Positif et… non homologué
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Positif et… non homologué
Paroles et Musique n°55, décembre 1985
Renaud EGO / Jacques ERWAN / Marc LEGRAS / Didier VARROD
Retranscription de Ludovic Lorenzi
Y'en a des bien plus "gros" des bien plus "respectables" Moins ringards et rétros, des bien plus présentables Qui visiblement parlent à la postérité Loin de mon éphémère et de ma futilité Des grands, des créateurs, avec une majuscul Loin de tout quotidien, sans le moindre calcul ! Les rockers engagés sont nos derniers des justes Ils nous sauvent peut-être pendant qu'on s'amuse
("Compte pas sur moi", Jean-Jacques Goldman)
Futile, Jean-Jacques Goldman ? Allons donc! Ni plus ni moins que la majorité de ses confrères. En l'espace de quatre ans, il s'est imposé comme l'une des valeurs commerciales les plus sûres du marché français. Il a suscité puis fixé l'attention d'un public jeune, gros consommateur de disques, de cassettes et de spectacles.
L'essor récent de la F.M., qui a beaucoup programmé quelques unes de ses chansons, ne saurait à lui seul expliquer le phénomène. Pas plus que l'âge de ses spectateurs.
On peut souligner que ceux d'entre eux qui, par exemple, le découvraient l'année du bac avec "Il suffira d'un signe" et qui lui sont toujours fidèles, fréquentent aujourd'hui les bancs de l'Université ou sont sur le point d'en sortir diplôme en poche. Ils appartiennent à ce public populaire qui suit les concerts de Jean-Jacques Goldman et dont on ne saurait d'un trait de plume nier la liberté de choix et les motivations. Ajoutons que ce public est celui qui connaît le mieux l'ensemble de ses chansons et non les quelques titres largement diffusés auxquels personne n'a échappés. Ni virage - ou bien ce n'en est qu'un de plus - avec ce dossier, ni course après le succès; un succès qui aurait fini par rattraper un jour ou l'autre les observateurs de la chose chantée que nous nous devons d'être.
Sans l'intervention d'aucun service de presse - faut-il le préciser ? - nous avons souhaité rencontrer Jean-Jacques Goldman. Surpris d'un tel intérêt de la part de deux représentant de la revue de la chanson vivante, il nous a lui-même mis en garde – "Je vous aurais prévenus" - sur les réactions qui pourraient être les vôtres: celles des lecteurs.
Dans un sourire, nous avons plaidé et notre liberté de choix de journalistes et la maturité d'une revue - et de ses lecteurs - susceptible d'aborder sans complexes et sans préjugés le parcours d'un chanteur aujourd'hui fêté et suffisamment, lucide pour dédier l'un de ses albums "à ceux qui resteront fidèles quand il sera moins facile de l'être". Lucidité que l'on retrouvera dans la façon dont il mène sa carrière.
Jean-Jacques Goldman a joué le jeu, nous a accueillis chez lui et dans le studio de banlieue où il répétait avec ses musiciens avant d'entamer une tournée qui durera jusqu'au printemps prochain et dans laquelle s'insèrera son passage au Zénith, du 3 au 18 décembre. L'année Goldman est ouverte ! Jean-Jacques Goldman n'est pas seulement un collectionneur de tubes - huit en quatre disques ! - c'est aussi un homme de scène. Positif et Non homologué, les titres de ses deux derniers albums (84 et 85) - les précédents n'en portaient pas - définissent assez bien sa personnalité.
Jacques ERWAN / Marc LEGRAS
(Auto) Portrait
La notoriété ne l'a, semble-t-il, pas abîmé. Le naturel demeure : le succès n'a guère entamé sa simplicité. Peut-être a-t-il accentué son goût de la solitude ? Ainsi que cette volonté de ne pas se fondre dans une masse, d'exprimer la singularité d'un individu et de refuser le pessimisme ambiant.
Sympathique, le personnage séduit d'emblée. Malgré une certaine réserve, vestige d'une probable timidité. On le devine si fragile ! Voilà pour la sensibilité. L'intelligence, la finesse, la lucidité, le charme, voire l'humour, feront le reste...
Réfléchi, souvent un silence précède ses réponses. Prudent, il émaille son discours de multiples précautions oratoires. Pudique, il sait, pour préserver son jardin secret, rester énigmatique, ou pour mieux se protéger encore, se réfugier à l'abri d'un bel éclat de rire.
Derrière l'apparente sérénité de ce jeune homme équilibré et normal, au point de risquer d'en apparaître banal, on subodore le doute qui parfois effectivement affleure. Voire le nuage d'espoirs déçus et, peut-être aussi, comme une déchirure...
Mais lui, comment dessine-t-il son autoportrait ?
"Une tendance naturelle au conformisme" serait "peut-être", à l'en croire, son principal trait de caractère. Doublé du refus "d'être dupe des révoltes bidon". Il est, dit-il tranquillement, "d'humeur égale – ni particulièrement gai ni particulièrement triste -" et "assez solitaire".
"Je ne suis pas un homme de fête : je ne reçois pas, je ne pends pas la crémaillère, je n'apprécie pas les réveillons ni les endroits où il y a plein de monde... J'aime bien passer une soirée avec deux ou trois amis. Question de goût !"
Il aime aussi danser – "en boite, de temps en temps" ou même, à l'occasion de réunions de famille - et assister à certains concerts en prenant "quelques précautions" pour éviter d'être reconnu... Quelles musiques le passionnent ? Il est, reconnaît-il, "resté très anglais".
Lecteur avide au temps de ses études - de Balzac à François de Closets en passant par Zola - il lit aujourd'hui par à-coups, trois ou quatre livres puisés dans la bibliothèque de ses parents, pendant les vacances :
"Je suis plutôt du genre à commencer un bouquin et à le terminer dans la foulée, à deux ou trois heures du matin, ce que maintenant mon emploi du temps me refuse absolument".
Le cinéma, qu'il apprécie, c'est aussi - et pour les mêmes raisons pendant les vacances , "pour voir les films que j'ai loupés". Les vacances ? Elles se passent en famille dans une maison louée pour la circonstance : "Je pars un mois et je reprends les kilos que j'ai perdus en enregistrant"...
Soucieux de son équilibre - " il a toujours eu une vie équilibrée" dira Bernard Schmitt (1) - Jean-Jacques Goldman pratique "irrégulièrement" plusieurs sports : tennis, ski en hiver et gymnastique , "quand ça craque trop". En revanche, en tournée, "c'est vital : footing, gym et tennis tous les jours".
La lecture du journal le matin, l'écoute des informations, le spectacle d'un "match de foot à la télé" ou celui des émissions de variétés -qui l'ennuient un peu" et qu'il enregistre au magnétoscope, "ce qui permet de les regarder en accéléré" - font partie, comme pour beaucoup de ses contemporains, de ses plaisirs quotidiens et innocents.
En ville pour se déplacer, il ne dédaigne pas les transports en commun : "A chaque fois que l'on m'y aborde, c'est pour me dire : vous ressemblez à Jean-Jacques Goldman !" Il est hors de question que Jean-Jacques Goldman puisse utiliser un moyen de transport en commun ! J'y suis donc tranquille". Dernier trait pour compléter ce portrait : selon Bernard Schmitt, Jean-Jacques Goldman possède "une culture politique et économique étendue", et ses "engagements politiques sont d'ordre moral".
(1) Réalisateur de TV, auteur des clips de J.J. Goldman et metteur en scène des spectacles de celui-ci (cf. son témoignage).
Jacques ERWAN L'homme aux disques d'or
1975/1979. GOLDMAN ET TAI PHONG: LES ANNEES WARNER. C'est pas grave papa - Tu m'as dit - Les nuits de solitude - Jour bizarre - Back to the city again - Laetitia - Sister Jane - When it's the season - End of an end. (Compilation chronologique des trois premiers 45 tours - 6 titres - de J.-J. Goldman parus chez Warner entre 76 et 78, plus 3 titres de Taï Phong /WEA 240 516-1).
Pendant "les années Warner" qui furent celles du groupe Taï Phong (trois albums entre 75 et 79 : réf. WEA 56124, 56264 et 56740), et dont il était l'un des cinq membres, Jean-Jacques Goldman a enregistré en français six chansons que cherchaient sans trop d'espoir les plus maniaques de ses inconditionnels.
Rien ne se perd dans les tiroirs et les fonds de catalogue des maisons de disques et les années Goldman - commencées après qu'il eût signé ailleurs - sauvent de la trappe ces trois 45 tours simples, tout en permettant aux jeunes générations de découvrir un aperçu de la production Taï Phong avec " Sister Jane" - succès en 1975 - et deux extraits des albums suivants, bien dans l'esprit musical du groupe évoqué par Jean-Jacques Goldman dans l'interview de ce dossier.
Qu'il s'agisse d'Yves Simon, de Jonasz ou de Goldman, les chansons antérieures au succès et passées à peu près inaperçues éclairent toujours sur les préoccupations de leur auteur - en rapport avec une époque et son " air du temps" et surtout l'amorce de sa démarche.
Avec "C'est pas grave papa" (1976), sur fond de crise et de compression de personnel, un fils demande à son père licencié de lever les yeux et de le regarder : "J'ai peut-être jamais été si proche de toi", en soulignant qu'il y a bien d'autres choses que son boulot.
Dans le titre suivant, mots et notes confondus, l'essentiel est dans les prouesses de la voix traitée comme un instrument. Arrangement un peu chargé pour "Les nuits de solitude" dont on retrouvera le thème plus tard, comme on retrouvera le quotidien, la banalité d'un élément du décor - la rue - ou d'une silhouette entrevue dans "Jour bizarre", chanson de 1977 qui aurait pu connaître un meilleur sort.
Dans sa cinquième chanson (1979), Jean-Jacques Goldman prend pour cible - avec un sourire amusé - l'un des faits de société de ces années-là, le retour à la terre de citadins en mal d'authenticité : "Là-bas on m'a présenté les moutons un par un / Entre nous tu sais ça n'accrochait pas très bien / J'ai tenu deux mois au régime végétarien". ("Back to the city again") Irrécupérable, lui retrouve la ville de ses "racines dans le goudron", se "gave de ketchup et de béton" et rebranche sa guitare !
