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Pierre Goldman est acquitté par les assises de la Somme pour le double meurtre du boulevard Richard-Lenoir
Le Monde, 6 mai 1976
Article de Francis Cornu
Retranscription de Linda Delozier


Amiens. Il est 22 h 15, mardi 4 mai : les douze juges de Pierre Goldman reviennent dans la salle d'audience après deux heures cinquante de délibérations. On note sur le visage de certains jurés de la cour d'assises de la Somme un sourire, une impression de détente, mais on se garde encore de toute interprétation. Silence total. Le président, M. Tabardel, commence la longue lecture de l'arrêt et des quarante-cinq réponses aux questions qui avaient été posées à la cour. Les premières ont trait à l'une des agressions dont l'accusé s'est toujours reconnu coupable : pas de surprise. A la sixième question portant sur sa culpabilité dans l'assassinat des deux pharmaciennes du boulevard Richard-Lenoir, la réponse est non : Pierre Goldman est acquitté du crime pour lequel il proclame son innocence.

La salle où sont alors entassées plus de deux cents personnes retentit immédiatement d'un tonnerre d'applaudissements. Le président lance un bref rappel à l'ordre et le silence revient aussitôt. La lecture reprend. Pendant ce temps, quelques amis de l'accusé se précipitent dans la cour du palais de justice en criant : "Il est innocent !" à l'intention d'une centaine de personnes massées dans la rue derrière les grilles.

Quarante-troisième question : reconnaît-on à l'accusé le bénéfice des circonstances atténuantes pour les trois hold-up ? La réponse est positive. Nouvelle clameur. Nouveau silence attentif. Quelques instants plus tard, Me Tabardel déclare : "En conséquence la cour condamne Pierre Goldman à la réclusion criminelle pendant douze années". Le visage de Pierre Goldman, resté jusque là imperturbable, s'éclaire d'un large sourire. Lui et ses défenseurs ne pouvaient espérer un verdict plus favorable. Les applaudissements reprennent de plus belle et vont durer pendant de longues minutes. Personne, cette fois, ne songe à y mettre fin. Le président, lui aussi, dissimule mal un sourire. Des dizaines de bras se tendent vers l'accusé alors que ses gardiens commencent à l'entraîner hors du boxe. Tiraillé d'un côté par les menottes, happé de l'autre par de multiples mains, il est heureux mais il a l'air tout à la fois embarrassé, et il dit : "Merci mais il faut me laisser. Il ne faut pas que je gêne mes policiers". Dans le prétoire envahi, on se congratule, on s'embrasse. Certains regards sont remplis de larmes. Mais toutes ces démonstrations de joie ont été relativement contenues, et si le verdict a été accueilli avec une vive émotion, il n'y a pas et de débordements. L'imposant service d'ordre mis en place dans la salle d'audience, dans le hall d'entrée et tout autour du palais n'a pas eu à intervenir. Mais sa présence rappelait que le 14 décembre 1974, à Paris, dans une autre cour d'assises, un incroyable tumulte, une bousculade et des cris de colère avaient marqué l'annonce de la condamnation de Pierre Goldman à la réclusion criminelle à perpétuité.

C'est cette même peine qu'avait réclamée quelques heures plus tôt, dans la journée du 4 mai, le représentant du ministère public, M. Jacques Basse. Cette demande était prévisible : il avait adopté dans l'ensemble le même système d'accusation que celui de M. Langlois, avocat général, lors du premier procès mais il pouvait toutefois surprendre dans la mesure où ce magistrat, tout au long des débats et même lors de son réquisitoire, avait fait preuve d'une certaine discrétion et d'une certaine réserve. En fait, l'accusation a souvent paru manquer de vigueur, compte tenu de la gravité de la peine requise.

Au cours de ses explications, M. Basse a tout d'abord insisté sur le traitement psychiatrique qu'aurait subi Pierre Goldman dans une clinique spécialisée - fait que l'accusé a nié à plusieurs reprises. S'inspirant des rapports d'expertise, le substitut affirme que l'accusé connaissait des "états névrotiques de manière cyclique". Il a noté à ce propos quelques déclarations faites par différentes victimes de ces agressions à main armée commises par l'accusé : "Il était très nerveux et paraissait drogué". "J'ai pensé à un fou, il avait l'air très nerveux". Ou encore : "Je craignais qu'il ne perde son sang-froid".

M. Basse a soutenu d'autre part qu'à son retour du Venezuela, en 1969, Pierre Goldman était "au creux de la vague", avait un comportement "complètement déréglé" et vivait une période de "grande dépression". Il a ajouté qu'il s'adonnait à la boisson et absorbait des médicaments excitants avant de conclure sur ce point essentiel de son argumentation : "Il était susceptible de craquer, et c'est ce qui s'est produit lorsqu'il a mal interprété le geste d'un client de la pharmacie du boulevard Richard-Lenoir".

M. Basse a indiqué alors à l'intention des jurés : "Vous l'avez vu, même à cette audience, il est capable de manifester des réactions extrêmement vives et presque inquiétantes". Le substitut faisait ici allusion à une violente altercation qui avait eu lieu la semaine précédente entre l'accusé et Me Garraud, avocat de la partie civile. Pierre Goldman ne veut pas assumer un crime qui ne correspond pas à son moi profond, a encore dit M. Basse, "il a tué, bien qu'il ne soit peut-être pas un tueur".

