Une légende vacille
L’Express, 2 mai 2005
Jérôme Dupuis
Retranscription de Linda Delozier
Vingt-cinq ans après l'assassinat de Pierre Goldman, Michaël Prazan éclaire quelques zones d'ombre de cette figure du gauchisme français.
Ecorché vif, autodidacte, macho, "juif polonais né en France", braqueur, guérillero : tout semblait avoir été dit sur Pierre Goldman, gangster gauchiste et légende sulfureuse des années de poudre. Vingt-cinq ans après le mystérieux assassinat de l'icône, une biographie passionnante ébranle tous ceux qui l'ont soutenue. Au point que son auteur, Michaël Prazan, dont l'empathie envers Pierre Goldman ne le cède jamais à la complaisance, semble lui-même surpris par ses "scoops".
La vie de Goldman a basculé le 19 décembre 1969 : ce jour-là, deux pharmaciennes sont abattues lors d'un braquage près de la Bastille, à Paris. Un trouble "indic" le dénonce ; il avoue plusieurs autres hold-up mais nie farouchement celui-là. Porté par un formidable comité de soutien - de Simone Signoret à Joseph Kessel, en passant par Régis Debray - défendu notamment par Me Georges Kiejman, il est acquitté par la cour d'assises de la Somme. Un témoin capital, Joël Lautric, compagnon de virées nocturnes, a affirmé qu'à l'heure du double meurtre, vers 20 heures, le suspect était chez lui. Un "alibi" qui a pesé lourd. Michaël Prazan a retrouvé Joël Lautric. Stupeur, celui-ci revient sur son témoignage et révèle que son ami l'a plutôt quitté vers... 18 heures. Au lecteur de tirer les – terribles ? - conséquences de ce revirement.
Cette biographie éclaire bien d'autres zones d'ombre de la vie du braqueur gauchiste (par ailleurs demi-frère du chanteur Jean-Jacques Goldman) : son mirifique casse "castriste" au Venezuela, sa passion pour le rhum et la salsa, son projet de rapt de Jacques Lacan... On plonge dans cette atmosphère de tension politique de l'après-68 si bien restituée par les polars de Jean-Patrick Manchette. Temps lointains où un auteur de hold-up était embauché à Libération le jour de sa sortie de prison. En fait, Pierre Goldman, dont la vie peut se lire comme une variation hystérique autour de la violence dans l'Histoire, était hanté par la Shoah. L'auteur des Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France avait d'ailleurs rédigé sa propre épitaphe : "Né et mort le 22 juin 1944".
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