Une interview musclée
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Une interview musclée
Podium Magazine, 1984
Julien English
Retranscription de Céline Vallet
Julien English : Dix-huit mois se seront écoulés entre mai 1984, fin de ta dernière tournée en date et la fin novembre 1985, début de la prochaine. Pourquoi une aussi longue absence ?
Jean-Jacques Goldman : Parce que je ne pense pas que ma présence sur une scène et mes chansons suffisent à faire un spectacle. Il faut une véritable infrastructure, un décor, un très bon son, de belles lumières, une mise en scène pour obtenir un vrai spectacle. Pas seulement des chansons qui s'enchaînent. Or tout cela se prépare et ne peut se mettre au point que dans le cadre d'une tournée, pas de galas isolés. Il est vrai que je tourne longtemps. C'est ainsi que ma prochaine tournée commencera fin novembre 1985 pour s'achever en mars ou avril 1986, avec quelques interruptions.
Julien English : On peut donc parler de dix-huit mois de vacances ?
Jean-Jacques Goldman : Pas vraiment ! J'ai pris des vacances en mai dernier puis j'ai travaillé au mixage de l'album. En juin, c'était la promotion de « Encore un matin ». Vacances en juillet, août puis septembre, studio et tournage du clip « Américain ». En novembre et décembre, promotion de « Américain ». En ce moment, je travaille à fond sur l'album qui doit sortir en septembre ou octobre prochain.
Julien English : On te reproche assez souvent de ne pas évoluer d'un album à l'autre... bref, de faire toujours la même chose.
Jean-Jacques Goldman : Moi, quand j'entends chanter Georges Brassens, je ne trouve pas de différence notable entre son premier et son dernier album. C'est toujours Brassens qui chante, c'est sa musique et elle se reconnaît d'assez loin. Alors, en toute humilité, je me dis qu'il doit donc être possible de faire une carrière sans trop changer de style. A ce niveau-là, je suis tranquille. C'est vrai qu'il y a des choses que je ne peux pas changer, à commencer bien sûr par ma voix, malheureusement...
Julien English : Pourquoi malheureusement ?
Jean-Jacques Goldman : Parce que c'est sûr, je préfèrerais chanter comme Rod Stewart. J'ai aussi un passé musical qui m'entraîne vers un certain type d'orchestration et ça non plus je n'y peux rien. Cela dit, il me semble qu'à l'écoute de chacun de mes trois albums, on s'aperçoit qu'ils sont tous « datés ». Celui de 1981, comme celui de 1982 ou de 1984 portent la marque de l'époque. Ce qui n'a d'ailleurs rien d'étonnant dans la mesure où je suis très sensible à mon environnement musical.
Julien English : Puisqu'on en est aux reproches, on t'accuse de composer une musique pas très originale, plus ou moins « piquée » à pas mal de gens...
Jean-Jacques Goldman : C'est vrai que je n'ai rien inventé, mais il est vrai aussi que je n'ai jamais plagié personne. Tout dépend ce que l'on entend par « piquer ». Oui, j'ai piqué les boîtes à rythmes à la new wave anglaise, oui, j'ai piqué des musiciens à la mode, oui, je remets à ma sauce des choses qui existent, mais qui peut se vanter d'avoir tout inventé ! Qui peut dire : « je ne dois rien à personne » ? Même les Beatles ont joué pendant dix ans les musiques des autres. Qui pourrait nier qu'ils ont été complètement influencés par le rock et le blues américain ? Et Charles Trénet : il est bien parti du jazz pour inventer la nouvelle chanson française. Même Prince n'a rien inventé, si ce n'est qu'il amène un mélange novateur.
Julien English : D'où vient ton succès ?
Jean-Jacques Goldman : Je suis sûr qu'il est lié à la vague anglo-saxonne qui déferle sur la France. Il y a un besoin très net d'une musique anglo-saxonne mélangée à des paroles françaises.
Julien English : Et ton physique : il ne joue pas un rôle ?
Jean-Jacques Goldman : Sincèrement, je ne crois pas. Il y a des gens beaucoup plus beaux que moi.
Julien English : Le look, c'est important ?
Jean-Jacques Goldman : En 1981, je me suis posé le problème du look... et je n'ai pas trouvé de solution. Alors, j'ai décidé d'y aller comme j'étais, en rajoutant une cravate pour faire plus propre. Et ça ne se passe pas trop mal.
Julien English : Vendre beaucoup de disques, c'est important ?
Jean-Jacques Goldman : Ça n'est pas mon problème et ça ne m'a d'ailleurs jamais préoccupé. Il faut comprendre une chose et me croire sur parole : je n'ai jamais rêvé de devenir célèbre. Pour moi, la chanson, c'est un plaisir, un hobby qui a bien tourné. D'ailleurs, j'avais tout de même vingt-neuf ans lorsque j'ai fait mon premier album.
Julien English : Et si, du jour au lendemain, ça ne marchait plus ?