Dernier titre, deux doigts de spleen dans beaucoup de tendresse, et le ton de la confidence pour dire "Laetitia"... et se dire si malhabile, fragile, guettant encore son pas.
Marc Legras
1981. A l'envers - Sans un mot - Brouillard - Pas l'indifférence - Il suffira - J't'aimerai quand même - Autre histoire - Quelque chose de bizarre - Quel exil - Le rapt - Juste un petit moment. (Epic EPC 85 233 / CBS).
Ce premier album n'a pas de titre, mais il aurait pu s'intituler Démodé. Tel était d'ailleurs le vœu de Goldman, conscient du décalage sonore entre sa production et celle des groupes hégémoniques d'alors (Talking Heads, Yazoo ... ). Démodé à l'image de ce premier tube très "revival", "Il suffira d'un signe", que l'on croirait sorti d'une comédie musicale du type Hair.
D'ores et déjà, Goldman impose un univers bâtard issu des influences musicales anglo-saxonnes des années 70-75. Guitares et pianos électriques et acoustiques prédominent l'ensemble avec, çà et là, des réminiscences hard rock qui resteront. Goldman ne sera pas un moderne...
Mixé en Angleterre, ce premier disque d'un parcours en solo laisse déjà percer la volonté de ne pas sacrifier le fond à une forme musicale exceptionnelle. J.-J. Goldman ne trimballe pas la mythologie du studio anglais ou américain. Il reviendra d'ailleurs travailler en France dès le deuxième album.
Indiscutablement, ce sont les textes qui ont le plus d'impact et révèlent un auteur très à part dans le paysage de la chanson française. Goldman tourne le dos à une certaine tradition. Il ne glorifie pas la zone, la laideur, la crasse ou la violence qui nourrissaient jusque là un certain type de chanson (dite nouvelle ?)...
Sa rue sera son décor favori, mais il ne fera rien pour s'y complaire. Il essaye au contraire de s'en sortir pour un ailleurs meilleur, ce qui fait de lui, en réalité, un exilé perpétuel. Comme tout un chacun, son décor sera celui où il aura trouvé une identité et une histoire... Goldman fait foi d'une quête constante de tendresse et de non-violence. Il essaye en fait d'exprimer les implications journalières, dans notre vécu, de tous les maux que secrète notre société.
Exemple : cette chanson très singulière, "Le rapt", où Goldman dénonce un étrange état de fait : si l'on rencontre une fille dans la rue et que l'on cherche à lui parler, on passe forcément pour un fou ; si cette même fille vous est présentée par un ami commun, dans un système bien codifié, tout va bien: "Entre gens d'un certain milieu, d'un certain style, le contact est permis, on se retrouve en famille".
L'artiste regrette donc que la situation soit toujours plus importante que l'intention. Une chanson qui exprime les tricheries qui permettent d'établir les codes pour régir nos relations humaines.
Il y a aussi et surtout "Pas l'indifférence", l'une des chansons qui a permis à tout un public de comprendre Goldman comme autre chose qu'un simple chanteur à la mode. Ce titre est en effet une évidence pour ceux qui l'aiment et le et le connaissent. C'est un peu la première pierre de l'édifice, celle qui en fin de compte soutient tout le "système Goldman". Il y affirme qu'il existe des valeurs dans l'existence bien plus importantes que celle de bien vouloir gagner sa vie, d'avoir une belle maison, ou le nouveau compact-disque... : "Je donnerais dix années pour un regard, des châteaux des palais pour un quai de gare, un morceau d'aventure contre tous les conforts..." .. Par extension Goldman s'en prend aux politiciens comme aux syndicalistes qui portent dans leurs discours des idées extrêmement terre-à-terre.
Croyance forcenée en l'individu, rejet des solutions collectives. La philosophie du chanteur se trouve en ces termes. Il va s'employer à l'argumenter d'album en album.
1982. Au bout de mes rêves Comme toi - Toutes mes chaînes - Jeanine médicament blues Veiller tard - Quand la musique est bonne - Je ne vous parlerai pas d'elle - Etre le premier - Si tu m'emmènes – Minoritaire - Quand la bouteille est vide. (Epic EPC 25089 / CBS).
Incontestablement le "son Goldman" est trouvé : une intro, un gimmick, une envolée de guitares suffisent à situer son univers. Enregistré en France et réalisé avec Marc Lumbroso (celui qui l'a décidé à sortir de l'ombre), cet album - vivier exceptionnel de tubes extrêmement efficaces - devait s'appeler Minoritaire, titre de l'une des chansons-phares du disque.
Contrairement aux apparences, Jean-Jacques Goldman s'y impose vraiment comme un chanteur à part entière, et non plus comme un brillant vendeur de 45 tours.
Invité en guest star, Nono - guitariste du groupe Trust (confirmation donc d'une certaine filiation au hard rock) - est au générique du disque. Cela traduit une envie de se confronter à des pointures mythiques. Sur le prochain album, il invitera John Helliwell, saxophoniste de Supertramp...
Ce 30 cm est d'une richesse incontestable, et - une fois de plus - au niveau des textes. "Minoritaire", d'abord, comme l'une des affirmations essentielles du "code de vie Goldman": il s'en prend ici à tous ceux qui se disent marginaux et qu'il juge en fait complètement intégrés, normalisés. Goldman a la hantise des lieux communs de Pensées, du type " non à l'armée"... et assure que la fausse marginalité a nourri les plus beaux spécimens de normalisés.
Avec "Au bout de mes rêves", il revendique le droit d'être "jusqu'auboutiste". A ce propos, les chansons de Goldman sont peuplées de rêves. Ils sont les stimulants obligés de l'action. L'exil même est légitimé par le rêve. C'est ce qui donne le droit de croire qu'il est encore possible de s'en sortir.
Cela dit, le rêve n'est pas psychédélique. Goldman ne vante pas les vertus des paradis artificiels. Dans "Jeanine médicament blues", il s'insurge contre le pouvoir échappatoire des drogues et des médicaments. Il préférera la "culture" (livresque surtout) qui semble être une arme efficace pour survivre.
"Etre le premier" est l'une des rares chansons qui ne soit pas autobiographique. Pour une fois il chante "il", en évoquant un être qui est son contraire absolu mais le fascine tout de même. Le chanteur est depuis deux ans confronté au monde de la presse, de la radio et de la musique, dans lequel il rencontre une majorité de gens qui n'ont qu'une idée fixe: réussir, "Ça a été très long, mais il y est arrivé. Il fait le compte de ce qu'il y a laissé, beaucoup plus que des plumes, des morceaux entiers, et certains disent même un peu d'identité...". Cela fait justement partie des incapacités de Goldman.
Il avoue qu'il ne sait pas se vendre, et qu'il n'a jamais été demandeur. Une nature à ne jamais vouloir s'imposer, qui a réussi au-delà de ses espérances, et qui par conséquent fait douter de sa sincérité...
Il suffit pourtant d'écouter la plus belle chanson de son répertoire, " Veiller tard", pour être convaincu de sa démarche. Jean-Jacques Goldman a aussi ses moments de déprime où les regrets sont plus forts, les inquiétudes plus vives, si bien exprimés dans ces quelques mots : "Ces appels évidents, ces tueurs tardives, ces morsures aux regrets qui se livrent à la nuit Ces raisons-là qui font que nos raisons sont vaines, ces choses au fond de nous qui nous font veiller tard". Le contraire d'une chanson plastique...
1984. POSITIF. Envole-moi - Nous ne nous parlerons pas - Plus fort - Petite fille - Dors bébé dors - Je chante pour ça – Encore un matin - Long is the road (Américain) - Ton autre chemin. (Epic, EPC 25852 CBS).
Cette fois, le titre figure sur la pochette. Le succès rend libre... Titre lapidaire qui prône en fait une certaine forme d'individualisme et révèle une fois de plus Goldman comme un "lucide optimiste".
Ce troisième album s'inscrit dans une logique personnelle. Il fait figurer deux types de chansons : celles conçues pour des impératifs de programmation, et celles où manifestement il se fait plaisir, où sa composition se libère à la manière de Taï Phong. Cette attitude pourrait se caractériser par deux titres Contradictoires "Envole-moi" et "Ton autre chemin".
Cette fois Romanelli joue les guest stars et permet à Goldman d'entrer dans le monde difficile des synthés et des boîtes à rythme. Une entrée qui est loin d'être naturelle pour lui...
De cet album seront extraits trois tubes très différents les uns des autres, mais qui prouvent que le public accepte de cet auteur-compositeur-interprète une palette sonore et musicale extrêmement variée. Les textes, quant à eux, ne sont pas toujours gais ou clairs (volonté de tourner le dos au message brut qui engendre des connotations forcément soixante-huitardes), mais contiennent tous une issue positive, une porte de sortie.
Le rêve est à nouveau au centre de ses chansons : le rêve qu'il décrit, même s'il n'en est pas un inconditionnel, "Américain". C'est surtout l'occasion de faire passer sa boulimie incurable de liberté ; rêve aussi d'un meilleur confort possible dans "Je chante pour ça" où, au passage, il épingle une fois de plus les faux marginaux.
Et puis, il y a ce titre exceptionnel, "Ton autre chemin", écrit donc "à la Taï Phong". Un des rares textes bavards de J.-J. Goldman et l'une des plus belles chansons sur l'amitié et le respect d'autrui.
Il faut encore évoquer le tube "Envole-moi" où une nouvelle fois il évoque l'idée de culture pour s'en sortir : "A coups de livres je franchirai tous ces murs". Il s'agit là d'un moyen légal et... individuel. Il y a enfin et surtout "Nous ne nous parlerons pas" où Goldman - à travers sa propre expérience de vedette justifie sa constante modestie.
Depuis qu'il a du succès, il rencontre des gens qui étaient pour lui des mythes. Il a constaté que l'idée qu'on a d'eux est souvent plus intéressante que ce qu'ils sont dans la réalité. A son tour, en s'adressant à ses fans, il se projette dans la peau du mythe. Une leçon d'amour singulière à l'adresse de son public qui l'aime sûrement aussi pour cette sincérité-là.
