Jean-Jacques Goldman : "Je n'ai rien à prouver"
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Jean-Jacques Goldman : "Je n'ai rien à prouver"
Numéro 1 magazine n°4, juillet 1983
Propos recueillis par Marie-Christine Leyri et Didier Varrod
Retranscription de Ludovic Lorenzi
Il y a dix-huit mois, ce nom ne disait pas grand chose. Aujourd'hui, c'est le grand boum. Propulsé à la toute première place des hit-parades, élu premier chanteur français des résultats du référendum Numéro 1, Jean-Jacques Goldman S'affirme comme un des chefs de file de la nouvelle génération. Avenant, souriant, il témoigne cependant d'une étonnante modestie. Une rencontre qui démasque et auréole un garçon d'une richesse incontestable, et d'une sensibilité exacerbée. Un portrait qui te touchera certainement de plein fouet.
Numéro 1 : Alors, quel effet cela te fait-il d'être numéro 1 des chanteurs français ?
Jean-Jacques Goldman : Je crois qu'il y a une "prime au succès du moment". Je ne pense pas que ce référendum représente vraiment la popularité du chanteur dans son ensemble, mais plutôt sa popularité au moment où le sondage est fait. Actuellement, "Comme toi" marche bien et les gens ont probablement plus voté pour la chanson que pour Jean-Jacques Goldman. La différentiation est très difficile à faire. Alors, je pense qu'il ne faut pas accorder trop d'importance à cette place de premier chanteur français. Ce phénomène de prime à l'actualité modifie les résultats. Numéro 1 : Pourtant, tes trois titres leaders "Il suffira d'un signe", "Quand la musique est bonne" et "Comme toi" marchent toujours aussi bien. D'habitude, quand un tube naît, le précédent meurt… Normal ou rare ?
Jean-Jacques Goldman : Pour ça aussi j'ai une explication. Je fais de la musique "utilitaire", d'une certaine manière. C'est à dire que ce ne sont pas des morceaux qui plaisent, mais des morceaux sur lesquels on peut danser. Je crois que le fait que les gens puissent danser dessus en discothèque, prolonge beaucoup la vie d'un disque. Tu comprends, parce que même si les gens n'ont plus envie de les écouter, s'ils s'en lassent, les disc-jockey continuent à programmer mes titres parce qu'ils ont une "utilité". Les gens aiment danser dessus.
Numéro 1 : Est-ce qu'on chante pour réussir, Jean-Jacques ?
Jean-Jacques Goldman : Une question qui me trouble beaucoup dans le courrier que je reçois. Ils m'écrivent : "Je veux devenir chanteur". C'est une question que je ne comprends pas parce que je ne pense pas qu'on puisse devenir chanteur. On est chanteur ou pas. Quand j'ai commencé à faire de la musique, c'était avec des copains. Le week-end où chez moi. On déchiffrait des vieux blues avec des guitares bon marché, et je ne vois pas une énorme différence entre cette époque-là et maintenant… à part le fait qu'aujourd'hui, j'arrive à en vivre. Et je pense que, pour tout le monde, l'important est de faire de la musique, de chanter. Ça ne marche pas ? Et bien, je ferais autre chose, je vendrai des chaussures ou bien je travaillerai aux PTT, mais ça ne serait pas important puisque je ferais de la musique le soir, le week-end, avec les copains.
Numéro 1 : Le fait de vivre de ta musique actuellement, cela change-t-il ta façon d'écrire ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, ça l'a changée pour les deux premiers albums. Je voulais en vivre et en faire le plus possible, alors je me suis plié à des impératifs de programmation, une espèce de moule que demande la variété française. Par exemple, il est évident que je ne pouvais pas, comme Taï Phong, faire des chansons de 17 ou 15 minutes. Il fallait qu'elles aient une forme consommable. Mais je pense qu'on peut parvenir à sacrifier la forme sans sacrifier le fond. Donc, ce ne sont pas du tout des chansons que je renie, mais maintenant je peux et je dois extrapoler sur ces formules. J'aurais peut-être, dans le prochain album, la possibilité de me libérer un peu plus de ces contraintes-là.
