Jean-Jacques Goldman en Français dans la chanson
|
Jean-Jacques Goldman en Français dans la chanson
?, 1984
Alain de Kuysschë retranscription de Marie-Laurence Cuvillier
La chanson française a sauté une génération. Après Brassens, Brel, Bécaud, à leur grande époque, il était entendu qu'on ne pouvait chanter qu'en anglais ou "à la manière de" (voir Lama, Sardou, etc...). L'adaptation ne se portait pas trop mal, mais depuis la disparition de Claude François, le domaine battait de l'aile. Et puis la génération Goldman. D'abord laminée par le phénomène Beatles ; zone sinistrée parce-que la langue française accepte mal les rythmes anglo-saxons, cette génération fait ses comptes. Et un bilan. Après ? Après, c'est Jean-Jacques Goldman.
Dans ce cadre, sa trajectoire est presque exemplaire. Il est né en 1951, c'est-à-dire tout juste pour encaisser la vague anglo-saxonne des années 60. Rock, soul, pop ponctuent sa jeunesse, par ailleurs marquée par des études de piano et violon. Vite délaissées pour la guitare : en 1965, la musique, ce goût des cordes à gratter, les cheveux dans le vent, une bande de copains, un électrophone, un garage et l'enregistrement d'une chanson qui va révolutionner le monde. Normal qu'un an plus tard, Jean-Jacques Goldman fonde son premier groupe, les Red Mountain Gospellers. Il ne partira pas à la conquête du monde, mais il permettra à son fondateur de mettre le pied à l'étrier. Il mène de front études et apprentissage musical, voyages et contacts, jusqu'en 1974.
Un nouveau groupe, Tai Phong, voit le jour en 1974. Ils sortiront trois albums. A l'époque, on n'ose pas avouer qu'on est français, et Tai Phong mêle exotisme et paroles anglaises.
1980. Les temps changent (remarquez qu'on ne dit plus "The times thay are a- changing") : la chanson américaine tourne en rond et la française tourne moins rond que jamais.
Pourtant quelquechose redémarre : la volonté d'amalgamer l'acquis des années rock-pop et l'existence d'une sensibilité française. Problème : la langue française ne fait décidément pas bon ménage avec les rythmes ancrés depuis vingt ans dans nos têtes. Le 2/4 ou le 4/4 sont considérés par les musiciens avec un certain mépris. Ça fait pauvre, cela ne permet pas de développements imaginatifs. Si, en plus, on marque les deuxième et quatrième temps, on se rend compte que peu de mots français se coupent aisément en deux. L'anglais, par contre, présente une structure plus souple : il ignore presque les voyelles muettes ainsi que les mots se terminant sur un temps fort.
Qu'importe, c'est avec ça qu'il faut faire. On en arrive à une synthèse de rythmes venus des quatre coins du monde. Aux influences orientales viennent se greffer les traditions africaines ainsi que le terroir européen. Parallèlement, la voix devient un instrument comme un autre dans l'espace musical d'une chanson. Ecoute-t-on encore les paroles ? Ce n'est pas sûr. Et ce n'est pas le moindre paradoxe que de ne plus saisir les textes au moment où ils deviennent intelligents et rompent avec le fameux couple amour/toujours. A tel point que les auteurs se sentent obligés d'imprimer les paroles des chansons sur la pochette. Pour être sûr qu'on les comprendra ?
Dans cet univers musico-discographique, Jean-Jacques Goldman sort son premier album. Nous sommes en 1981. Le deuxième suivra un an plus tard : ce sera la meilleure vente de 33T de l'année pour un artiste français. Le troisième, Positif, est paru en début de cette année.
Alain de Kuysschë : Le troisième album, n'est-ce-pas le plus difficile, si l'on considère que le premier constitue la découverte, le deuxième la confirmation ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, le troisième album fait toujours un peu peur. A tout le monde : à l'artiste comme au public. Surtout si le deuxième a remporté un certain succès. Dans le cadre de notre société, tout se conçoit sous forme de spirale - il faut que la nouveauté fasse toujours mieux que ce qui précède : c'est paniquant ! Je suppose qu'il y aura des déçus avec mon nouvel album, ce qui est un phénomène normal. Je tiens à ce que chacun de mes albums ait une couleur différente ; à chaque fois, j'essaie d'aller vers plus d'élaboration, plus de recherche. Au moins, je pourrai me dire que, si ça foire, ce ne sera pas à cause d'un ronron, de répétitions !
Alain de Kuysschë : Vous vous êtes senti détendu pour faire ce nouvel album ?
Jean-Jacques Goldman : Oui et non, il est clair que le succès de "Quand la musique est bonne" m'a permis d'aller plus loin musicalement parlant, de consacrer un peu plus de temps à l'enregistrement, au mixage, etc... Mais, d'autre part, je me sentais un peu stressé parce qu'il fallait joindre, disons, ma réputation à une certaine qualité que les gens attendaient.
Alain de Kuysschë : Je voulais dire : le troisième album n'est-t-il pas celui où un artiste peut faire ce qu'il aime vraiment, alors que les précédents seraient destinés à conquérir le public le plus large possible ?
Jean-Jacques Goldman : Ce n'est pas mon cas. Depuis mes débuts en français, j'ai toujours essayé de me donner à fond. Le troisième album est autant pour moi que le premier.
