La procès de Pierre Goldman fait décidément plus appel au droit que ne l'annonçait a priori un dossier où, plus que jamais, seul compte de savoir si l'accusée a ou non tué une pharmacienne et son employée. Car pour les trois autres agressions - que reconnaît depuis toujours Pierre Goldman - on pourrait dire sans abus que, en terme de jurisprudence "moyenne", après six années de détention subies avant jugement, leur sanction est déjà purgée.
Dans l'univers de la cour d'assises, tout entier dominé par l'intime conviction, le droit, il est à peine besoin de le rappeler, fut déterminant lorsque la cour de cassation annula l'arrêt de la cour d'assises de Paris et rappela que le procès-verbal d'assises devait, comme le prescrit la loi, être daté et que cette datation constituait la "formalité substantielle" d'une place essentielle.
Le droit, on l'a retrouvé lorsque s'est posée lundi la question de savoir si l'une des victimes survivantes, le brigadier Quinet, qui se porta au secours des occupants de la pharmacie, pouvait intervenir dans le cours du deuxième procès pour "tenter d'établir la culpabilité de l'accusé". Cette définition tirée de la doctrine de la cour de cassation indique l'importance d'une telle demande.
A première vue, la démarche paraît étrange. En continuation de l'audience pénale achevée le 14 décembre 1974 la cour d'assises de Paris a, en effet, rendu le 8 janvier 1975 contre Pierre Goldman un arrêt civil accordant notamment au brigadier près de 130 000 F de dommages et intérêts. Aucun pourvoi en cassation n'ayant été retenu par la cour suprême contre cette décision, celle-ci est réputée acquise investie de "l'autorité de la chose jugée".
Telle n'est pas l'opinion du brigadier Quinet et de ses conseils pour qui l'état de santé de leur client s'est aggravé. Mais ils ne pourront établir - exigence évidente soulignée par la défense approuvée de la tête par le président - que l'aggravation est postérieure à l'arrêt du 8 janvier 1975. Outre "l'intérêt moral", les avocats feront valoir "l'imbroglio juridique" qui résulterait, le cas échéant, de la confrontation d'un arrêt parisien ordonnant des réparations civiles au regard d'un arrêt amiénois qui viendrait à déclarer que l'accusé n'est pas coupable.
Bon apôtre, le ministère public insistera sur l'utilité de "dépassionner le débat" et estimera, par une intervention en trois points : 1) que la nouvelle demande est recevable ; 2) devant la cour d'assises de la Somme (et non devant le juge civil) puisque la "la saisine pénale n'est pas épuisée"; 3) que la cour est libre de statuer sur-le-champ ou bien de renvoyer la décision à un nouvel arrêt civil qui suivra l'arrêt sur la culpabilité.
Par la voix de Me Lesselin, du barreau d'Amiens, la défense récusera bien sûr une telle conception en indiquant que joindre au fond "c'est la facilité". C'est pourtant, après un long délibéré, ce que firent les trois magistrats professionnels, les jurés étant exclus par la loi de l'examen de ces subtiles questions. Ainsi verra-t-on le brigadier Quinet s'exprimer en qualité de partie civile alors que, aux termes du procès, ceux qui l'auront souverainement autorisé à s'exprimer, pourront, tout aussi souverainement, juger le fait acquis, que l'autorisation a été, par eux, donné à tort.
Cette décision chèvre-chou est à l'image d'une présidence craintivement exercée. Me Georges Klejman ira jusqu'à tancer le président, M. Guy Tabardel, indécis et souriant, incertain de son dossier au point de reconnaître par deux fois son examen insuffisant de l'affaire : l'avocat lui reprochera vivement des généralisations aussi aventurées que répétées.
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