"Pierre Goldman a commis le crime du Boulevard Richard-Lenoir. Cinq témoins l'ont reconnu formellement. Il ne justifie pas son emploi du temps et ses explications maladroites ne font que confirmer qu'à l'heure du double meurtre, il se trouvait à proximité de la pharmacie".
Cette conclusion du substitut général Basse ne pouvait surprendre après deux heures trente d'un réquisitoire terne et laborieux. Aux termes des six jours de débats consacrés pour l'essentiel à l'affaire du boulevard Richard-Lenoir, la tâche de l'avocat général n'était pas facile. Il n'a d'ailleurs pas cherché la difficulté en écartant non sans désinvolture les éléments contradictoires d'un dossier dont le moins qu'on puisse en dire est qu'il n'en manque pas.
Sa thèse ? Goldman est, ou plus exactement a été, une sorte de fou. Pas un vrai, évidemment, pas un dément, ce qui au nom de l'article 64 du code pénal lui vaudrait l'acquittement, mais assez tout de même pour avoir pu, dans un "accès paroxystique" commettre le double crime et la double tentative d'homicide qui lui sont reprochés. Pour étayer cette thèse, le substitut emprunte au passé de Goldman les "tranches", le mot est de lui, qui lui conviennent. Il retient que d'avril à octobre 1965, Pierre Goldman a fait un séjour dans la clinique psychiatrique du docteur Oury à Cour-Cheverny. "Ce n'était pas un mais plusieurs séjours brefs entre ces deux dates, et pour rencontrer des amis" avait expliqué Pierre Goldman au cours des débats. L'avocat général rappelait d'ailleurs qu'il avait été arrêté à Paris au mois de mai à l'occasion de manifestations étudiantes. L'avocat général tire partie également d'une observation au demeurant prudente du Pr. Roumajon, expert psychiatre dont celui-ci a pourtant expliqué à la barre qu'elle avait été réalisée au tout début de la détention de Pierre et que rien ne l'avait confirmé depuis. La "crise" de Pierre Goldman selon l'avocat général, serait le contre-coup de l'échec de son expérience vénézuélienne. Elle se manifestera par l'entrée de l'accusé dans la carrière délinquante et sera le contexte d'un nouvel "accès paroxystique", meurtrier cette fois, le soir du 19 décembre 1969. Tout cela est bien léger. Ce n'est qu'une thèse, à l'égal de celle défendue naguère à Paris par l'avocat général Langlois, une "vraisemblance" de culpabilité. Reste à prouver que Goldman, s'il est "capable de" est aussi coupable.
L'avocat général ne se hasarde pas sur le terrain des preuves matérielles : elles n'existent pas, les policiers l'ont confirmé. Il abandonne au passage l'hypothèse d'un maquillage du P 38 de Pierre Goldman, dont le Pr. Ceccaldi avait dit qu'elle était absurde. Il tente sans conviction d'avancer que Pierre Goldman aurait pu posséder d'autres armes que celles qui ont été retrouvées, mais cette fois on est dans le domaine de la spéculation pure.
Reste les cinq témoignages. Contrairement à M. Langlois, le substitut Basse décerne un satisfecit au système de reconnaissance de la brigade criminelle. Si Pierre Goldman était à ce jour là mal "fringué", le bas salaire des fonctionnaires de la police ne leur permet pas, c'est M. Basse qui le dit, d'être habillés comme des dandys.
S'il a feint d'examiner les cinq reconnaissances une à une, il s'est bien gardé d'étudier les témoignages séparément et fonde leur valeur probante sur leur ensemble. Là encore, trop, c'est trop ! On ne peut, et le substitut ne pouvait raisonnablement l'ignorer, vanter à la fois l'acuité visuelle et auditive du Dr Pluvinage, la sagacité de Melle Lecoq et la sûreté de vue de Melle Ioualitène. Les témoignages des deux demoiselles, s'ils sont ensemble accablants, ont de défaut de s'exclure mutuellement. Elles ont "vu" en effet l'agresseur à la même seconde, pratiquement "au contact" mais à plusieurs dizaine de mètres l'une de l'autre. Une fois encore, l'avocat général escamote la difficulté en l'ignorant. Il retient que Melle Ioualitène était saisie de peur. Elle était, dit M. Basse "effrayée par un regard. Pourquoi ? Parce que ce regard, c'est le regard terrible de Pierre Goldman après avoir tué".
L'affirmation au secours de la preuve défaillante, ce n'est certes pas nouveau, mais ce n'est pas non plus très convaincant. Ce n'est d'ailleurs pas plus convaincant d'expliquer le cri de Quinet "c'est un mulâtre" par la difficulté pour un homme blessé de prononcer "méditerranéen".
Le réquisitoire de l'avocat général
n'est au fond qu'un truisme : Pierre Goldman est coupable parce qu'il a tué.
M. Basse en est-il vraiment convaincu ? Il dira comme en manière d'excuse
: "Pierre Goldman a tué mais ce n'est pas un tueur" et pour
cette raison, se contentera de réclamer la réclusion criminelle
à perpétuité.
Retour à "Pierre Goldman : le dossier"