Alain de Kuysschë : Vous ne subissez aucune pression de la part de votre maison de disques (Epic) qui vous demanderait d'exploiter toujours la même veine, c'est-à-dire de réécrire des chansons à la manière de vos anciens succès ?
Jean-Jacques Goldman : Non. L'influence des maisons de disques est devenue moins importante qu'autrefois. Aujourd'hui, les maisons de disques se contentent de distribuer le produit dans lequel elles croient - ce qui n'est déjà pas si mal ! Mais dans mon cas, je n'en suis plus à l'époque des producteurs appointés par une maison de disques, des bonshommes tout- puissants, qui se servent du chanteur comme d'un investissement qu'on remise quand il est usé. J'ai toujours pu faire ce que bon me semblait. Et puis les maisons de disques sont tout sucre quand les affaire sont florissantes... Les problèmes commencent si les ventes baissent !
Alain de Kuysschë : Vous avez dédié votre troisième album à "ceux qui seront encore là quand les choses iront moins bien" : vous craignez l'avenir tant que ça ?
Jean-Jacques Goldman : C'est un reproche qu'on ne peut pas faire à quelqu'un qui travaille dans un domaine aussi aléatoire que la chanson ! Rien n'y est éternel. Mais c'est vrai que le disque est un monde assez stressant. Surtout quand vient le succès. On se retrouve tout de suite entouré : ce sont les conseillers en tout genre, les journalistes, la télé, le courrier... On devient une organisation et si on n'y prend garde, on cesse d'être un être humain. Ce genre de folie ne dure qu'un temps. Et c'est à ce moment-là que restent les vrais amis.
Alain de Kuysschë : Vous en avez gagné depuis que vous êtes connu ?
Jean-Jacques Goldman : Très peu.
Alain de Kuysschë : On parle peu de votre vie privée -on sait que vous êtes marié et que vous avez deux enfants. Ce n'est pas un handicap pour un chanteur ?
Jean-Jacques Goldman : Non. Cela ne m'a jamais empêché de vendre des disques. Et je serais très malheureux si on me réduisait aux proportions d'un chanteur pour minettes.
Alain de Kuysschë : Les minettes, les groupies, ce ne sont pas les occasions qui doivent vous manquer ?
Jean-Jacques Goldman : Ça fait partie des risques du métier ! Mais je n'ai pas envie de mettre en danger ma vie conjugale pour des aventures qui n'en valent pas la peine.
Alain de Kuysschë : Mais vous devez reconnaître que tout est fait pour que certaines personnes fantasment sur votre personnage !
Jean-Jacques Goldman : Aujourd'hui, c'est une des manières de "vendre" un chanteur. Il faut dire que tout conspire à en arriver à cette situation : il y a une presse qui fait ses choux gras de potins sur les chanteurs, de photos plus ou moins sexy, etc... Je ne dis pas que ça me réjouit d'entrer dans ce système, mais j'aurais mauvaise grâce à dire que j'en veux pas. Cela nous ramène aux questions sur mon évolution musicale en trois albums. J'espère qu'avec mes albums récents et à venir, le public appréciera plus et mieux qu'un personnage que je ne suis pas tout à fait.
Alain de Kuysschë : Il y a une grande différence entre le Goldman popularisé par les médias et ce que vous êtes en réalité ?
Jean-Jacques Goldman : Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il existe une "grande" différence. Sans quoi, tout ce que je fais serait bâti sur une confusion, un malentendu. Il est certain que je suis un individu introverti et que cela ne correspond pas tout-à-fait à cette image publique un peu folle. De toute manière, c'est au travers des concerts que le public peut le mieux approcher ce que je suis vraiment.
Alain de Kuysschë : Justement, vous n'en avez pas fait beaucoup !
Jean-Jacques Goldman : Mais je me suis beaucoup entraîné ! Avec des musiciens et des spécialistes de la scène, nous avons mis au point un spectacle qui, à mon sens, brise la barrière qui se dresse entre le disque et les auditeurs. C'est à la fois spectaculaire et intimiste.
Alain de Kuysschë : Autre aspect de votre métier : il semblerait qu'aujourd'hui un disque ne se vend plus s'il n'est accompagné d'un clip vidéo. Où en êtes-vous dans ce domaine ?
Jean-Jacques Goldman : Pas très loin. C'est une forme d'expression que je ne maîtrise pratiquement pas. Mais pour tout ce qui concerne la périphérie de la chanson (spectacle, vidéo...) je fais confiance à un ami très branché sur ce sujet. La vidéo, c'est un métier et c'est un apprentissage. En ce qui me concerne, j'ai encore beaucoup à apprendre dans ce domaine. La seule chose que j'espère, c'est que la vidéo ne va pas l'emporter sur la chanson. Car si en ce moment la vidéo apporte quelquechose de plus à la chanson, je crains que les "vidéastes" considèrent parfois que la chanson n'est qu'un élément qui sert à mettre en valeur leur mise en scène. Et ça, c'est tout le contraire de l'effet recherché !
Jean-Jacques Goldman a sorti trois albums chez Epic : "Il suffira d'un signe", "Quand la musique est bonne" et "Positif". Il sera au Cirque Royal (Bruxelles) pour un concert le 23 mars.
Retour au sommaire - Retour à l'année 1984