La déclaration du garde des Sceaux : Odieux ou navrant ?
Libération, 24 septembre 1979
Article de Maître Jean-Denis Bredin
Retranscription de Dominique F.
La déclaration que M. Peyrefitte a cru devoir faire après l'assassinat de Pierre Goldman a pu sembler rassurante à des lecteurs inattentifs : "tout sera fait pour déférer ses assassins à la justice". Mais si on la lit bien, la déclaration du Garde des Sceaux, est désolante.
M. Peyrefitte déclare d'abord : "le meurtre de Pierre Goldman est un crime, comme tous les crimes, il doit être poursuivi et réprimé". Il s'agit d'évidence de banaliser l'assassinat de Goldman, devenu dans la bouche du Garde des Sceaux, un crime très ordinaire qui ne peut mériter une telle émotion. Derrière ce propos qui prétend calmer notre indignation se profile manifestement cette arrière-pensée : pourquoi tant s'agiter pour un crime banal ?
Mais le pire est sans doute ce qui suit : "la justice, dit le Garde des Sceaux, dans un pays civilisé ne peut relever que de la souveraineté de l'Etat. Nul n'a le droit de se faire justice soi-même". Qu'est-ce que ces mots signifient sinon que ceux qui ont tué Goldman ont certainement voulu faire justice se substituant à la souveraineté de l'Etat ? Qu'est-ce que cela laisse entendre, sinon que Goldman était un coupable que des justiciers ont abattu, remplaçant à tort la justice étatique ? M. Peyrefitte fait ainsi du meurtre de Goldman une hypothèse parmi d'autres, certes, malheureuse, des crimes de légitime défense.
Ou bien la déclaration de M. Peyrefitte est
seulement mal rédigée et elle est navrante. Ou bien, elle prétend
assimiler vaguement Pierre Goldman à un criminel impuni par la justice
d'Etat : en ce cas, elle est odieuse. Si la mort de Pierre Goldman ne pouvait
inspirer à M. Peyrefitte que de telles réflexions, il eut mieux
fait de les taire.
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