La religion chez Jean-Jacques Goldman

Essais

Comme toi a peut-être un rapport avec Anne Frank (allez visitez la maison où elle s'est cachée en Hollande, c'est émouvant), mais il me semble me souvenir que Jean-Jacques Goldman avait expliqué avoir composé cette chanson après avoir vu une photo de famille d'une "cousine" qui avait disparu dans la Shoa (= exterminée par les Nazis).

Je le comprends fort bien, car j'ai moi aussi, sur un mur chez mes parents, la photo d'une cousine qui a été victime de ces ennemis de l'humanité que furent les Nazis. Ce genre de photo amène à réfléchir. Pourquoi elle ?

Pourquoi à cette époque là, et pas maintenant. Ce genre de question m'a souvent fait faire des cauchemards étant plus petit. De plus, Jean-Jacque Goldman a baigné dans cette ambiance, son père ayant été résistant dans les FTP/MOI (Franc-Tireur Partisan / Main-d'Oeuvre Immigrée). Jean-Jacques Goldman lui avait d'ailleurs dédié un concert à Lyon.

Le mot Shoa veut dire Destruction, Anéantissement, c'est le mot hébreu que les Israéliens utilisent. Le mot holocauste, utilisé d'abord par les Americains ne DOIT PAS être utilisé : l'holocauste est, dans la Torah (= les cinq premiers livres de la Bible) le sacrifice ANIMAL que l'homme fait à D. pour marquer un certain nombre de circonstances. Seuls les Nazis pensaient et voulaient que les Juifs soient traités et considérés comme des animaux. Nous, nous pensons (c'est idiot n'est-ce pas) que c'étaient des êtres humains.

Utilisez le mot Shoa ou en français Destruction ou Anéantissement. Merci.

Jésus n'est pas un prophète pour les Juifs (c'est pour les Musulmans). Les Juifs considèrent traditionellement que Jésus était un Rabbin usurpateur. De nombreuse histoires parcourent le Talmud (recueil de la Loi, des interprétations et des histoires issues de la Bible) à son sujet. A notre époque de perte des croyances religieuses, les derniers à croire encore à l'existence (physique) de Jésus, sont souvent des Juifs. Pour ce qui me concerne, j'ai de nombreuses choses à dire, mais qui sortent totalement du sujet de cette liste.

Jean-Jacques Goldman a été élevé dans une ambiance extrêmement laïque. A partir de la révolution française, les Juifs d'Europe, à qui on avait enfin donné le droit d'être des citoyens comme les autres, ont voulu s'intégrer dans la société. Nombreux sont ceux qui se sont convertis au christianisme, beaucoup d'autres ont voulu reformer la religion juive, d'autres encore se sont enfermés au sein de la vie et de l'étude juive et enfin un grand nombre a essayé de trouver un juste milieu entre vie publique et vie religieuse et a trouvé dans la laïcité la solution à leur problème.

Jean-Jacques Goldman a donc reçu une éducation qui porte la marque de ces événements et de ces questions. Si lui est juif, sa femme ne l'est pas (il me semble) et donc... ses enfants auront quelques difficultés à l'être. Je dirais pour ma part que c'est un Juif qui s'ignore, car son oeuvre est universellement appréciée.

Si ses références religieuses, dans ses chansons, sont chrétiennes c'est qu'il se met à la place de son public, et que les références de son public l'attirent. Je pense qu'il aurait aimé être chrétien, mais je pense aussi qu'il n'aurait jamais été Jean-Jacques Goldman dans ce cas là. Non seulement ses textes sont truffés de références directes à la Bible ou à la religion, mais l'ensemble de son oeuvre est typiquement celle d'un Juif assimilé à la culture occidentale (la racine du mot hébreu : BR désigne l'orient, la racine inverse RB à l'origine des mots Europe et Arabe désigne l'occident). Il y a de plus de nombreuses références indirectes (par exemple le clip Américain fait clairement référence à l'immigration juive vers l'Amérique : les références dans la chanson au christianisme (malgré les croix...) et au paganisme (les dieux ont oublié...) sont là pour contrebalancer le fait juif de la chanson ; on pourrait continuer avec Je marche seul, Il suffira d'un signe...)

Si jamais je devais rencontrer Jean-Jacques Goldman, je lui parlerais de la religion de ses pères.

J'espère qu'il composera d'autres Comme toi ou La mémoire d'Abraham.

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La mémoire d'Abraham fait référence au livre du même nom de Marek Halter. Ce livre magnifique relate l'histoire des ancêtres de M. Halter depuis la destruction du second temple de Jérusalem il y a 1926 ans jusqu'à nos jours. Cette fresque, que je vous invite à lire a dû marquer JJG.

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Le lien entre Je marche seul et la religion ne saute pas aux yeux. En fait, cette chanson a un message universel ; chacun d'entre nous se sent concerné par ses paroles. Et c'est justement là, le principe de la Torah et de la Bible dans son ensemble. Par la naissance du christianisme puis en son sein du catholiscisme (=universalisme) ce message a pu atteindre l'ensemble des êtres humains.

Il y a deux choses dans cette chansons qui me font faire un rapport avec le judaïsme de JJG.

J'ai appris grâce à cette liste que cette chanson était importante pour JJG ; qu'il avait souvent besoin de se retrouver seul, pour se retrouver et pour penser et pour créer. Et qu'il chérissait particulierement cette phrase : Je suis riche de ça mais ça ne s'achète pas.

Or les Juifs dans leur histoire ont toujours ete porteurs de ces deux aspects :

se sentir seuls, étrangers, exilés au milieu des peuples.
ne posséder rien d'autre que l'alliance avec D. et être dépositaire de sa parole pour la faire fructifier et la faire partager aux autres peuples.

Il faut noter que tous les prophètes juifs étaient seuls et incompris, riches d'une parole qui débordait d'eux et que peu de gens voulaient entendre (cf : Abraham, Moïse et la notion de peuple élu). C'est de la plus grande solitude que vient la parole : si les Hébreux doivent aller au désert pour recevoir la parole de D. c'est que désert en hébreu se dit MiDBaR et que ce mot signifie D'où vient (Mi) la Parole (DaBaR) : la parole vient du lieu de solitude. Et cette parole que je reçois est la seule vraie richesse et elle ne s'achète pas.

Sous ses aspects modernes et universels cette chanson est celle d'un "prophète juif".

Jean-Claude Lévy

15 et 16 mai 1996 (sur Là-Bas) Tous droits réservés