Cet album restera marqué par la dédicace que Goldman a tenu à faire : "A ceux qui resteront fidèles quand il sera moins facile de l'être", comme de dire que le succès rend étrangement beau, et surtout comme pour s'adresser à ceux qui s'adapteront moins vite que lui à un éventuel retour dans l'anonymat.
1985. NON HOMOLOGUÉ. Compte pas sur moi - Parler d'ma vie - La vie par procuration - Délires schizo-maniaco-psychotiques - Je marche seul - Pas toi – Je te donne – Elle attend - Famille - Bienvenue sur mon boulevard - Confidentiel. (Epic EPC 26678 / CBS).
Goldman persiste et signe. Il proclame qu'il ne ressemble pas aux autres. Il l'avait dit dans "Envole-moi" mais aussi dans "Minoritaire" : "Mes ghettos, mes idées ne sont pas homologués".
Il s'agit d'un album-synthèse où l'on retrouve digérées toutes les idées qu'il avait évoquées précédemment: l'amitié et l'apprentissage des différences, gravés dans un duo ("Je te donne") qu'il interprète justement avec son ami de toujours, Michael Jones; le refus de la respectabilité (sauf de celle qui vient du public) et des lieux communs collectifs dans "Compte pas sur moi"; sa volonté de ne pas vouloir s'imposer aux autres dans "Parler d'ma vie": "Je vois où l'on m'entraîne, je suis de ces gens qui ne choisissent pas...".
"Famille" - qui est dédié sans tapage à Danielle Messia (cf. PM 52) -pourrait être la suite de "Quel exi1" (1er album). Les siens, ceux en qui il se reconnaît, c'est cette "armée de simples gens", une famille de cœur et de sang qui a des doutes, qui n'a pas de croyances définitives et... qui fait partie des perdants.
Délicieux paradoxe qui peut même choquer les récalcitrants. Goldman réaffirme cette absence d'ambition. Son succès est sans doute partiellement dû à cette attitude dépourvue d'agressivité. Il nous dit qu'avec le succès il n'est pas devenu ce que le public ne veut pas qu'il devienne.
Ce disque est aussi un disque d'amour. Jean-Jacques Goldman est d'ailleurs un romantique au sens premier du terme. L'amour c'est la passion et comme il l'a déjà chanté : "l'amour nous trahit chaque fois".
Il blesse, les stigmates sont intenses, surtout lorsqu'il n'est plus partagé: 'C'est pas juste, c'est mal écrit, comme une injure, plus qu'un mépris, quoi que je fasse, où que je sois, rien ne t'efface, je pense à toi et quoi que j'apprenne, je ne sais pas pourquoi je saigne et pas toi…". Même registre douloureux dans "Confidentiel", constat bouleversant après une séparation.
Cet album est le fruit d'un travail accompli, extrêmement équilibré. Çà et là quelques traces de désespoir et une attitude moins velléitaire. Goldman semble mis à nu par le succès et se retrouve en fin de compte très seul... Comme si son expérience allait devenir incommunicable.
Il semble que ce disque ferme une étape de sa carrière. Ce qui peut augurer d'un changement futur dans son expression musicale comme dans son inspiration...
Une dédicace en conclusion : "Les chansons sont souvent plus belles que ceux qui les chantent...". Une phrase à relier avec l'un des textes de l'album Positif : "Nous ne nous parlerons pas". Une façon d'affirmer que son privilège est d'être dans ses textes comme il aimerait être en réalité ou dans l'absolu.
Mais c'est aussi une manière de nous faire comprendre que ses aspirations, malgré tout, font partie intégrante de sa personnalité. En cela, les chansons de Goldman sont drôlement salutaires.
Didier Varrod
Le style ? C'est l'homme même !
Le style des chansons de Jean-Jacques Goldman est à son image: ouvert et libre. Il s'évade volontiers du carcan des normes académiques et ne s'embarrasse guère de procédés de construction trop rigides.
A l'exception de quelques tournures au charme désuet "billet doux", " quand ma raison s'égare", "abuser de vos charmes"…), son écriture est d'aujourd'hui. Pour confectionner ses chansons, il puise à l'occasion dans le langage quotidien, cueille des mots d'argot ("ringard", "panard", " costard", "mec", "bagnole", "paumé", etc.) et sème parfois quelques vocables anglais ("party", "because", "has-been"…) voire des refrains ou couplets en cette langue ("Américain", "je te donne"). Il cultive l'élision et, quitte à devenir familier, l'ellipse : "Quand petit papa Noël pas descendu du ciel / Quand seul dans ton dodo plus de petit cadeau"…
Il est en revanche avare de néologismes : une fois inventoriés " miniloubarrivistes", "rastallumés", "perpétueurs" et "envole-moi", le stock est épuisé !
La rime est le plus souvent approximative et la métrique indisciplinée. Mais, comme le préconisait Verlaine, Jean-Jacques Goldman semble préférer l'impair - en particulier les vers de cinq ou sept pieds - plus musical à l'alexandrin moins syncopé. Toutefois, il est fréquent que se succèdent, à l'intérieur d'un même texte, des vers d'inégale longueur. Y compris dans les chansons d'une facture plus classique comme "Quelque chose de bizarre", "Veiller tard", etc., dont il maîtrise parfaitement l'écriture. Sans doute la métrique se plie-t-elle aux exigences de la musique. "De la musique avant toute chose", recommandait encore Verlaine...
Précisément, Jean-Jacques Goldman aime jouer avec les sonorités des mots "Et moi pendant que je veille / Je surveille vos sommeils / Si vous saviez comme vos sommeils / Veillent sur mes trop longues veilles" ("Dors bébé, dors")
Les exemples de telles allitérations abondent... tout tangue tant "ces vies sont des vies vaines" (…) "en vacance d'envie, en vacance de vie" (…) "tout ce qui est utile pour elle est tutelle" (…) "des muets mauvais qui écrivaient sur les murs", etc. Certaines cèdent à la facilité : "des gigots qui gigotent", "des grands desseins faciles à dessiner"...
Ici ou là, il s'amuse aussi avec les mots et ne dédaigne pas l'humour comme en témoignent, par exemple, "Toutes mes chaînes" ou, à certains égards, "Minoritaire". Il sait aussi, à l'occasion, manier la métaphore et il lui arrive même d'en développer une tout au long d'une chanson ("Une autre histoire").
Mais, surtout, Jean-Jacques Goldman cisèle des images heureuses: souvent simples – "le matin s'est perdu sur son chemin", "l'hiver est glace, l'été est feu", "la nuit de cendre", parfois douces – "le miel d'une présence"... -, ou étranges – "je giflerai la nuit / Pour que vienne le jour", "comme, un phare en mon amnésie", "j'ai pendu mon cerveau aux potences du ciel"…-, voire surréalistes – "tes yeux sonnent comme un do dièse".
Jean-Jacques Goldman est un être qui s'interroge et réfléchit à son sort. Il parsème ses chansons de pensées et de maximes qui expriment ses espoirs et ses tourments, ses interrogations profondes, sa philosophie de la vie et sa volonté de "bousculer les évidences" : - "On ne peut être rien que parmi des milliers", "Pourquoi vendre toujours quand y a tant à donner ?", "Sans vieillir, on n'oublie pas", "On écrit bien mieux qu'on ne dit / On ose tout ce que la voix bannit", "On veut plus de savoir et bien moins de leçons / Les droits sans les devoirs...", "Il y a tant de baudruches qui crèvent / il y a tant d'idées vieilles et froissées / C'est le moment d'imaginer", "Les dingos, les vrais marginaux / Sont dans les palaces, pas dans les ghettos", "Savoir briser partir / Pour ne jamais haïr / C'est tellement difficile", "Aller n'importe où mais changer de paysage", "Juste appartenir / A quelle île ou quel exil". Etc.
Observateur sensible - et sensuel -, Jean-Jacques Goldman farcit ses textes de notations précises et les leste de sensations : il y a les rumeurs de la vie et les silences des enfants, le regard des vieux et celui de la femme, "la chaleur pesante et le vent chaud" et "les pluies du sud pures et lourdes", "la tiédeur, "le froid qui brûle et qui frôle" et cette "brume blanche","des festins de miel et de vanille et de vin" et la volonté de "désirer encore", les couleurs et les senteurs ("le chemin sentait la menthe"), ces "lueurs immobiles" et "un rayon de lune"... Et puis, "des filles accueillantes et gentilles"… "Et le goût de notre peau / Plus loquace que des mots"...
Enfin, près de la moitié des quarante-et-une chansons qui constituent la matière des quatre albums parus à ce jour sont écrites à la première personne. La plupart privilégient l'un des trois pronoms singuliers ou bien les combinent, et seule une infime minorité ont recours aux pronoms pluriels. Un signe : à n'en pas douter, chez Jean-Jacques Goldman, l'individu l'emporte sur la collectivité. Le style, c'est l'homme même, n'est-il pas vrai ?
Jaques Erwan
De l'enfance banale au succès exceptionnel
Né d'une mère d'origine allemande et d'un père d'origine polonaise, en 1951 dans le dix-neuvième arrondissement parisien, Jean-Jacques Goldman a vécu une enfance qu'il qualifie de banale.
"A part quelques chants révolutionnaires (rires), la musique n'a jamais passionné mon père. Ma mère écoutait Yves Montand et Stéphane Golmann (1), peut-être pour des raisons de clocher..." Parce que ses parents souhaitent donner à leurs enfants la possibilité qu'ils n'ont pas eue de "goûter un peu à tout et en particulier à la musique", pendant dix ans Jean-Jacques Goldman - "élève assez doué mais fumiste" - jouera du violon et un peu de piano "sans vraiment aimer cette musique".
Louveteau, vers l'âge de 13 ou 14 ans, il fait "ce que font tous les scouts : le tour du Luxembourg à vélo, un mois de roulotte en Irlande...". Seul fait peut-être notable (!), il est sélectionné dans la vingtaine de scouts français qui participent à un jamboree aux Etats-Unis, parce qu'il est " capable d'accompagner à la guitare - en déplaçant le capodastre -, à peu près n'importe quel chant quelle que soit sa tonalité de départ".
