dans le dernier sursaut remercie Langlois, l'avocat général et Braunschweig pour leur correction. Puis Goldman ajoute, comme une conclusion à l'ensemble de ces assises : "l'absurdité de cette sentence est, si je puis dire, d'être parfaitement conforme à mon destin, à mon aptitude fondamentale à être accusé".

Ainsi s'achevait le procès de Pierre Goldman.

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