"A la suite des incidents survenus après le verdict du procès Goldman, indique le ministère de la justice dans un communiqué publié mardi 17 décembre, une information contre X a été ouverte au tribunal de Paris pour outrages à magistrats et à jurés".
D'autre part, le Comité justice pour Pierre Goldman indique qu'il reporte à une date ultérieure la "reconnaissance des lieux" qu'il envisageait de faire le 19 décembre boulevard Richard-Lenoir, où fut commis le 19 décembre 1969 le double crime pour lequel Pierre Goldman a été condamné. Cependant, un "meeting d'information" aura lieu le vendredi 20 décembre à 19 h 30 à l'amphithéâtre Richelieu de la Sorbonne.
Pour sa part, M. Jean Lecanuet, ministre de la justice, a déclaré mercredi matin à Europe 1, qu'il prenait "en considération l'émotion que peut soulever un jugement" et qu'il se préoccupera "personnellement de cette question".
"Je m'interdis, a-t-il dit encore, de porter un jugement sur la désignation des jurés. Il y a des contestations. Je regarderai de très prés naturellement la procédure. Je vous rappelle d'ailleurs qu'au cas où il y aurait un vice quelconque de procédure, la Cour de cassation est là pour se prononcer".
Parce qu'une restauratrice, un ingénieur, un inspecteur commercial, un peintre, un aide chimiste, un commerçant, un chaudronnier, un employé de commerce et un entrepreneur de plomberie, sous la houlette du président de la cour d'assises de Paris, M. André Braunschweig, et de ses deux assesseurs, viennent de condamner Pierre Goldman à la réclusion à perpétuité, la "justice populaire" est mise en question.
Déjà il y a un siècle un avocat dénonçait un "véritable jury de classe, en haut découronné et dépourvu en bas de fondements solides : le jury des classes médiocres".
Cela n'a guère changé. Longtemps "dispensés" d'être jurés parce qu'ils avaient "besoin de leur travail manuel et journalier pour vivre", les ouvrières des villes et des champs ne sont pas plus choisis comme magistrats occasionnels aujourd'hui. Dans les commissions préparatoires (près des tribunaux d'instance en province et dans chaque arrondissement à Paris) comme dans la commission qui dresse définitivement la liste des jurés de chaque cour d'assises, les élus municipaux et les conseillers généraux, qui siègent à côté de magistrats remercient ainsi quelques oisifs (rentiers ou retraités), auxquels s'ajoutent - particulièrement en province - ceux que l'on sait "penser bien" et l'étrange race des volontaires, comme si juger pouvait être une sinécure.
Ce "tripatouillage" des listes aboutit pour Paris (où sont retenues 1 200 personnes), selon une étude réalisée par l'Institut de criminologie de Paris sous la direction de M. Jacques Léauté, son directeur, au portrait-type suivant : un juré de sexe masculin (80 %)d'un âge moyen de cinquante-deux ans (l'âge minimum ayant été abaissé de trente à vingt-trois ans en 1972, le jury qui a condamné Pierre Goldman comportait un jeune homme de vingt-huit ans et l'âge moyen en était de quarante-sept ans), il est le plus souvent marié et père d'un enfant, d'un niveau scolaire un peu supérieur à la moyenne et logé dans un appartement souvent "confortable et spacieux" dont il est, une fois sur deux, propriétaire.
Recruté dans la France conservatrice, le juré qui sait "lire et écrire", jouit de ses droits politiques, civils et familiaux ne représente pourtant pas exactement le "Français moyen" tel qu'il ressort des catégories de l'Insee. Ainsi, le jury n'est pas représentatif de la population, le reflet fidèle que pourrait exiger une démocratie.
Mais ne représente-t-il pas trop bien cette population ? Un sondage de la Sofres, publié par Sud-Ouest le 15 mars 1974, montrait que 76 % des Français estiment la justice trop indulgente : 63 % selon un sondage Ifop publié par France Soir le 25 novembre 1972 s'affirmaient partisans de la peine de mort avant l'exécution de Buffet et Bontems, le 28 novembre.
Inquiète des déclarations régulièrement alarmistes des ministères de la justice ou de l'intérieur sur la recrudescence de la délinquance, l'opinion publique est le plus souvent répressive lorsqu'elle devient action publique. En toute bonne conscience : ne s'agit-il pas de préserver la société ?
Tirer au sort les jurés sur les listes électorales ou obliger ces magistrats d'occasion à motiver et à expliquer leurs votes, comme le demandait déjà Bergson, cela modifierait-il cette attitude ?
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