C'est sur ces mots que le substitut devait déclarer, après n'avoir pas écarté la possibilité de la peine de mort : "Je me contenterai de requérir la réclusion criminelle à perpétuité".

Auparavant, M. Basse avait souligné que l'alibi selon lequel Pierre Goldman était chez son ami M. Joël Lautric, le soir du crime ne résistait guère à l'examen, "alors que cinq témoins - qui se trouvaient boulevard Richard-Lenoir - l'ont reconnu". L'accusation a mis en doute le témoignage "assez extraordinaire" de M. Lautric qui, "à l'inverse de tous les autres témoins à décharge", est devenu de plus en plus précis au fur et à mesure de ses dépositions alors qu'au cours de la première d'entre elles il ne se souvenait même plus de la date de la visite de Goldman. M. Basse a reproché enfin à l'accusé de trouver toujours des "ajustements" pour faire correspondre précisément les faits avec ses thèses. "Goldman est extrêmement habile dans ce domaine, a-t-il conclu. C'est quelqu'un qui organise sa défense d'une manière prodigieuse et devant lequel je suis admiratif".

"Plus de tenue que de contenu"

Pour la défense, Me Georges Kiejman a souligné que l'accusation ne procédait en réalité que par affirmations. Il a surtout rappelé que celle-ci n'était pas en mesure de faire autrement puisque, dans ce procès, il n'y avait aucune preuve matérielle et que la base de l'enquête avait été la dénonciation d'un indicateur qui lui aussi se contentait d'"affirmer".

Me Kiejman, dont l'action méthodique et attentive à chaque instant du débat a été déterminante pour la défense, devait faire preuve, dans sa plaidoirie, de la même rigueur d'autant plus évidente qu'il devait être handicapé par une extinction de voix. Critiquant un réquisitoire qui "avait plus de tenus que de contenu" et qui faisait souvent une relation rapide entre capable et coupable, il avait notamment indiqué que l'enquête avait eu dans cette affaire une base de départ erronée, puisqu'il a été établi, après, que les armes possédées par Pierre Goldman n'avaient pas servi dans le double assassinat.

Pour montrer combien les enquêteurs s'étaient "fourvoyés" l'avocat devait déclarer aux jurés : "n'oubliez pas cette petite phrase du commissaire Jobard au cours de son audition : Dans la mesure où Pierre Goldman est coupable, il serait préférable d'avoir une preuve matérielle". Il devait surtout s'employer à démontrer la fragilité des déclarations des témoins oculaires de l'affaire du boulevard Richard-Lenoir, seul élément consistant, selon lui, pour l'accusation. Mais il a affirmé que des témoignages devaient, en toute occasion - et notamment dans celle-ci - être "constants, concordants, précis et riches".

Or, l'avocat a fait remarquer qu'ils étaient dans cette affaire souvent pauvres et pouvaient, dans ces conditions, être concordants, surtout si le vocabulaire des dépositions était suggéré par celui des policiers. Me Kiejman a, d'autre part, fait remarquer qu'aucune preuve nouvelle n'avait été apportée en quatre ans d'instruction. Sur les lacunes ou anomalies de l'enquête, il a plaidé l'influence de la "machine policière" plutôt que la machination. Rappelant que dans l'affaire du courrier de Lyon, au XIXe, un innocent avait été reconnu coupable sur la foi de sept témoins, Me Kiejman devait enfin demander que l'on fasse à Pierre Goldman "un procès du vingtième siècle". Il a conclu à ce propos : "Nous devons montrer à ceux qui contestent les principes dont nous nous réclamons que nous pouvons les décourager en les appliquant. Une démocratie libérale doit être en mesure de respecter ses propres principes, parmi lesquels il en est un essentiel : celui de la présomption d'innocence."

"Une abominable erreur"

Pour sa part, Me Emile Pollak s'est lancé, ou plus exactement jeté, dans une plaidoirie plus fougueuse que rigoureuse, s'adressant directement aux jurés en termes vibrants pour tenter d'emporter leur décision. Il devait remarquer, comme il l'a plus tard clairement exprimé, qu'il n'acceptait pas l'échec de la défense dans le premier procès. Revenant souvent sur les développements faits par Me Kiejman, il a notamment dit qu'"il ne fallait pas seulement montrer que Goldman était capable des faits dont il était accusé, mais qu'il fallait encore démontrer qu'il en était l'auteur".

Evoquant le hold-up commis par l'accusé le lendemain même du crime du boulevard Richard-Lenoir, il a déclaré : "Comment aurait-il eu à cette occasion le sang-froid qu'on lui a alors reconnu s'il l'avait perdu la veille ? Il est psychologiquement impensable qu'il ait pu commettre cette folie un jour plus tôt".

Faisant enfin allusion aux réquisitions de M. Basse, Me Pollak a affirmé que le premier procès auquel l'accusation se référait n'avait été qu'"une abominable erreur de justice".

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