Numéro 1 : Quand tu apparais à la télévision, tu as toujours un look propret, petite cravate, jean impeccable. Est-ce important pour toi d'avoir cet aspect rassurant pour le public ?
Jean-Jacques Goldman : Je n'aime pas les uniformes. Contrairement à beaucoup de gens qui disent ne pas aimer les uniformes et qui s'en habillent. Même blouson de cuir, tee-shirt noir, anneau dans l'oreille… ça va jusqu'à des détails épouvantables ! (rires). Et bien moi, j'aime bien brouiller les cartes, et je crois qu'en arrivant avec cette cravate, ce jean et ces cheveux longs il y a deux ans, ça les a pas mal brouillées. Les gens ne comprenaient pas très bien s'ils avaient à faire à un nouveau chanteur minet à la mode où à un nouveau rocker. J'aime assez…
Numéro 1 : Penses-tu que pour réussir il est important d'avoir un bon physique ? Un physique que l'on puisse exploiter ?
Jean-Jacques Goldman : C'est une chose que je ne pensais pas avant mais dont je me rends compte depuis très peu de temps : l'importance accordée au physique du chanteur. Personnellement, je n'y ai jamais été sensible. J'ai toujours acheté un disque parce que la musique me plaisait, et que le type soit sioux, noir, blanc ou vert, m'importait très très peu. J'avais les goûts du grand public, mais je me suis rendu compte que pour les gens, le physique prend une ampleur dingue. Cela va même beaucoup plus loin que ça. Il arrive un moment où la musique rend beau, c'est à dire que les gens trouvent un chanteur connu beau, alors qu'objectivement, il ne l'est pas. Mais en écoutant sa musique, ils arrivent à le trouver magnifique, et ça, je trouve que c'est très étonnant : une alchimie que je ne comprends pas tellement.
Numéro 1 : Tu faisais allusion aux lettres que tu reçois. Comment vis-tu ton public ? Comment l'imagines-tu ? As tu des rapports avec lui ?
Jean-Jacques Goldman : On dit souvent qu'on ne choisit pas son public, que c'est le public qui nous choisit. Au départ, je ne m'adressais pas à quelqu'un en particulier, étant donné que je parlais des problèmes qui étaient les miens. Je pensais, en les chantant, intéresser les gens de mon âge (entre 25 et 35 ans). Je fus complètement étonné de constater que ceux qui étaient concernés n'avaient que 14 à 18 ans, je n'y suis pour rien. J'en suis très content parce que c'est le public que tout le monde recherche.
Numéro 1 : Pourquoi la scène est-elle relativement absente de ta carrière, Jean-Jacques ? Ça ne te passionne pas, ou bien est-ce encore trop tôt ?
Jean-Jacques Goldman : C'est à peu près ça. Premièrement, la scène, j'en ai fait beaucoup quand je gagnais ma vie en jouant dans des petits groupes. J'étais étudiant. Je partais tous les week-ends. Aujourd'hui, repartir sur scène dans ces conditions-là m'intéresse assez peu. C'est-à-dire en ramant quoi, avec quatre musiciens dans des salles toutes petites etc. D'un autre côté, il y a beaucoup de chanteurs pour qui la finalité est la scène, le disque un support pour y arriver. C'est là qu'ils vivent l'intensité de leur métier, qu'ils sont en contact direct avec leur public. Moi, ce n'est pas mon cas. La scène sera toujours pour moi le support du disque. Je vais en faire l'année prochaine parce que je sais que c'est nécessaire pour continuer à faire des disques et pour donner une légitimité, avoir une authenticité. Ce n'est pas mon tempérament. Moi, je suis plus à l'aise dans un studio en train de faire de la musique. Je crois que chacun a sa façon de ressentir ce métier. Je ne crois être ni dans le vrai, ni dans le faux. C'est comme ça.
Numéro 1 : Crois-tu qu'on puisse être authentique sur un disque ?
Jean-Jacques Goldman : Je crois qu'on est non seulement authentique sur un disque mais qu'on peut l'être autant en play-back. Je chante en direct parce qu'il faut que je chante en direct, de la même manière que je fais de la scène parce qu'il faut que j'en fasse, je pense qu'on peut différencier le théâtre et le cinéma par exemple, sans dire que le cinéma est un art mineur par rapport au théâtre. Le disque, c'est un peu ça par rapport à la scène. Je vais faire un troisième album et je pourrai donc envisager de monter sur scène.