LE CHOC DU BLUES
Son premier choc ? La découverte du style de musique qui va le "rendre fou" - le blues le jour où dans une boîte il entend Aretha Franklin chanter "Think" : "J'étais touché par une atmosphère, un plaisir non intellectuel, absolument pas raisonné, complètement physique. Comme une expérience amoureuse". Il n'en dort plus, écoute le disque sans arrêt.
Il commence à jouer, de vieux blues et rhytm'n'blues avec un copain "fan de Big Bill Bronzie et des blues de champs de coton" qui l'entraîne à la paroisse de Montrouge où est en train de se former un groupe à la recherche d'un organiste ou de quelqu'un ayant une petite expérience des claviers.
" Le dimanche après-midi, nous jouions Eddie Cochran, Jerry Lee Lewis, les tubes du moment.. et à la demande du prêtre des gospels dans son église. C'était aussi bien que de jouer au flipper dans les cafés...". Comme ils font le plein, on les demande ailleurs, bénévolement, et le prêtre va jusqu'à financer le premier disque du groupe "Red Mountain Gospellers" (avec des titres tels que "Jéricho" où "Colours" de Donovan) en 1966.
Deux ou trois membres du groupe décident avec lui de faire du rock sous le nom de "Phalanster". Il en est le guitariste.
De son adolescence, Jean-Jacques Goldman affirme aussi qu'elle fut assez banale, " sans que ce mot ait de connotation péjorative. Il y a des gens qui se distinguent par un truc, alors que je suis passé par toutes les phases normales, classiques, presque obligatoires pour tous les jeunes".
Le journal intime qu'il tient n'a, à ses yeux, avec le recul, rien d'exceptionnel: "Des poèmes, des éclats anti-parents, de grandes déclarations d'intention - en 1968 - sur le changement du monde que j'allais évidemment réaliser. Des excès; trop d'émotions, de faiblesses, d'excitations. Vers l'âge de 18 ans, je me suis - à tort ou à raison - senti suffisamment équilibré pour avancer sans les béquilles qu'il représentait ; pour vivre sans "ce quelque chose de pas très beau", cette sorte de placenta. J'ai brûlé ce journal intime pour simplement le remplacer par la vie : sortir, rencontrer des gens, avoir une maison et payer un loyer, étudier, faire ce que je voulais".
UN HIPPIE A "TRAVELLER'S CHEQUES"
L'Angleterre ou la Suède en stop; le goût des voyages ? " Normal à cet âge. Avec des copains, on allait par exemple écouter des groupes dans les festivals. On dormait sur la plage. J'étais comme beaucoup d'étudiants français, un hippie à traveller's chèques".
Les examens ? Les études ? Normales, bien sûr. Préparation H.E.C. et rock. Il réussit le concours d'entrée à l'EDHEC de Lille, une des écoles de province parmi les plus cotées."Quelques membres du groupe de rock avaient envie de faire autre chose et comme je n'avais moi même pas envie de grand chose, rien de spécial ou de fondamental ne me retenait dans la région parisienne. Il était souhaitable qu'à, 18 ans je mène une vie de grand ! Et comme j'étais un enfant très conventionnel qui terminait tout ce qu'on lui disait de faire, j'ai passé trois ans à Lille et je suis allé jusqu'au bout des études".
" Me retrouvant un peu seul à Lille, J'ai commencé à jouer de la guitare sèche, des choses plus folk, puis à fréquenter les petites boîtes, les amphis, les restaus "U" en duo avec un bassiste. Puis j'ai beaucoup chanté Elton John, le leader que j'avais en tête. Il était très clair que je ferais de la musique - pas professionnellement mais beaucoup plus qu'un simple hobby - et il fallait que mes activités, mon métier à venir s'adaptent à cette exigence".
LE GROUPE TAÏ PHONG
Personne n'étant susceptible de l'embaucher pendant l'année de sursis entre la fin des études et le départ au service militaire (qu'il fera dans l'armée de l'air), il cherche à Paris des gens avec qui faire une tentative discographique qu'il sait à sa portée. "Je savais ce qu"étaient les problèmes de matériel, une galère de groupe, et quand j'ai rencontré des musiciens dans le même état d'esprit, nous avons répété un an en faisant la musique du moment, le rock symphonique genre Genesis, une musique invendable en France"... mais avec laquelle ils vont s'efforcer d'entrer dans le show-business en proposant un produit vendable et qui ne les compromette pas musicalement.
Aux maisons de disques tentées par un morceau court pouvant se consommer comme un slow, et qui sentait le tube de l'été, ils demandent de financer l'album ! Et ça marche. "Sister Jane"devient un succès en 1975. La presse rock se branche sur Taï Phong qui enregistrera trois albums (qui continuent de se vendre aujourd'hui), et comme le hit-parade ne les fascine pas, leur public de fidèles leur suffit.
Parallèlement, pour assurer les fins de mois tout en disposant de la liberté nécessaire aux répétitions et enregistrements, Jean-Jacques Goldman ouvre avec son frère un magasin d'articles de sport... et il enregistre quelques chansons (trois 45 tours WEA passés à peu près inaperçus).
" Au bout de plusieurs années, chacun sentait plus ou moins que son avenir n'était plus dans Taï Phong. Nous avons enregistré un dernier album, et nous nous sommes séparés d'un commun accord tout en restant amis pour la plupart".
" J'avais l'impression que la musique de Taï Phong était un peu nombriliste, virtuose, technique. Quand on réécoute celle de tout ce courant - Yes, Genesis - elle est d'une prétention hallucinante, le mouvement punk avec ses trois accords a d'ailleurs balayé tout ce nombrilisme musical. Yes, il suffit d'écouter le dernier album, est revenu à une musique plus immédiate, plus populaire".
" J'avais envie d'une musique plus ouverte à l'émotion qu'aux prouesses techniques et quand j'ai proposé des morceaux qui ont provoqué des oppositions, incompatibles avec ce que certains membres du groupe faisaient du répertoire de Taï Phong, il m'a semblé que la démocratie n'était plus la règle au sein du groupe, la seule solution était de nous séparer".
"J'ai passé plusieurs années uniquement dans un ghetto de musique anglo-saxonne et je chantais en anglais des stupidités qui sonnaient bien. Je ne me suis jamais senti concerné par la grande chanson française, Brel-Brassens-Trénet".
LEO FERRE
"J'ai découvert qu'on pouvait ne pas être ridicule en chantant en français, avec Léo Ferré. Il passait en seconde partie du groupe Zoo, à Lille, je ne le connaissais pas du tout mais, comme j'avais payé ma place et que la salle était chauffée, je suis resté. Cela dit, il m'aurait impressionné par sa voix, sa puissance, sa manière d'être, même dans une autre langue. Puis, j'ai découvert Michel Berger, totalement inconnu, et Véronique Sanson".
Un peu désorienté par la fin de Taï Phong (1980), Jean-Jacques Goldman n'a plus envie de faire de la musique que pour lui, et pas une seconde il n'envisage de prendre le virage, d'amorcer une nouvelle carrière: " je devais avoir 28 ans et mon passé musical ambitieux était derrière moi".
Un jour, alors qu'il fait la vitrine du magasin, il tombe sur un assistant preneur de son qu'il a connu dans les studios et qui est à la recherche de chansons pour une fille qu'il veut produire. "Je lui ai donné une cassette avec la maquette et le play-back sur lequel elle pouvait chanter une chanson un peu bêtasse, qui devait s'appeler "Gros câlin blues", enregistrée sur mon Téac quatre pistes. Comme cette chanteuse a gagné plusieurs semaines le concours télévisé auquel elle participait, j'ai dû fournir plusieurs chansons.
"Deux jeunes éditeurs entendant le nom de l'auteur ont appelé la Sacem pour avoir mes coordonnées, Nous nous sommes rencontrés et ma seule ambition étant de placer des chansons comme auteur-compositeur, tout allait très bien. Mais j'ai réalisé que les interprètes sont plus intéressés par celui qui apporte la chanson, la signe, que par la chanson elle-même, et nous nous sommes heurtés aux refus". Echec donc.
Mais le jeune éditeur, Marc Lumbroso, finit par faire le tour des maisons de disques avec la quinzaine de chansons dont Jean-Jacques Goldman "faisait les voix", et... Epic est preneur.
"J'ai enregistré mon premier album en 1981. En signant pour cinq albums, tout en sachant qu'obligé par contrat de les faire chez eux, je ne pouvais ni les quitter ni les obliger à me produire si le premier ne marchait pas"...
(1) Cf. PM 20. Auteur (compositeur-interprète) de chansons comme "Actualités" (1950) et "La Marie-Joseph" (1951) dont Yves Montand et les Frères Jacques notamment feront de grands succès.
Marc LEGRAS
Il y a des chansons faites pour s'exhiber et d'autres pas
Paroles et Musique : Comment travaillez-vous la forme de vos chansons?
Jean-Jacques Goldman : La recherche du texte, d'une musique sont deux démarches séparées. La musique exige un texte, pas n'importe lequel, il peut aussi m'arriver de partir d'un texte et de chercher la musique qui lui correspond. Je ne suis pas le meilleur chanteur du monde, mais je suis celui qui travaille le plus et je le revendique.
Je note sur un carnet - qui ne me quitte jamais - une idée, un bout de phrase que je trouve belle, une rencontre, ma réaction à un article de journal, des choses qui m'ont impressionné. La première période est celle de la prise d'idées, de recherche de thèmes musicaux en jouant beaucoup - plus on joue plus ça vient et quand arrive la phase de maturité, je rassemble les quarante-huit petits papiers qui traînent dans le vide-poche de la voiture, les feuillets dispersés sur la table de nuit, mon carnet...
Pendant quelques jours, je classe par thèmes, regroupe les bouts de phrases sur un cahier. La chanson est quasiment là. Il ne reste qu'à structurer page après page pour arriver au texte final.
Je suis maintenant mieux équipé, mais j'ai enregistré dans ma cave - où je passe huit à neuf mois par album - les maquettes de mes trois premiers trente sur un Téac quatre pistes avec un Fender et une guitare électrique. C'est là que j'ai l'impression de faire ce qui me passionne le plus. La maquette terminée, le studio ne doit être qu'une formalité. Chaque musicien apporte plus ou moins, mais la chanson dépend essentiellement du travail fait avant.
