Un livre remet en cause l'alibi de Pierre Goldman, acquitté pour
un double meurtre en 1969
Le Monde, 12 avril 2005
Pascal Céaux
Retranscription de Linda Delozier
La vie de Pierre Goldman s'est brutalement arrêtée, le 20 septembre 1979, à l'âge de 35 ans. Sur une place de Paris, des tueurs ont mis fin à l'histoire complexe et tourmentée de ce militant d'une révolution impossible. "Pierre, c'était l'être et le néant à lui seul", proclame son ami vénézuélien Oswaldo dans la première biographie consacrée à Pierre Goldman, écrite par Michaël Prazan (Pierre Goldman, le frère de l'ombre, éd. du Seuil, 295 p., 21 euros). Retraçant avec sympathie le parcours d'un héros ambivalent, à la fois révolutionnaire et gangster, passionné de l'Amérique latine et du monde noir, habité par son judaïsme et la mémoire de la Shoah, l'auteur remet en cause son innocence sur les faits les plus graves qui lui furent reprochés.
Le 19 décembre 1969, deux pharmaciennes sont tuées lors du braquage de leur officine, boulevard Richard-Lenoir, dans le 11e arrondissement de Paris. Pierre Goldman est condamné pour ce double meurtre à la réclusion criminelle à perpétuité. Le verdict est ensuite cassé, ouvrant la voie à un second procès. Il est cette fois reconnu innocent. Les jurés lui infligent bien une peine de douze ans de prison, mais pour trois autres hold-up, qui n'ont pas fait de victime, et qu'il a lui-même revendiqués.
Pierre Goldman a obtenu cette décision favorable grâce à l'alibi que lui a fourni un ami. Celui-ci confirme à la barre que l'accusé était chez lui peu avant 20 heures et en était reparti vers 21 heures, une chronologie incompatible avec une participation à l'attaque meurtrière de la pharmacie.
Retrouvé par l'auteur, le témoin fait une révélation surprenante : "Pour moi (...), l'heure à laquelle Goldman est venu chez moi, c'était 18 heures, et pas 20 heures..." M. Prazan en déduit que Pierre Goldman pouvait être boulevard Richard-Lenoir. Il le suspecte d'avoir été accompagné de l'un de ses amis guadeloupéens, qu'il désigne par l'initiale G.
"Les armes à la main"
"Je ne peux pas le suivre dans la remise en cause du témoignage", explique aujourd'hui Me Georges Kiejman, qui défendit Pierre Goldman lors de son second procès. Il préfère mettre l'accent sur une autre question posée par le livre : pourquoi Pierre Goldman continue-t-il à fasciner ? "Il appartient typiquement à la génération de 1968, répond l'avocat. Il en représente le côté romantique, desperado, la mystique révolutionnaire, le sentiment que les individus peuvent contribuer aux mouvements de l'histoire, alors qu'aujourd'hui nous sommes noyés dans les préoccupations de confort matériel".
Au Venezuela, il aurait participé à l'attaque de la Banque nationale, au sein d'un commando de révolutionnaires. Elle rapporta à ses auteurs un butin considérable, 2 661 838 bolivars, soit la plus grosse somme des hold-up de l'année 1969 dans le monde. A Paris, Pierre Goldman flambe. Il dépense sans compter pour ses amis, ses connaissances. Il écoute de la musique latino, fréquente un groupe de Guadeloupéens. Il boit du rhum lors de nuits passées à refaire le monde.
Ses deux procès lui valent une vague de sympathie dans les milieux de l'extrême gauche, voire au-delà. La comédienne Simone Signoret est l'une de ses plus ferventes supportrices. A sa sortie de prison, Pierre Goldman collabore au quotidien Libération, collaboration orageuse. Avec ses "amis", il ne partage pas toujours la même ligne. Il leur reproche de n'en faire jamais assez. Et le sujet du Proche-Orient constitue une opposition inconciliable. Goldman se refuse à renoncer à son soutien à Israël, lui, l'auteur des Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France (éd. du Seuil, 1977), le fils d'Alter et Janka, les résistants face au nazisme. "La dimension tragique de la Shoah, l'histoire de ses parents ont fait qu'Israël était pour lui un élément incontournable", rapporte son ami, l'avocat Francis Chouraqui. "Il aurait dû se retrouver dans l'après-guerre dans le rôle d'un chasseur de nazis, ajoute-t-il. Ou finir ses jours dans la vieille ville de Jérusalem."
Reste le mystère, jamais élucidé, de sa mort, revendiquée par un mystérieux groupe d'extrême droite nommé Honneur de la police. Michaël Prazan soutient que Pierre Goldman a été tué par des truands marseillais de mèche avec le GAL, groupe paramilitaire espagnol créé pour lutter contre les séparatistes basques de l'ETA. Il aurait été soupçonné d'avoir vendu des armes à l'organisation basque. Le 20 septembre, peu après 12 h 20, deux hommes tirent sur Pierre Goldman, désarmé, qui s'effondre sur le trottoir, lui qui, comme le rappelle Me Chouraqui, avait "toujours voulu mourir les armes à la main dans les rues de Paris".
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