"Son truc en ce moment, c'était la musique, la salsa et son gosse
qui allait naître"
La dernière nuit de Pierre Goldman
Libération, le 22 septembre 1979
Article de Pierre Benoît
Retranscription de Mathieu Duchesne
Pierre était arrivé à "la Chapelle" vers une heure du matin et, comme tous les soirs ou presque, il n'était venu que pour une chose : écouter et danser avec Azuquita, le "salsero" panaméen qui joue dans la petite cave de la rue des Lombards depuis trois semaines. Azuquita qu'il avait rencontré voilà deux ans, à Paris, alors que le chanteur faisait une première apparition avec son fameux "band", la "Tipica 73". Cette fois, c'est Pierre Goldman qui lui avait demandé de revenir de New-York.
Goldman était, et le mot n'est pas trop fort, un malade de la salsa. Musicologue, non par vocation mais pour le plaisir de faire connaître la musique qui le faisait vibrer, il avait trouvé cette phrase pour définir cette tradition musicale originaire de Cuba : "C'était le cri de contentement qu'on poussait quand la musique était bonne, si bonne qu'elle arrachait un râle de plaisir : "salsa !" signifie "c'est bon". Car cette musique se déguste, s'avale, se jouit, se danse, elle a un goût, comme les fruits, les mangues et les papayes, comme la cannelle, comme le cochon de lait grillé, le riz et les haricots rouges, elle a tous ces goûts et les goûts de l'amour et le goût de la mort, constant dans la tradition cubaine " (cf. Libération du 26 juin).
"Son truc, poursuit Jean Luc, en ce moment c'était la musique et son gosse qui allait naître. Son gosse, il m'en parlait tous les soirs. Mercredi, je suis allé déjeuner vers midi. Il y avait Azuquita. On a parlé tranquillement jusqu'en pleine après-midi. Je l'ai revu vers une heure du matin à "la Chapelle" quand il est arrivé pour danser ; heureux, absolument confiant, pas du tout préoccupé comme peut l'être un homme qui se sent menacé". Vers deux heures du matin, à la dernière chanson, "El reloj del pastor" (l'horloge du pasteur), Pierre a demandé à Pacheco, le joueur de "Tumbas", de lui passer les tambours. C'était le moment de la "descarga", l'improvisation. Il a dit à Pacheco : "Je te comprends, je te sens". Pacheco lui a laissé les tambours. Pierre a fini l'improvisation.
Après deux heures, Jean Luc et sa compagne Nicole, Max le bassiste, Azuquita et Pierre sont sortis pour souper. Pierre est allé chercher les journaux comme il le faisait souvent en pleine nuit, "Le Parisien", "France-Soir", et "Libé".
Tous les cinq se sont ensuite rendus dans un petit restaurant africain de la rue Tiquetonne, puis sont descendus au sous sol pour danser : longtemps, jusqu'à la fermeture. "Vers six heures, il dansait encore".
A l'aube, Jean-Luc a mis Azuquita, Max le bassiste et Pierre dans un taxi. Max est descendu en route. Azuquita est allé dormir chez Goldman.
12H30, jeudi, Azuquita dort encore dans le petit appartement du 13ème arrondissement. Christiane, la compagne de Pierre, enceinte de 9 mois, est à l'hôpital depuis lundi. Pierre vient de descendre. Acheter les journaux et il a un rendez-vous.
23 H, jeudi. Dans la cave de la rue des Lombards, les musiciens du "band" ont décidé de jouer quand même. Malgré l'horreur. Et malgré l'absence d'Azuquita, toujours entendu par les policiers au Quai des Orfèvres. Il y a finalement passé la nuit. Mais son ami, Manito Lopez, le chanteur cubain, est venu de "l'Escale" pour le remplacer à "la Chapelle".
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