Je choisis les musiciens de studio en fonction de leur efficacité, de leur professionnalisme. La relation n'est pas la même qu'avec les musiciens avec qui je tourne. En tournée, la relation affective est fondamentale hors de scène, sur scène, et le public le sent.
Paroles et Musique : Comment estimez-vous votre capacité d'évoluer musicalement ?
Jean-Jacques Goldman : J'ai eu la chance de naître en 1951, de vivre la révolution de la pop music (qui a suivi celle de la rock music des années 50 avec Presley), devenue très populaire avec les Beatles et dont je jouais les morceaux - Deep Purple, Status Quo, etc. - dès qu'ils sortaient (et non pas de façon académique comme les mômes qui les découvrent aujourd'hui) et j'en suis imprégné. Cette musique - en gros des années 65/70 aux années 80 - m'a donné un bagage d'inspiration, de références avec lequel je vais vivre jusqu'à la fin de ma carrière.
Je suis passé à travers le mouvement punk sans en tirer autre chose qu'un son de caisse claire ; je crois qu'à partir de cet album ou du prochain, je vais commencer à me répéter musicalement, et je ne pense pas pouvoir beaucoup évoluer.
Un faiseur de chansons
Paroles et Musique : Vous considérez-vous comme auteur de chansons ?
Jean-Jacques Goldman : Pas vraiment. Ni auteur ni compositeur. Mes textes s'adaptent à ce que dit la musique, alors que dans la chanson française traditionnelle la musique s'est toujours peu ou prou pliée à l'exigence des mots. Je ne me sens pas du tout fils de cette chanson-là. Il y a tellement de gens qui se considèrent comme des auteurs et qui ne le sont pas qu'il vaut mieux être considéré comme tel et ne pas se considérer comme l'étant. Je ne veux pas être comparé à des auteurs comme Brel, Brassens ou Souchon: la musique fait partie de chaque mot. Je suis un faiseur de chansons.
Paroles et Musique : Ce n'est pas un hasard s'il y a les textes de vos chansons sur la sous-pochette de chaque album...
Jean-Jacques Goldman : Je m'excuse de banaliser ça, mais c'est pour répondre à la demande, pour éviter le secrétariat mais on revient à quelque chose de noble : je trouve positif qu'on demande le texte de chansons qui sont au hit-parade.
Je ne conçois pas la chanson comme quelque chose qu'on puisse disséquer, expliquer. Soit on la ressent et c'est gagné, soit on ne la ressent pas. Il n'est pas nécessaire de lire "Let it be" des Beatles pour ressentir une espèce de nœud dans la gorge. On doit ressentir la mélancolie de "Comme toi" avant de lire le texte. Une chanson est pour moi le véhicule de cette émotion au premier degré due au mariage entre la musique et les mots. La première sensation fait le succès ou non d'une chanson, mais celle-ci ne doit pas décevoir en deuxième lecture. De ce plus indispensable vient la fidélité à la chanson, au chanteur.
Je peux - à la guitare ou au piano - jouer une heure sans qu'il ne se passe rien, et tout à coup - excitation violente, nostalgie ou envie de danser - sans que je sache pourquoi, ce qui se passe prend une valeur. A partir de là, mon but est de transposer sur disque cette flamme, cette petite étincelle pour que les gens la ressentent. Mais il va se présenter mille raisons pour que cette flamme s'éteigne : un mot qui va tout casser, un arrangement trop prétentieux, un musicien qui joue mal.
Paroles et Musique : Comment participez-vous au mixage, à la recherche d'un son ?
Jean-Jacques Goldman : Je hais la technique et les boutons. Je ne suis pas doué pour ça, mais j'ai rencontré en Jean-Pierre Janiaud un très grand technicien du son, un musicien qui écoute et ne fait pas des morceaux de technique mais des morceaux de musique. Je n'interviens qu'en termes de néophyte, avec mes mots, pour demander un son de synthé plus lisse, plus terne, et lui décode mon langage. J'ai une entière confiance en lui pour tous les problèmes d'électrocardiogramme.
Une première tournée en douce
Paroles et Musique : En 1983, vous êtes parti en tournée avec beaucoup de prudence, presque "en douce"...
Jean-Jacques Goldman : Paroles et Musique défend la musique vivante et je dois préciser mes rapports avec la scène, une partie du métier qui ne m'a jamais fait fantasmer. Quand on parle de choses banales, celle-ci n'en est pas une et j'ai de ce point de vue-là conscience d'être différent des autres.
J'ai suivi des centaines, des milliers de concerts en étant très bien à ma place, complètement comblé et je n'ai jamais de ma vie souhaité être sur scène à la place de celui que j'étais allé voir. C'est de composition, de maquette, de studio que je rêve et je passe tout de même neuf mois seul dans ma cave, ici.
J'avoue que je ne pensais pas à la scène, mais je me suis rendu compte dans l'énorme courrier - des milliers de lettres - qui a suivi mon deuxième album qu'on m'attendait à Alençon, Auxerre, etc. Pour que ce que je faisais ne soit pas uniquement une histoire commerciale d'un produit que je livrais, il me fallait le défendre jusqu'au bout.
C'était un peu une trahison que de rester sur le petit écran. La possibilité s'étant dessinée de faire de la scène devant des gens qui le demandaient, je suis parti pour un mois sans savoir comment ça allait se passer. Le succès discographique avait été très rapide, j'avais besoin de monde dans les salles et je ne pouvais pas les décevoir en tournant avec deux musiciens, trois éclairages. Je ne pouvais pas démarrer à un niveau amateur, il me fallait proposer aux gens un spectacle du niveau de ceux des artistes qu'ils aiment et qui tournent depuis dix ans.
J'ai vu pendant cette tournée d'un mois que ça faisait plaisir aux gens - à moi aussi bien sûr - et on a monté une longue tournée de cent dates.
Paroles et Musique : Comment préparez-vous vos tournées ?
Jean-Jacques Goldman : Je vois la version que je vais donner de chaque chanson et il n'y a plus qu'à répéter de façon technique pendant deux ou trois semaines avec les musiciens et ce qu'ils peuvent apporter.
L'essentiel du travail est dans les éclairages, les films projetés en cours de spectacle, les décors, la mise sur la scène plutôt que la mise en scène. Je ne connais rien au visuel, par contre je m'intéresse au spectacle et, sachant que je ne suis pas un showman, il faut que je remplace ça par autre chose. Mes musiciens, très impliqués dans le spectacle, font le show autant que moi et depuis deux ans je travaille avec Bernard Schmitt - qui réalise mes clips - sur les pochettes et tout ce qui est visuel et que je suis incapable d'assumer.
"Je ne veux pas m'imposer"
Paroles et Musique : Sur scène à l'Olympia en 1984, vous n'aviez pas l'air de vous ennuyer, mais...
Jean-Jacques Goldman : Je ne m'ennuyais pas, mais je suis incapable d'improviser sur scène, et j'avais dû apprendre par cœur tout ce que j'avais à dire.
Paroles et Musique : Comment s'annonce le spectacle du Zénith ? (du 3 au 20 décembre, et l'on dit que le groupe Taï Phong serait de la fête...)
Jean-Jacques Goldman : Il n'y aura pas de grosse différence: des films, un décor, des lumières plus travaillées. Trois-quatre mille personnes dans la salle, c'est bien pour la musique que je fais. Il y a déjà un effet de groupe, de foule et j'ai l'impression qu'il reste un contact.
Paroles et Musique : Vous n'avez jamais voulu, jusqu'à aujourd'hui, participer au Printemps de Bourges...
Jean-Jacques Goldman : La scène est un prolongement du disque, la rencontre avec les gens touchés par mes chansons. Je ne fais pas de la scène pour convaincre que je suis un très bon chanteur ou que mon show est formidable, et je n'ai pas à aller là où les gens ne m'attendent pas. Je suis conscient de remuer beaucoup de haine ou de mépris et je ne veux pas m'imposer.
Je préfère donner mes chansons dans un cadre où chacun choisit de venir ou de ne pas venir, plutôt que d'aller dans un endroit où les gens viendraient pour un événement global dont je ferais partie...
"Claudefrancoïsme"
Paroles et Musique : Haine ? Mépris ? Ce sont des mots un peu forts...
Jean-Jacques Goldman : Pour une bonne partie du public - et sans faire de parano - j'occupe un rang un peu particulier pour ce qui est de la haine et du mépris. Je suis, pour pas mal de journaux, une référence, une espèce de Satan représentant à peu près tout ce qu'il ne faut pas faire. Je suis assez conscient de l'intérêt que je peux susciter pour certaines personnes, comme je me rends également compte de l'aversion que je peux provoquer.
Paroles et Musique : D'après vous, quelles en sont les causes ?
Jean-Jacques Goldman : La forme plus que le fond. Je ne crois pas qu'on remette mes chansons en cause, mais plutôt les émissions dans lesquelles je passe, les journaux et le public de filles très jeunes qui s'intéressent à moi. On ne pardonne probablement pas des choses immédiatement très énervantes : ma façon d'être en télé, un côté un peu mignon. Peut-être vivons-nous dans un pays où l'on n'aime pas les chanteurs à la mode ! Je représente une espèce de "claudefrançoïsme" exécré par beaucoup de gens.
Paroles et Musique : Vous ne donnez pas l'impression de vouloir vraiment rectifier le tir !
Jean-Jacques Goldman : Je crois qu'il n'y a rien à faire. Quand je lis " Jean-Jacques Goldman, le chanteur des 12 / 13 ans", le fait que ce soit dans L'Express me rend fou de joie !
Paroles et Musique : Sur certaines de vos chansons, le public danse...
Jean-Jacques Goldman : Ça me paraît normal. Ce n'est pas la seule mais c'est l'une des manières - et c'est la mienne - d'apprécier une chanson: la recevoir plutôt physiquement et donc, comme on le voit souvent dans les concerts, l'exprimer avec son corps. D'ailleurs que ce soit en Afrique, en Amérique du Sud ou ailleurs, la chanson s'écoute debout. Par exemple en dansant autour d'un feu. A l'origine en tous cas, ces chants s'écoutaient debout et se dansaient. Le musette aussi.
