Enquête : L'autopsie révèle que deux armes ont été
utilisées
Libération, le 22 septembre 1979
Article de J.L. P.
Retranscription de Mathieu Duchesne
Les policiers ont un signalement très précis des tueurs.
Coïncidence extraordinaire, des policiers étaient en planque sur les lieux de l'assassinat, place de l'abbé Hénocque, quelques minutes avant. Ils ont bien observé les tueurs. Ce signalement précis fera-t-il que la police mène véritablement l'enquête à son terme, à la différence de celle sur l'assassinat de H. Curiel en mai 78 ?
L'autopsie pratiquée par le Dr Martin, à l'institut médico-légal, sur le corps de Pierre Goldman a révélé neuf impacts de balles provenant d'au moins deux armes de calibres différents.. Quatre balles (deux de 11, 43 et deux de 9mm) ont été retrouvées dans le corps de Pierre dont trois mortelles, dans la région du foie et dans la poitrine. Une quatrième était logée dans le bras droit. L'autopsie infirme donc de premiers témoignages qui ne faisaient état que d'un tireur sur les trois hommes qui ont attaqué Pierre et d'un nombre de coups de feu moins importants. Aucune des deux armes selon l'expertise balistique, n'a servi dans un précédent attentat, ou lors d'un crime connu.
Mais, fait beaucoup plus important, les enquêteurs ont fait savoir, officieusement, dès jeudi après midi puis officiellement vendredi matin, qu'ils disposaient de renseignements fort précis sur les tueurs. La police a reçu en effet le témoignage de trois inspecteurs de la 9ème brigade territoriale qui se trouvaient sur les lieux quelques minutes avant l'assassinat. Selon les déclarations officielles, ces trois inspecteurs effectuaient jeudi matin une surveillance, place de l'abbé Henocque. La "planque" avait pour but de repérer discrètement les allées et venues dans un café de la place qui aurait pu servir de lieu de rendez-vous à des truands préparant un hold-up.
Les trois policiers auraient remarqué, vers midi, le manège de deux jeunes gens, 25 ans environ, allant et venant sur la place. Leur signalement ne correspond pas à celui des personnes recherchées, ils auraient abandonné leur planque pour aller déjeuner peu après midi, vingt minutes à peine avant l'attentat contre Pierre.
Les trois policiers qui avaient bien observé les deux personnages en ont rapidement fait part, après le meurtre, à la Brigade criminelle. Le commissaire Leclerc aurait rendu cette information publique afin que la présence des policiers ne soit pas l'objet de mauvaises interprétations. On ne connaît pas le degré de précision de la déposition des trois policiers de la 9ème BT. Contrairement à ce qu'on a cru tout d'abord, ils n'auraient pas pris de photographies des tueurs mais auraient fourni une description très précise.
Cette révélation indique-t-elle, au contraire de l'inaction qui avait suivi les meurtres de H. Curiel et de Laid Sebbal, que les policiers sont décidés à rechercher les assassins de Pierre Goldman ? Plusieurs observateurs, sceptiques jeudi, se reprenaient à espérer vendredi.
Après la très longue audition d'Azuquita, le musicien de salsa qui logeait chez Pierre et est son dernier ami à l'avoir vu vivant jeudi soir et vendredi matin, les enquêteurs paraissaient ne plus croire beaucoup à une piste "latino américaine" et orientaient leurs investigations vers les milieux d'extrême-droite.
Ainsi que des organisations de policiers mettaient en cause, à l'occasion de l'assassinat de Pierre, des petits groupes de policiers fascisants, plusieurs déductions pourraient pousser plutôt les enquêteurs à rejeter l'idée que l'attentat ait été fait par des professionnels. Leur nombre inhabituel d'abord. Le fait qu'ils n'aient pas repéré la "planque" des policiers de la 9ème BT ensuite. Le coup de feu qui est parti se perdre très haut dans une vitrine de la banque voisine, enfin. S'il s'avérait qu'il a été le premier coup tiré, cela pourrait indiquer que le tireur, inexpérimenté, a été surpris par le recul de son arme automatique. Déductions et spéculations pour l'instant, en l'état des informations dont nous disposons, d'autant que les tueurs ont agi à visage découvert et d'une façon suffisamment déterminée pour laisser penser qu'ils ne sont pas des novices.
Quoiqu'il en soit, si les assassins sont un petit groupe fasciste fanatisés par les campagnes et les mésaventures des journalistes de "Minute", journal qui avait fait de Pierre Goldman une de ses cibles favorites, les enquêteurs ne devraient, avec l'aide des policiers de la 9ème BT qui assurent pouvoir les reconnaître immédiatement, mettre beaucoup de temps à identifier les coupables. Et moins encore, s'il s'agit de policiers liés à de petits groupes d'extrême-droite.
Le commissaire Leclerc, dont on a annoncé vendredi qu'il succédait au commissaire Ottavioli comme chef de la Brigade criminelle, a aussi l'occasion de démontrer que la police peut découvrir des tueurs fascistes. La saisira-t-il ?
Retour à "Pierre Goldman : le dossier"