En 1975, Pierre Goldman avait publié "souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France". Le livre n'était pas qu'un plaidoyer d'innocence. On lira ci-dessous un extrait dans lequel Pierre Goldman pourrait-on dire, psalmodiait la prison.
"Est-ce qu'on peut dire la prison ?
Est-ce qu'on peut dire le silence, est-ce qu'on peut dire les larmes lentes
et secrètes après l'extinction des feux, parfois, est-ce qu'on
peut dire l'amitié des voyous et des assassins, des voleurs, est-ce qu'on
peut dire la détresse, la fierté, la superbe des vieux caïds
enfermés, qui répètent inlassablement la litanie de leurs
exploits passés, ou qui n'en parlent jamais, est-ce qu'on peut dire l'attente
et le temps, est-ce qu'on peut dire le claquement quotidien des barres de fer
sur les barreaux quand les matons en effectuent la sonde, est-ce qu'on peut
dire Monsieur le directeur j'ai l'honneur de solliciter de votre haute bienveillance,
est-ce qu'on peut dire Goldman avocat, Goldman parloir, Goldman extrait, Goldman
dentiste, Goldman échange-fouille, Goldman passager-hôpital, Goldman,
visite médicale, Goldman prétoire, est-ce qu'on peut dire les
femmes qu'on regarde du fourgon cellulaire, et qui tordent le plexus de douceur,
de douleur, est-ce qu'on peut dire les revues pornographiques, je veux pas oublier
comment c'est fait le sexe d'une femme, est-ce qu'on peut dire l'humiliation
de se masturber, est-ce que l'on peut dire la terreur de l'absence progressive
de désir, d'érection, est-ce qu'on peut dire les avocates, bonjour
maître, elle a un sexe sous sa robe, est-ce qu'on peut dire l'excitation
des transports au Palais avec escorte spéciale réservée
aux prévenus considérés comme dangereux, est-ce qu'on peut
dire le regard des gendarmes, c'est un tueur, est-ce qu'on peut dire le regard
des autres détenus, est-ce qu'on peut dire SHS, HS, MS, AS, DPS, super
Haute surveillance, Haute Surveillance, Murs Spéciales, A surveiller,
Détenu Particulièrement Signalé, est- ce qu'on peut dire
les durs qui reviennent du parloir brisés, éteints, silencieux,
parce que leur femme ne viendra plus, est-ce qu'on peut dire les portes des
cellules qui retentissent, la nuit, sous les coups furieux d'un détenu
affolé qui n'en peut plus, est-ce qu'on peut dire les pendaisons, est-ce
qu'on peut dire y'en a un qui s'est accroché il est mort en déchargeant,
est-ce qu'on peut dire les promenades, est-ce qu'on peut dire les dimanches
et les jours de fête, pas de courrier, pas d'avocats, pas de parloirs,
rien, est-ce qu'on peut dire les matons, la haine et la sympathie, le mépris,
l'estime, la méfiance, est-ce qu'on peut dire chef ça va pas en
ce moment, je deviens fou, est-ce qu'on peut dire l'amère chaleur et
la chair de poule de ces misérables dialogues qui consolent, le soir,
au moment de la fermeture des portes, après le courrier, avant la nuit,
est-ce qu'on peut dire descendez de la fenêtre non j'ai le droit de respirer,
est-ce qu'on peut dire la prochaine fois que j'vous prends à parler au
tuyau j'vous aligne, alignez-moi si vous voulez vous voulez peut-être
que je parle aux murs, est-ce qu'on peut dire le sang qu'on va donner quatre
fois par an pour boire un quart de vin et respirer l'odeur des femmes, des infirmières,
est-ce qu'on peut dire les cellules de Super Haute Surveillance, l'isolement,
la solitude ? Est-ce qu'on peut dire la solitude ?"
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