Je regrette que la chanson française ne s'écoute qu'assis. Ce que l'on appelle "la grande chanson française" - les Brassens, les Piaf, les Brel, etc. - c'est, en scène, un rideau rouge et puis un monsieur qui arrive et que l'on écoute assis. J'ai beaucoup de respect pour cette chanson : je pense qu'elle doit exister, qu'elle est très riche et apporte beaucoup. Cela dit, elle est un épiphénomène par rapport à la chanson et à la musique en général.
Paroles et Musique : Vous avez un timbre de voix assez particulier : avez-vous travaillé votre voix ?
Jean-Jacques Goldman : Pas du tout. J'ai même commencé à chanter relativement tard : c'était à Lille, et je devais avoir dix-huit ou dix-neuf ans. Auparavant, à chaque fois qu'il m'arrivait de faire les choeurs, tout le monde rigolait. Je n'étais vraiment pas un chanteur ! C'est donc à Lille que je me suis rendu compte que j'avais une voix qui convenait pour certaines choses. J'ai commencé à la travailler au cours de cette période un peu folksong que je traversais alors.
Le français ne se chante pas comme l'anglais : en français, il y a des mots qui ne se crient pas. On peut crier et même hurler " I love you" ou "I miss you", mais pas "Je t'aime" ou "Tu me manques" : c'est immédiatement ridicule. Pour des raisons phonétiques probablement mais surtout culturelles. Mon premier album - également le premier dans lequel je chantais en français - est, je le reconnais, hurlé du début à la fin. C'est insoutenable ! D'ailleurs, je baisse de deux à trois tons tous les titres de cet album que je reprends. "Pas l'indifférence" est, je crois, en ré mineur et je la prends maintenant en la mineur : ré, do, si, la, cela fait une énorme différence !
Depuis que je me suis rendu compte qu'il était difficile de hurler le français, je ne cesse de baisser les tonalités. C'était une erreur de jeunesse ! Mais, bien entendu, ma voix est toujours une voix aiguë : je n'ai pas encore mué (rire); ça viendra peut-être : question de puberté, comme je disais à l'Olympia.
Paroles et Musique : En scène, accordez-vous beaucoup d'importance au travail d'interprète ?
Jean-Jacques Goldman : Je travaille beaucoup ce qui se passe autour de moi, mais je ne crois pas que le public s'attende à ce que je danse en faisant des claquettes.
Paroles et Musique : A l'Olympia, on ne s'attendait pas à vous entendre jouer du violon et, pourtant, c'était bienvenu !
Jean-Jacques Goldman : Il n'y avait là rien de théâtral: cela restait très musical. En scène, de temps en temps, je m'excite un peu et je bouge parce que la salle bouge. Sans plus. C'est pour cette raison que je suis attentif à tout ce qui se passe sur scène les musiciens, le jeu des lumières, éventuellement, l'illustration visuelle de certaines chansons avec des films ou des diapositives - sans que ce soit pesant.
Paroles et Musique : Le travail théâtral ne vous semble donc pas essentiel ?
Jean-Jacques Goldman : Non, et puis je n'ai pas beaucoup d'aptitudes pour le théâtre ou le cinéma ni même pour faire passer cette espèce de chaleur à la manière d'Higelin ou de Lalanne. C'est un aspect du métier que je ne sais pas faire. (Silence).
Paroles et Musique : Parlant de Ferré, Ferrat et Lalanne, vous avez dit un jour : "il faut frôler le ridicule pour arriver à la force"…
Jean-Jacques Goldman : Pour arriver au sublime ! Regardez Lalanne, par exemple, il est très proche du ridicule et il atteint le sublime. Moi, je n'ai pas cette force-là. Je n'oserai jamais risquer le ridicule comme ils le font, car il arrive probablement que ça ne passe pas. J'en suis incapable : je ne suis pas assez habité. Et je n'ai pas non plus cette impudeur de la scène : ils sont beaucoup plus extravertis que moi et donnent et se donnent davantage en scène. Ils créent des événements scéniques. C'est vrai aussi pour Higelin. Qu'on ne se méprenne pas, mes propos sont très positifs à leur égard.
Paroles et Musique : Votre "look" n'est-il pas en décalage avec la violence de certains de vos textes ?
Jean-Jacques Goldman : Donnez-moi un exemple de texte violent. " Minoritaire", vous trouvez que c'est un texte violent ? Mais c'est un texte avec de l'humour aussi. "Miniloubarrivistes ou grands rastallumés" ..
Si j'ai bien compris votre question, vous impliquez que mon "look" n'est pas violent : comment pourrait-il l'être ?
Paroles et Musique : On l'a écrit maintes fois, vous avez un physique assez avenant et vous avez toute l'apparence d'un garçon sage. On pourrait penser, en vous voyant, que vous allez chanter des choses mineures...
Jean-Jacques Goldman : "L'été indien"...
Paroles et Musique : Or, sans que vous soyez un monstre de pessimisme, certains de vos textes sont plutôt sérieux ?
Jean-Jacques Goldman : C'est vrai, mais que faire? Je ne vais pas me laisser pousser le bouc ! (rire). Pour l'instant l'essentiel de ma démarche en matière de "look" a été de mettre une cravate. C'est tout ! Franchement, la première fois que j'ai fait une télé, c'était suffisamment impressionnant pour moi pour que je n'y arrive pas débraillé. C'est aussi bête que cela. J'ai mis une cravate comme lorsque je passais des examens. Pour ne pas sombrer dans le ridicule, j'ai gardé un jeans. Comme les gens de vingt ou trente ans quand ils sortent. C'était vraiment dans cet esprit-là. Sans intention délibérée. Mais, effectivement, c'est vite devenu un "look". Je ne sais pas pourquoi.
Paroles et Musique : On prétend qu'il y a plein de petits Jean-Jacques Goldman qui se baladent dans les villes de France...
Jean-Jacques Goldman : C'est vrai et faux : ce ne sont pas eux qui sont habillés comme moi, mais moi qui me suis habillé comme eux.
Paroles et Musique : Alors que vous avez un comportement parfaitement adapté à notre société, vos chansons recèlent beaucoup d'ailleurs, d'appels à une autre vie, etc.
Jean-Jacques Goldman : De quoi voulez-vous que l'on parle dans une chanson ? Je ne prétends pas que la chanson ne soit que du rêve : j'ai beaucoup de respect pour la chanson militante, celle qui évoque des sujets terre à terre et pratiques, mais la chanson ne peut se réduire à cela. Elle peut aussi être un moment d'évasion.
Dans mon répertoire, il existe des chansons terre à terre: "Comme toi", par exemple. Le thème n'en est pas le rêve, mais l'affirmation que l'on a beaucoup de chance de vivre en France en 1985. "Minoritaire" évoque également cela. "Je marche seul" ne procède pas non plus du rêve : elle traite d'une attitude de résistance et d'individualisme. Toutes mes chansons ne sont donc pas éthérées; elles ne sont pas toutes des voyages. Mais cela arrive parfois comme dans "Brouillard" parce que l'on a besoin aussi, à certains moments, d'une vie plus rêvée pour vivre autre chose que le réveil à huit heures, le petit déjeuner à huit heures quinze, le travail à...
Paroles et Musique : Chansons de divertissement et chansons plus sombres, plus sérieuses - plus "terre à terre" diriez-vous - constituent deux veines de votre répertoire. Seriez-vous d'accord avec cette distinction ?
Jean-Jacques Goldman : Non, mais je serais en revanche d'accord pour y mettre des degrés : certaines de mes chansons sont plus ou moins de divertissement.
Paroles et Musique : Plus légères que d'autres?
Jean-Jacques Goldman : Je ne crois pas qu'il y en ait de lourdes (rire). Je ne dis pas lourdingues mais lourdes, c'est-à-dire pesantes, que l'on écoute en se prenant la tête à deux mains. Je ne pense pas qu'il y en ait qui puissent bouleverser quelqu'un fondamentalement.
Paroles et Musique : Je n'opposais pas légères et lourdes mais légères et graves.
Jean-Jacques Goldman : Je ne crois pas qu'il y en ait de vraiment graves.
Paroles et Musique : Même pas "Ton autre chemin"?
Jean-Jacques Goldman : (Silence) Peut-être triste, mais pas... je ne sais pas, je ne peux pas répondre à cette question. En tous cas, il ne m'arrive pas de me dire : tiens, cette chanson-là, elle sera au hit-parade et celle-ci, non. En fait c'est faux, je suis en train de mentir, car je fais très bien la différence...
Dans un sens, vous avez raison: il y a des chansons faites pour s'exhiber et d'autres pas. Certaines sont faites pour être sous les néons, dans une émission de Guy Lux ou dans un hit-parade : elles ont l'habit, l'uniforme, la force qui conviennent - la légèreté, diriez-vous, et je dirais l'insouciance - pour être dans un grand magasin ou un ascenseur... pour être des chansons de consommation.
Il en est d'autres qui ne s'adaptent pas à de telles situations et dont la place n'est pas dans un hit-parade. Elles bronzent mal : trop exposées au soleil, elles se tâchent de rougeurs. Elles sont faites pour rester à l'ombre. Il est des chansons hâbleuses qui interpellent le passant par l'intermédiaire de la radio ou de la télévision et d'autres, un peu timides, qu'il faut aller chercher et qui prennent ainsi leur valeur... Je l'ai déjà dit ailleurs - excusez-moi mais, à force d'appartenir à tout le monde, une chanson n'appartient plus à personne.
Chansons - vitrines et chansons - fond-de-tiroir : cela correspond bien à ce que j'aime faire, Je ne méprise pas l'une par rapport à l'autre. Pour moi, "Quand la musique est bonne" est l'une des meilleures chansons que j'aie jamais écrites.
Paroles et Musique : Vos textes s'adressent généralement à des adultes ; votre public est plutôt jeune, voire très jeune. N'y a-t-il pas là un paradoxe ?