Numéro 1 : Peux-tu me parler du travail que tu fais en studio. Que ressens-tu alors ?
Jean-Jacques Goldman : La phase la plus importante est celle avant d'entrer en studio. Il y a beaucoup de chanteurs qui improvisent quand ils sont en studio, qui ont de vagues idées de ce qu'ils vont faire, et tout se passe par une recherche avec les musiciens, etc. Ce n'est pas du tout mon cas. Le jour J du studio, j'ai un cahier de 200 pages où tout est marqué. J'ai refait cent fois les maquettes. Je sais exactement ce qui va se passer. Le studio est l'éclatement de toute cette préparation.
Numéro 1 : Tu travailles en studio en France, mais "Il suffira d'un signe" a été mixé en Angleterre. Tu travailles avec des musiciens français qu'on retrouve d'ailleurs (pour certains) dans les deux albums. Que penses-tu des musiciens et des studios français ?
Jean-Jacques Goldman : Mon premier album a été mixé en Angleterre parce que le producteur et le preneur de son étaient anglais. Pour le mixage, il est très important d'avoir des écoutes auxquelles on est habitué, alors on est allé enregistrer là-bas. C'est la seule raison. Je n'ai vraiment aucune mythologie des studios anglais ou américains. Je crois que les machines sont les mêmes partout. Ensuite, je me suis rendu compte à l'audition du premier album, et avec un peu de recul, qu'il y avait des particularités à la chanson française au niveau de la tonalité de la compréhension des textes, et du mixage de la voix qui étaient impossibles à réaliser avec un preneur de son anglais. Pourtant, je sortais d'une phase très anglaise, avec les trois albums de Taï Phong, dans lesquels je chantais en anglais. C'est une constatation que j'ai eu du mal à faire. J'aurais à la limite pu travailler avec des Américains, mais pour moi il était évident qu'il fallait que je le fasse en France. Quant aux musiciens, alors là, je suis parfaitement sûr qu'ils sont aussi bons que les autres, sauf peut-être au niveau de certaines guitares.
Numéro 1 : Comment écris-tu avant de rentrer en studio ?
Jean-Jacques Goldman : Toujours de la même façon. Mon travail est de prendre des notes n'importe où, n'importe quand, sur n'importe quoi. J'ai mon carnet sur lequel je note des idées de textes, de musiques. Au bout de cinq ou six mois, c'est mûr. Je m'arrête pendant quinze jours, j'écris les textes, je fais les découpages et je commence à mettre au point. Après, j'entre en maquette. Je fais ça chez moi. J'ai un petit quatre pistes tout simple. En ce moment, je suis d'ailleurs dans cette phase. J'ai quatorze textes et j'en ai fait deux. Une fois que j'ai les maquettes devant moi, je peux les écouter, et le travail commence. Je change des textes, des découpages. Je fais ma petite cuisine, quoi ! Et donc, quand j'arrive en studio, tout est prêt, découpages, minutages, choristes, enfin tout !
Numéro 1 : Parlons du texte de tes chansons : certains thèmes nous ont accrochés. Par exemple, "Minoritaire". As-tu l'impression d'être un marginal ?
JJG : Marginal, non, ça a un côté un peu mode, que je n'aime pas trop. Minoritaire, oui. Je n'aime pas la fausse marginalité, ce qui est plus exact. Quand je vois ceux qui se disent marginaux et qui sont en fait totalement intégrés, "normalisés", ça m'agace. Je ferai, d'ailleurs, une chanson là-dessus un jour. Il y a des façons de penser qui sont soi-disant marginales et minoritaires comme par exemple l'anti-nucléaire, et qui sont complètement banales. A la limite, actuellement, "le minoritaire", c'est celui qui est pour le nucléaire. Non, vraiment, je n'aime pas ces lieux communs de pensées : il y avait ceux pour "la paix au Viêt-nam", contre "le Shah d'Iran". Aujourd'hui, ils ne s'y intéressent plus. Maintenant, il y a les "contre l'armée"… Tout le monde pense la même chose, pensant être marginal. En fait, ils se sont uniformisés. Je n'aime pas cette façon de penser collective : je me sens un vrai minoritaire.
