Goldman au pied du rêve
|
Goldman au pied du rêve
[Journal de Lausanne], le 3 mars 1984
Philippe Souaille
Retranscription de Séverine Gauthier
Vedette depuis à peine deux ans, le chanteur de "Quand la musique est bonne" apprend le métier du succès
Jean-Jacques Goldman est un météorite : une de ces réussites aussi brillantes que fulgurantes dont le show-biz fait parfois cadeau à ses innombrables prétendants. Même si elles sont précédées, comme dans ce cas, de longues années d'apprentissage du métier.
En tout cas, le succès n'a pas encore tourné la tête du chanteur. Tout au plus a-t-il entraîné quelques bouleversements dans sa vie. Ne serait-ce qu'un agenda… Mais s'il regrette de ne plus pouvoir jouer de la musique "pour le plaisir", ou de se consacrer aux amis et à la famille, Jean- Jacques Goldman obtient aujourd'hui des choses qui ressortissaient hier encore au rêve pur et simple. Voiture ? Maison ? Nuits luxueuses ? Non : le rêve de Goldman, c'est plutôt de décrocher John Helliwell, musicien de Supertramp, pour jouer sur son disque.
Un bateau secoué L'argent ? Jean-Jacques Goldman connaît. Pour avoir fait les Hautes études commerciales, et pour avoir payé ses études en cachetonant comme guitariste de boîtes. Les sous qu'il engrange désormais, il préfère en confier la gestion à son frère, qui s'occupe également des ses contrats. Sage fourmi : "Je préfère mettre tout ça à l'abri. Pour plus tard, lorsque ça ne marchera pas"…
Musicalement, Jean-Jacques Goldman ne prétend pas imposer son style. Au contraire : "Je me sens comme un bateau secoué par de multiples influences. Ma voile est sensible à tous les vents. J'écoute beaucoup, et j'évolue en fonctions des tendances. Mais certains mouvements m'ont plus particulièrement marqué : la musique des années 70, de Deep Purple à John Mayall ou aux Doobbie Brothers. D'ailleurs, je voulais baptiser mon premier album "Démodé". En fait, je suis un produit d'arrière-garde, et je n'imagine pas changer beaucoup. Normal, j'ai 32 ans. Mais je pense que la mode va retourner à cette période. En attendant, je répète "Pourvu que ça dure ! ".
Croché, Goldman ? Il reconnaît pourtant que les sons synthétiques existent, et qu'il faut tenir compte de ces nouvelles sonorités, comme de la rythmique. Après dix ans d'expérience professionnelle, de groupes de rock au lycée et à la fac, ses choix musicaux gardent pourtant le parfum d'une décennie apparemment oubliée.
Un an de retard dans le courrier Vedette depuis deux ans à peine, le chanteur n'a pas cessé d'apprendre : "Ce que je prenais pour un métier de feignant implique en réalité une sacrée dose d'investissement personnel. L'écriture, comme l'interprétation, la scène comme le studio demandent une préparation minutieuse".
Rançon de la gloire : "Je ne peux plus répondre à toutes les lettres de mes admirateurs. Et je passe une grande partie de mon temps en opérations de promotion Télé ici, interviews là…". Mesure de sa popularité, il a désormais une année de retard dans son courrier : "J'en suis d'autant plus énervé que les chansons préférées de mes correspondants ne sont jamais les tubes. Mais les moins trichées, les plus authentiquement vécues. Comme quoi le monde de la chanson est tout de même une histoire morale". Morale peut- être, exigeante certainement. Impossible par exemple de souscrire à la traditionnelle séance d'autographe en fin de gala : Jean-Jacques Goldman s'y est essayé une fois, la première et la dernière. Il y a presque passé la nuit, alors qu'il chantait le lendemain à une centaine de kilomètres de là : "il faut choisir, signer des autographes et répondre au courrier, ou donner des galas et écrire de nouvelles chansons…".
Et l'auteur de "Quand la musique est bonne" de s'en retourner, les épaules un peu voûtées sous son petit blouson anodin ("Je déteste me faire remarquer dans la rue"). Très sage. Tellement sage qu'il apparaît aux yeux de certains ( sa marque de disques notamment) comme la réplique aux excès du temps. Il s'en va explorer sa route, "Tout au bout du rêve".
Retour au sommaire - Retour à l'année 1984