Jean-Jacques Goldman : Une fille de quinze ans, c'est une fille qui est en seconde. Elle lit Le Grand Meaulnes, elle découvre Le Capital de Marx, elle votera dans trois ans... C'est quelqu'un de très important. J'ai une fille de dix ans et je suis déjà un peu ahuri par sa richesse. Quel rêve pour un chanteur de sensibiliser des "minettes" de quinze ans plutôt que des gens de trente-quatre ans, que je connais très bien, et pour cause, puisque c'est mon âge !
Je ne me sens pas beaucoup plus respectable, altruiste, pur et généreux que je l'étais à quinze ans. Je ne pense pas avoir énormément progressé dans ce sens-là. Ni ceux du même âge que moi que je connais.
Par ailleurs, je ne sais pas s'il existe un autre marché du disque que celui des quinze-vingt ans. Au-delà, la chanson reste-t-elle une préoccupation aussi forte ?
Paroles et Musique : Vous avez une responsabilité à l'égard ne ces jeunes qui constituent votre public : comment la vivez-vous ?
Jean-Jacques Goldman : Je la ressens très fortement. Je n'ai, par exemple, jamais fait l'apologie de la drogue. Nombre de chanteurs qui participent maintenant à des concerts contre la drogue en ont fait peu ou prou l'apologie dans au moins l'une de leurs chansons.
Paroles et Musique : Vous êtes hostile à la drogue ?
Jean-Jacques Goldman : Bien sûr c'est mauvais pour la santé. De même, je ne ferai jamais la Fête de l'Humanité. Même si je chante devant cent ou deux cent mille personnes, ce qui est très excitant. Précisément parce que j'ai l'impression que j'ai une responsabilité : y aller serait un signe.
Paroles et Musique : Une manière de cautionner?
Jean-Jacques Goldman : Je n'adresse aucun reproche à ceux qui y chantent, mais il est clair que le but d'une organisation politique de ce type est d'essayer de banaliser son mouvement en y invitant des vedettes banales.
Enfin, il est facile avec des textes de chansons de susciter un écho au sein d'une certaine jeunesse étudiante: je n'utiliserai pas ces moyens-là. Je n'écrirai pas de chansons dans le texte desquelles j'appellerais les policiers des "flics" ou qui exprimeraient une espèce d'anarchisme ou de nihilisme, une critique systématique des hommes politiques "tout est pourri", etc. Je sais que c'est porteur en termes de marché, mais je n'écrirai pas ce genre de choses parce que je ne les pense pas.
Peut-être trouverait-on eux ou trois phrases au détour desquelles j'ai été complaisant, mais dans aucune de mes chansons je n'ai cédé a ces nouveaux lieux communs. Il est des chansons très démagogues que j'aurais pu écrire, que je saurais écrire et que je n'écrirai pas. J'ignore si ce que je pense est bien ou pas, mais c'est ce que je pense. Cela dit, n'étant pas un chanteur militant, le problème se pose rarement.
Paroles et Musique : Quelle est votre perception de votre public? On sait qu'il vous écrit et qu'à l'issue de vos concerts à l'Olympia, de nombreux enfants venaient vous voir dans votre loge...
Jean-Jacques Goldman : Les plus visibles et les plus culottés - moi, de ma vie, je ne suis jamais allé voir un chanteur dans sa loge -, ceux qui attendent, sollicitent des autographes, réclament une bise, veulent me voir, ce sont effectivement des jeunes Ceux qui crient devant la scène, ce n'est ni vous ni moi. Les autres, une fois le concert terminé, ils s'en vont et on ne les voit pas. Avec certains d'entre eux, les rapports seront épistolaires.
Je le sens, c'est un public minoritairement citadin - peut-être que les citadins ont moins le temps et écrivent moins - et un tantinet "baba-cool" un peu dans mon genre - et qui a plus ou moins vécu les mêmes choses que moi. C'est un public populaire, très populaire. Des gens qui vivent au quotidien : ils travaillent, ont des problèmes de fin de mois, connaissent des difficultés relationnelles... Enfin ils vivent une vraie vie.
Paroles et Musique : Et vous avez désormais envie de les rencontrer en scène ?
Jean-Jacques Goldman : J'ai du plaisir à passer une soirée avec eux c'est aussi simple que cela. Franchement, ils en font autant que moi ! A quelques exceptions près - l'Olympia fut particulièrement froid - en général ils chantent autant que moi (rire). Je n'ai pas grand chose à faire
Paroles et Musique : "Ils" ou "elles"?
Jean-Jacques Goldman : Il y a beaucoup de "elles", mais c'est ainsi dans tous les concerts, sauf dans ceux de hard-rock. Les jeunes et parmi eux les filles sont ceux qui s'intéressent le plus à la chanson.
Paroles et Musique : Ne pensez-vous pas que votre phvsique y est pour quelque chose ?
Jean-Jacques Goldman : Probablement un peu.
Paroles et Musique : Et vous prétendez que votre courrier recèle peu de "lettres d'amour"!
Jean-Jacques Goldman : Mais c'est vrai. En revanche, 95 % des lettres que je reçois émanent de femmes. Sans doute parce que les hommes n'écrivent pas : je suis sûr que les joueurs de football ne reçoivent pas de courrier.
L'idéologie réactionnaire du rock...
Paroles et Musique : Pensez-vous toujours que le rock soit, comme vous l'avez déclaré un jour, "un mouvement fondamentalement de droite"?
Jean-Jacques Goldman : Je pense qu'il y a beaucoup de caractéristiques de droite dans le rock : par exemple, le rapport avec les femmes ou le rapport avec la foule et son fanatisme, les collusions avec l'argent et le pouvoir - les Beatles décorés par la Reine, Springsteen, chanteur favori de Reagan... - etc.
L'appel à la drogue, l'insolence et la révolte très adolescentes qui alimentent les textes de rock confortent les pouvoirs établis. C'est le comble du bonheur pour tout Pouvoir - surtout s'il est autoritaire - que les jeunes prennent de la colle, assistent aux concerts de rock et se secouent la tête. Insolence bidon, révolte bidon que celles du rock ! Appeler à ne pas voter et affirmer "la politique c'est bidon", c'est fantastique pour tous les pouvoirs militaires ! Tout cela est présent dans le rock, et c'est en fait vraiment réactionnaire.
Paroles et Musique : Quelles réflexions vous inspire le mot foi ?
Jean-Jacques Goldman : La foi ? J'aimerais bien (rire): ça doit être d'un grand confort ! Ne pas finir en poussière par le fait d'une espèce de hasard : formidable !
Par ailleurs, je me dis que pour nos cerveaux, il existe encore une grande marge d'incompréhensible, et j'ai pour l'instant une certitude: nous n'avons pas – et je n'ai pas - les capacités intellectuelles, le discernement et les connaissances pour savoir. Si aucune preuve n'a été fournie dans un sens, il n'en existe pas non plus à l'heure actuelle dans l'autre sens. Peut-être y a-t-il une explication. Qui sait ? Je laisse cela à ce niveau.
Je ne suis malheureusement pas sujet à cette foi impalpable et indicible. Sans être pour autant déïcide car ce serait déraisonnable de l'être fondamentalement. Quelqu'un a dit "si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer". Peut-être est-ce cela ?
Paroles et Musique : Votre rapport au judaïsme ?
Jean-Jacques Goldman : Il est plus intellectuel que pratique. Mes parents n'étaient pas pratiquants et je n'ai pas été élevé dans la religion. Je suis un ignare en matière de dogmes et de fêtes religieuses. Il y avait un type qui disait : "je me proclamerai Juif tant qu'il y aura des antisémites". C'est un peu ce que je ressens.
Il est hors de question que je ne le revendique pas quand on me pose la question ou bien que je change de nom comme me l'avait demandé ma maison de disques. C'est en ce sens que je revendique très fortement cette différence. J'ai d'ailleurs failli chanter pour "Touche pas à mon pote", à la Concorde, avec Karim Kacel : nous avions répété pendant une semaine mais, faute de temps, ce soir-là, notre prestation fut annulée...
Paroles et Musique : Les idéologies sont...
Jean-Jacques Goldman : J'ai lu récemment cette phrase : "quand je pense que l'on a écrit : du passé faisons table rase !". Aujourd'hui, on s'est rendu compte que c'est impossible. L'histoire est écrite, elle fait partie du présent et on ne peut en faire "table rase". Si, adepte d'une idéologie x, socialiste par exemple, vous l'appliquez en Suède, le résultat sera un socialisme suédois, et en Algérie, un socialisme algérien. Avec dans l'un et l'autre cas des caractéristiques héritées de siècles d'histoire que l'on ne peut gommer du jour au lendemain.
Au niveau idéologique, j'ai été de toutes les combines, et je me suis beaucoup trompé. Comment ne pas se sentir responsable de ce qui s'est passé au Cambodge quand on a tellement réclamé le départ des Américains ? De l'avènement de Khomeiny quand on a défilé en réclamant la mort du Shah? Etc.
Se poser des questions...
Paroles et Musique : Vous défiliez ?
Jean-Jacques Goldman : Bien sûr. J'ai marché pour toutes ces causes. Impossible de ne pas se sentir responsable actuellement de ces "Boat People" quand on a tellement crié "U. S. go home" ou bien l'on défilait pour être en accord avec une idéologie - qui d'ailleurs se défendait - ou bien l'on défilait pour le bonheur des gens : pas pour le Vietnam, mais pour les Vietnamiens. Aujourd'hui, on peut, comme Bernard Henri-Lévy ou Glucksman, se poser des questions.
Dans les années qui ont suivi 68, on pensait que l'on allait remplacer le noir par le blanc. Maintenant, on pense plutôt qu'entre le noir et le blanc, il y a toutes les nuances du gris que l'on va essayer de rendre le plus clair possible. Mais il est probable que le blanc nouveau, sans tache et qui fait du "passé table rase" manque un peu d'enzymes. Ce que je dis n'est pas particulièrement original : le recul de toutes les idéologies est, dans l'opinion, un phénomène général.
Paroles et Musique : Au profit d'une renaissance de l'individualisme ?