Jean-Jacques Goldman : Je n'en souffrirais pas, pour toutes les raisons que je viens de te donner. Tu sais, avant, j'avais un magasin de sports avec mon frère et je peux t'assurer qu'on s'éclatait. Quand je le vois aujourd'hui partir pour des salons, j'ai presque une petite pointe de regret. Autant dire que je suis prêt à recommencer demain si la chanson ne marche plus. Je ferai comme avant : de la musique pour mon seul plaisir.
Julien English : Et le fric ?
Jean-Jacques Goldman : Contrairement à beaucoup de musiciens, je ne suis pas parti d'un point zéro pour atteindre un infini. Je n'ai jamais « ramé » et que ce soit dans mon milieu familial, ou plus tard lorsque je me suis assumé, je n'ai jamais souffert du manque d'argent. Aussi, le fait d'en gagner plus depuis deux ans n'a rien changé à ma vie. Je roule toujours avec la même voiture, une Talbot Horizon complètement délabrée, pas par snobisme d'ailleurs mais simplement parce que les voitures ne m'intéressent pas. J'habite toujours dans la même maison et je n'ai pas changé de femme ! Le petit plus que peut m'apporter cet argent, c'est la sécurité dans mon métier. Désormais, je sais que si ça ne marche pas pendant un certain temps, je ne serais pas acculé. Je ne suis pas obligé de faire « le » tube pour survivre.
Julien English : La gloire ?
Jean-Jacques Goldman : J'ai toujours été très casanier. J'ai peu de goût pour les grandes marques d'affection avec les voisins, d'ailleurs ils me laissent tranquille. En fait, je vis très retiré, je sors rarement, je ne me balade jamais dans Paris et au bout du compte je ne peux pas dire que je souffre d'être assailli dans la rue ou les lieux publics... On ne m'y voit presque jamais.
Julien English : Est-ce que tu es une star ?
Jean-Jacques Goldman : Je ne crois pas qu'on puisse être une star sans y croire soi-même. Le premier fan d'une star, c'est lui-même. En ce qui me concerne, je n'ai jamais pu me regarder dans une émission de télévision ou m'écouter à la radio sans un petit sourire... Alors, star, non ! Je crois sincèrement que si un autre chantait mes chansons, elles auraient le même succès. Et puis, une star c'est autre chose : moi, quand je rentre dans un café, personne ne se retourne. Si c'est Johnny Hallyday qui entre, silence de mort. Toute la différence est là. Mes chansons m'ont rendu célèbre, pas l'inverse.
Julien English : Tu es très famille ?
Jean-Jacques Goldman : Pas par principe. Il se trouve que j'aime bien plusieurs membre de ma famille, mais je serais incapable d'aimer quelqu'un uniquement parce qu'il fait partie de ma famille.
Julien English : Tu n'as jamais caché que tu étais marié et père de deux enfants mais on n'a jamais vu de photos de ta femme ou de tes gosses. Pourquoi les planques-tu ?
Jean-Jacques Goldman : Ma femme a son métier, elle est peu impliquée dans ce que je fais. De plus, elle ne souhaite pas apparaître. Si elle travaillait avec moi, ce serait peut-être différent mais il se trouve qu'elle ne fait pas partie de mon univers professionnel. Je respecte son choix. Quant aux enfants, nous avons décidé pour eux qu'il n'était pas nécessaire d'en faire de petites stars.
Julien English : Mais tu comprends que ta vie privée intéresse tes fans ?
Jean-Jacques Goldman : On est tous curieux et voyeurs vis-à-vis des autres, c'est sûr. Cela dit, moi je crois que quelqu'un est intéressant par ce qu'il fait, pas par ce qu'il est. De ma vie, je n'ai jamais demandé un autographe, ni collé de posters dans ma chambre. Plus jeune, je n'étais pas intéressé par la vie des chanteurs. J'ai énormément d'admiration pour Elton John, mais le jour où je me suis trouvé à quelques mètres de lui, je n'ai pas eu envie d'aller le trouver pour échanger quelques mots avec lui.
Julien English : Tu accepterais de participer au « Jeu de le Vérité » de Patrick Sabatier ?
Jean-Jacques Goldman : On me l'a proposé et j'ai refusé. Je n'ai pas envie de raconter ma vie privée aux gens. Moi, je ne leur demande pas avec qui ils vivent. Cela dit, c'est une émission que j'aime regarder... tu vois, je suis comme les autres !
Julien English : Tes fans doivent avoir du mal à t'imaginer en père de famille...
Jean-Jacques Goldman : Je suis un père très classique, pas un père copain, ni un père fouettard. Un papa. J'adore mes enfants mais je sais être ferme. Par exemple, je ne supporte pas les caprices. J'estime que l'enfant étant un être doué de raison et pas un petit animal, il faut le considérer comme tel. Se conduire en responsable et lui parler comme quelqu'un de responsable.
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