Numéro 1 : Lorsque tu chantes, "Etre le premier", tu laisses supposer : quand on est le premier, on finit toujours par être seul. Maintenant, tu es en haut de l'affiche, alors penses-tu être seul bientôt ?
JJG : Non, je ne me suis jamais senti vraiment seul, et puis "Etre le premier" n'est pas du tout autobiographique. Il y a des chansons autobiographiques comme "Minoritaire" ou "Je ne vous parlerai pas d'elle" où je dis "je" clairement. Dans "Etre le premier", je dis "il". Parce que je parle vraiment d'un autre. Je parle de quelqu'un qui n'est pas moi, qui est même le contraire de moi et qui me fascine. Ce sont des gens que l'on rencontre dans la presse, dans la radio ou dans la musique, et qui ont cette espèce d'idée fixe : réussir à tout prix. Cette espèce de force qui leur fait endurer, pendant des années parfois, une vie misérable parce qu'ils veulent y arriver. Je les admire parce que j'aurais été complètement incapable de le faire. Moi, si quelqu'un ne s'était pas occupé de mes cassettes, je n'y serais pas allé. Si on ne veut pas de moi pour une émission, je n'y vais pas. Je peux être totalement heureux en jouant dans ma cave. Je ne dis pas que je renie ce qui se passe, mais je n'ai pas du tout cette force, qui pousse en avant, qui empêche de dormir, pour "Etre le premier". C'est donc une chanson en hommage à ces personnes là plus qu'une chanson autobiographique. Numéro 1 : Tu dis "il" dans cette chanson, mais toi, tu finiras bien par être un jour le premier, marginalisé par ton succès. En France, on n'aime pas trop la réussite, tu le sais !
Jean-Jacques Goldman : Oui, c'est vrai, ça pose d'autres problèmes évidemment. Je ne peux plus faire mes courses tranquillement. Je ne peux plus emmener mes mômes à l'école. Je ne peux plus aller à un concert. J'aime bien me balader tranquillement, rêver, et c'est vrai qu'à présent ça m'est très difficile. Flâner maintenant, même si ce n'est pas dramatique, est devenu difficile, mais c'est comme ça : j'ai acheté des lunettes et une fausse barbe, et puis voilà.
Numéro 1 : Tu cherches à te protéger de ça justement ?
Jean-Jacques Goldman : Non, je n'ai pas tellement à me protéger pour l'instant. Je crois que les gens en France sont moins obnubilés par la réussite et les gens connus. Ça se passe gentiment. Ils demandent un autographe, discutent un peu : ça ne prend pas de proportions invivables. Enfin, pour l'instant ! Je ne sais pas comment ça se passe pour les grosses, grosses vedettes du genre Hallyday ou Sardou. Moi, je suis resté dans ma banlieue et ça se passe bien.
Numéro 1 : Dans d'autres chansons comme "Le rapt" ou "Pas l'indifférence", on a l'impression qu'il y a une quête constante de tendresse et de non-violence. Jean-Jacques Goldman : Si tous les chanteurs exprimaient dans leurs chansons leurs idées politiques et morales, ce serait vite fait. Tout le monde est contre la violence, contre la guerre, pour l'amour et contre l'indifférence, donc c'est assez banal. Moi, j'essaie d'exprimer les implications journalières, dans le vécu. Par exemple, dans "Le rapt" : si tu rencontres une fille dans la rue, tu passeras pour un fou si tu lui parles. Par contre, si elle t'est présentée par un ami commun, tu pourras lui parler tout à fait normalement. Il n'est pas normal que la situation soit plus importante que l'intention. C'est un problème que n'importe quel type dans la rue a dû ressentir. Il faut toujours un peu tricher de façon à ce qu'il y ait des codes qui régissent les relations entre hommes. Voilà le thème de "Rapt". Pour "Pas l'indifférence", c'est plus global. Je crois qu'il y a des valeurs dans l'existence qui ont plus d'importance que de bien gagner sa vie, avoir une maison, le nouveau compact disque et le magnétoscope à retour rapide. Malheureusement, les gens qui s'occupent de notre morale, les politiciens, les syndicalistes, etc., sont très terre à terre dans leurs discours. On a toujours l'impression en les entendant que notre vie sera meilleure avec 13,50 francs de plus, ou une demi-heure de travail en moins. Le problème ne se situe pas uniquement dans ces termes là et je crois que les gens en sont très conscients. Quel que soit le parti politique, les discours sont rétrogrades vis à vis de ce que le public attend.
Numéro 1 : Es-tu étonné ou choqué que les gens, dans les boîtes, dansent sur "Comme toi" ?
Jean-Jacques Goldman : Je n'aurais jamais pensé qu'on puisse danser sur cette chanson, dans une chanson, le plus important c'est la musique. C'est finalement une appréhension très anglo-saxonne de la musique. Mais je demande à n'importe quel français, à n'importe quel critique littéraire qui sabre les chanteurs français parce que leurs textes sont soi-disant nuls, de me dire ce que signifie "Obladi oblada" des Beatles ou autres chansons. Il y a là un racisme. C'est une particularité de la chanson française qui se situe incontestablement au niveau du texte. Ça peut s'expliquer par notre passé culturel, etc. Mias il est sûr qu'on est beaucoup plus sévère avec les chansons françaises qu'avec les chansons étrangères. Parce qu'on reçoit le chanteur anglo-saxon comme un instrument, comme une composante totale de la musique. La presse est très dure pour les chanteurs français, et ces gens-là viennent me voir maintenant que j'ai écrit "Comme toi". Je me fais un plaisir de leur dire, que pour moi, il est plus important de faire une chanson comme "Quand la musique est bonne", parce qu'il y a des tonnes de chanteurs français qui sont capables de faire des textes aussi beaux que celui de "Comme toi". Par contre, il n'y en a pas beaucoup qui sont capables de faire de la musique sur laquelle on danse.
Numéro 1 : Quels sont tes projets ?
Jean-Jacques Goldman : L'entrée en studio en juillet, une tournée en province en novembre, la sortie de l'album en janvier, et une longue scène pour appuyer cet album de mars à mai.
Numéro 1 : Est-ce que tu te sens utile ? Je fais allusion à une de tes chansons où tu parles de l'utilité d'aller chanter…
Jean-Jacques Goldman : Mais tu les connais toutes ! Oui, c'est le thème de ma chanson "Sans un mot". Ecoute, c'est une des raisons principales qui me pousse à faire une tournée… Je sais que ça va être un support pour le troisième album, mais il y a aussi tellement de demandes quand je fais des galas en province par exemple, tellement de gens qui ont acheté l'album, qui ont été touchés par mes chansons et qui me demandent "Quand est-ce que tu viens ?". Si je me contentais de vendre mon disque sans rien donner de moi-même sur scène, ce serait moche. Aller sur scène a un coté "pour de vrai" que le disque n'a pas. Alors j'ai l'impression qu'en y allant, je suis utile, d'une certaine façon. Bon, je relativise quand même complètement le rôle du chanteur, il est évident qu'on peut se passer de n'importe quel chanteur comme on peut se passer de n'importe qui… Si ce n'est pas moi qui donne ce plaisir, il y en aura toujours un autre pour le donner. Enfin, autant que ça soit moi puisque ça me donne du plaisir aussi…
Numéro 1 : Envisages-tu une carrière internationale ?
Jean-Jacques Goldman : Non, pas du tout ! On m'a fait des propositions soi-disant très intéressantes, mais moi je ne fais pas de la musique pour être une vedette connue mondialement, je n'ai rien à prouver. Rien à me prouver. Je n'ai pas d'étapes à franchir. Tout ce qui m'arrive maintenant c'est trop par rapport à mes ambitions de départ qui étaient finalement de vivre normalement en faisant de la musique. Non, ce n'est pas "ma tasse de thé", la carrière internationale.
Numéro 1 : Es-tu quelqu'un d'optimiste ou de pessimiste ?
Jean-Jacques Goldman : Je suis quelqu'un de tristement optimiste, un lucide optimiste. Je ne suis pas un type spécialement gai. Il ne faut pas m'inviter à des anniversaires, mariages ou autre, je suis d'une tristesse épouvantable, pas du tout du genre joyeux drille, mais je suis quand même fondamentalement optimiste…
Numéro 1 : Dans "Veiller tard", ta plus belle chanson à mon avis, tu ne parais pas spécialement optimiste. Est-elle autobiographique ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, je crois effectivement que c'est la mieux écrite des deux albums. Dans cette chanson, c'est un peu le coté désespéré de l'optimisme qui est évoqué. Il y a toujours un moment où le soir arrive, et où l'on se retrouve seul face à soi-même, on le sait. Donc, à la limite, je suis optimiste mais je sais que ça ne sert pas à grand chose. La fin est toujours la même.
Numéro 1 : Le rock, pour toi, ça signifie quoi ?
Jean-Jacques Goldman : Premièrement, je n'ai de leçon de rock à recevoir de personne. Je sais ce que c'est. Je suis allé le chercher dans les boîtes pourries de Normandie, plus que personne ne le fera. Deuxièmement, je ne me sens pas du tout solidaire de cette mythologie, qui fait que "Let it be me" de Bob Dylan est considérée comme une chanson rock, et que "Je t'appartiens" qui est la version originale de Gilbert Bécaud, devient subitement une chanson de variété. Je ne comprends pas que si Julio Iglesias chante n'importe quelle chanson, ce sera toujours de la variété, alors que Roxy Music sera toujours assimilé au rock quoiqu'il chante. J'essaie de revenir à l'étymologie. Il y a le rock d'Eddy Cochran. Là, je ne me sens pas du tout solidaire de cette musique, j'aime mais sans plus. Moi, je suis issu des musiques batardes, du hard rock et ensuite de tout ce qui a été dégénéré par d'autres chanteurs. J'étais plutôt James Brown que rythm n'blues pur. Plutôt disco d'une certaine manière. Plus jazz rock que rock pur, tel que je le connais. Numéro 1 : Les labels, ça ne te fait pas un peu peur ?
Jean-Jacques Goldman : Non, pas spécialement. Je crois qu'il y a une nouvelle chanson française à peu près tous les deux ou trois ans, et on ressort le même terme "Nouvelle chanson française", "Chanteur français des années 80", etc. Ça concerne le show biz, mais pas le public. S'il met un poster de quelqu'un dans sa chambre, ce ne sera pas celui du chanteur des années 80, mais celui de quelqu'un qu'il aime. Je crois que le public nous donne une leçon de simplicité tous les jours. C'est vrai qu'on se demande sans cesse quelle image avoir, quelle image donner, quelle presse accepter, etc. Mais en fait, le public attends une chose très simple de nous, et c'est d'une certaine manière très rassurant… Numéro 1 : Parviens-tu à bien superviser ta carrière ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, ça va. Je crois que le disque le plus important est le premier. C'est celui pour lequel on est le plus dépendant d'une maison de disques, des médias… A partir du moment où l'on a passé ce cap, tout "se retourne". Tout ce qui était méfiance au départ devient certitude. On est considéré comme un valeur sûre. A présent, je suis donc en contact direct avec les médias, le public, et ça va. Si je me plante, c'est que je ne plais plus au public. Je contrôle donc bien "ma carrière" !
Numéro 1 : Et si un jour, Jean-Jacques Goldman redescendait au bas de l'échelle ?
Jean-Jacques Goldman : Il n'y a pas de "si", c'est une certitude. Je sais qu'un jour, je ne serai plus à la mode, et il n'y a aucun malaise… Tout le monde a ses éclipses. Pour le moment, je fais partie d'un inconscient collectif qui a voulu qu'on m'aime. Demain, je serai usé comme d'autres chanteurs sont usés actuellement, alors qu'ils étaient au firmament il y a quelques années… On n'y peut rien. Ça va m'arriver, mais ça ne m'angoisse pas parce que je sais que je suis un faiseur de chansons, et que grâce à l'expérience que j'ai vécue, je pourrai toujours décrocher mon téléphone en disant "Bonjour, c'est Jean-Jacques Goldman, j'ai une chanson à vous proposer" et je sais qu'on me recevra. Donc, je ne suis pas du tout inquiet.
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