Jean-Jacques Goldman : Pas obligatoirement. J'ai beaucoup aimé cette opération "Touche pas à mon pote": premier grand rassemblement depuis mai 68, spontané et généreux, aucune organisation politique ne l'a noyauté. Cela m'a fait plaisir de constater qu'il existait encore des capacités de mobilisation au détriment d'un individualisme forcené sans doute moins répandu qu'on ne le pense.
Les gens sont encore capables de se rassembler et de réaliser quelque chose ensemble. En revanche, ils ne croient plus en ces leurres idéologiques et se méfient des récupérations. L'idéologie ne lave plus "plus blanc".
DES LETTRES... QUAND LE COEUR PARLE
Les mêmes mots reviennent pour préciser ce qui caractérise et ce qu'apportent ses chansons : émotion, profondeur, sentiment. En plus de vérités telles : "Il n'y a pas de suicide au Sahel, pas de psychiatre en plein désert". La distinction est souvent faite entre "les chansons plus commerciales" sanctionnées par le hit-parade ou le Top-50, et les autres " plus graves", "plus douces", "plus tendres" proches de la confidence ou du message personnel.
Quand on a l'oreille accrochée par une chanson de Jean-Jacques Goldman, un jour ou l'autre on finit par écouter attentivement les paroles. Et de citer "Une autre histoire", "Dors bébé dors", "Comme toi", "Je ne vous parlerai pas d'elle" ou "Nous ne nous parlerons pas". Souvent, une chanson reflète ce que tel ou tel correspondant a l'impression de vivre lui-même : "Veiller tard" ou "Pas l'indifférence". Mais il arrive que l'on bute sur un texte difficile à saisir : celui, mystérieux, de "Ton autre chemin", par exemple, précise l'un des correspondants, non sans ajouter "peut-être le comprendrai-je un jour?"
Les chansons de J.-J. Goldman "permettent à cet homme timide de s'exprimer avec plus d'aisance", " reflettent sa personnalité". Et "le succès ne le grise pas", Il a eu rester simple. "Sourire", "gentillesse", " simplicité", "discrétion" : " Il a su établir une coupure entre vie professionnelle et vie privée". Et chacune ou chacun de rêver du privilège de l'avoir pour ami...
(Extraits du courrier des télespectateurs de l'émission "Aujourd'hui la vie" - Antenne2, 14hl5 avant la rencontre avec J.-J. Goldman, présentée par Marc Legras et Dominique Verdeilhan et diffusée le 29 novembre 1985).
LES TUBES
" J'ai toujours beaucoup aimé les tubes. Je ne trouve pas que "Hey Joe" soit la pire des chansons de Jimi Hendrix, ni "Light my fire" la pire des Doors, ni encore "Avec le temps" la pirede Ferré. "No milk today" de Herman Hermits est une bonne chanson. "Twist and shout", "Jalous rock", etc., j'aime bien. Je n'ai aucun mépris pour ces chansons-là. J'ai même une fascination pour le "hit", cette chanson populaire qui parvient à émouvoir une foule de gens au même moment. C'est une réussite. Une étincelle inexplicable. C'est digne d'intérêt, estimable et aucunement méprisable".
LE COURRIER
" La relation par courrier avec le public m'a beaucoup perturbé. Au début, je répondais à chaque lettre en y passant parfois une demi-heure, et ma plus grande déception dans ce métier a été de ne plus pouvoir le faire, de passer par la force des choses à côté de lettres sincères, chaleureuses, venant de personnes qui consacrent autant d'attention, de temps à ce que je fais ; quelque chose que je trouve bouleversant".
Propos recueillis par Jacques ERWAN et Marc LEGRAS (dossier coordonné et réalisé par Jacques Erwan et Marc Legras, avec la collaboration de Renaud Ego, Jean-Pierre Leloir et Didier Varrod)
Michaël Jones
Michaël Jones, guitariste, ex-membre de Taï Phong possède un petit accent du pays de Galles où il est né : un compagnon de longue date de Jean-Jacques Goldman...
Paroles et Musique : Une longue collaboration musicale t'associe à Jean-Jacques ; s'explique-t-elle par des affinités humaines, des affinités musicales ?
Michaël Jones : Les deux. Pour les affinités musicales, on a pêché nos influences dans les mêmes eaux. Le rhythm'n'blues, la musique anglo-saxonne des années 60/70: Beatles, Rolling Stones, Eagles. Et puis il y a des rapports de copains. Ce n'est pas que le côté professionnel.
Paroles et Musique : Vous avez vendu beaucoup de disques avec Taï Phong; votre musique était souvent riche, parfois difficile. Ce succès ne t'étonne-t-il pas?
Michaël Jones : Non, parce que c'était une époque où les Pink Floyd, Genesis étaient à la mode, ce qu'on appelait l'Opéra-Rock. Notre musique coïncidait avec l'époque.
Paroles et Musique : Ce fut un pas important dans la carrière de Goldman ?
Michaël Jones : Je ne pense pas que ça lui a permis de démarrer, mais c'est une étape très importante pour nous deux, car nous nous sommes familiarisés avec la technique des studios, la composition, etc.
Paroles et Musique : La musique de Goldman ne s'est-elle pas depuis simplifiée ? Des influences noires, notamment, ont disparu.
Michaël Jones : Je ne pense pas qu'elle se soit simplifiée. J'ai connu Jean-Jacques à cette époque et l'ai toujours vu faire à peu près le même genre de musique. On a toujours aimé le côté rock, le côté rhythm'n'blues. On a évolué avec le temps, les sons; on utilise des instruments nouveaux. On s'est adapté, mais je ne crois pas qu'on ait vraiment changé de musique.
Paroles et Musique : Qu'il soit devenu un "chanteur à textes" ne l'a-t-il pas obligé à certains compromis musicaux?
Michaël Jones : Quand on chante en français, on est obligé de faire un compromis, car il y a un a priori : si l'on ne comprend pas le texte, la chanson a beaucoup moins de chances d'être aimée.
Paroles et Musique : Jean-Jacques est-il un bon guitariste ?
Michaël Jones : C'est un très bon musicien qui a beaucoup de cordes à son arc joue du piano, du violon, il chante, et sa voix est un instrument aussi.
Paroles et Musique : Si je te disais qu'il est le plus anglo-saxon des chanteurs français, qu'en penserais-tu ?
Michaël Jones : Il y a un peu de vrai. Mais il y en a d'autres : Balavoine, Charlélie Couture, Hallyday. Ça se manifeste dans sa façon de faire sonner les mots. Quand je suis venu en France j'ai été frappé de voir que la plupart des chansons étaient des poèmes accompagnés. Aujourd'hui on fait plus attention à la complicité entre la musique et les mots.
Paroles et Musique : Tu es un des musiciens de scène de Jean-Jacques, mais ta participation à ses derniers albums était discrète. Pourquoi ?
Michaël Jones : Ce sont deux choses différentes. Sur scène, on a besoin d'une énergie, d'une complicité visuelle et sonore. En studio, Jean-Jacques sait exactement ce qu'il veut, quels musiciens il lui faut pour telle chanson. D'ailleurs c'est lui qui dans le dernier album fait toutes les guitares; et moi un petit peu. On n'est jamais mieux servi que par soi-même.
Si je pars en tournée, c'est parce que Jean-Jacques a besoin de quelqu'un avec qui il sait pouvoir faire exactement ce qu'il a envie. Je ne pense pas qu'on parte en tournée avec un copain qui ne correspond pas aux caractéristiques voulues.
Paroles et Musique : Comment conçois-tu ton rôle de musicien de scène?
Michaël Jones : Mon rôle est d'interpréter la chanson, de lui apporter un petit côté personnel sans pour autant lui ôter la magie qu'elle a déjà. Quand on fait quelque chose pour quelqu'un d'autre, il faut se mettre à son service, s'insérer dans la chanson sans la trahir.
Propos recueillis par Renaud Ego
CLIP…CLAP : Bernard Schmitt
Ils ont le même âge. Leurs mères étaient amies: Jean-Jacques Goldman et Bernard Schmitt se sont rencontrés à l'âge de... trois mois ! Titulaire d'un CAPES de Lettres, Bernard Schmitt, après divers travaux d'assistant, a commencé par réaliser des téléfilms et des films publicitaires. Ensuite, tous les clips de Johnny Hallyday, le dernier de Julien Clerc et un portrait de Nathalie Baye pour la télévision. Depuis "Quand la musique est bonne", Jean-Jacques et lui travaillent ensemble. Au-delà du "monsieur image" de Jean-Jacques Goldman, Bernard Schmitt est de fait son conseiller en communication.
Paroles et Musique : Jean-Jacques prétend qu'il ne connaît rien au visuel...
Bernard Schmitt : Ce n'est pas son truc c'est vrai, mais, disant cela, il se caricature lui-même. En fait, on travaille ensemble sur les scénarios et il a plein d'idées visuelles.
Paroles et Musique : Comment travaillez-vous ?
Bernard Schmitt : Soit je lui amène une idée et on la retravaille ensemble, soit on part ensemble sur une idée. Notre méthode de travail ? Dire plein de choses comme elles viennent, y compris des conneries : il en sort une idée que l'on garde et que l'on travaille.
Paroles et Musique : De quel type d'images vous occupez-vous pour Jean-Jacques ?
Bernard Schmitt : Je réalise ses clips ainsi que les films qu'il utilise dans ses spectacles, et je suis le concepteur des pochettes de ses deux derniers albums.
Paroles et Musique : Qui décide de l'image ?
Bernard Schmitt : Jean-Jacques et moi conjointement. Ensuite, je gère ce qui a été décidé. Ma présence auprès de lui est d'image. J'ai aussi pour fonction de réfléchir avec lui à qui il est, où il en est et à ce qu'il ne faut surtout pas faire. Ainsi son image dans le public - il est accessible et simple - doit être conservée, d'autant qu'elle correspond à la réalité. Or, beaucoup de propositions visent à lui faire faire des plans de star. Il faut donc veiller à ce que sa personnalité ne soit pas trahie ni détériorée.
Paroles et Musique : Et la scène ?
Bernard Schmitt : Je réalise la mise en scène de tous les spectacles, en tournée et à Paris.
Paroles et Musique : Jean-Jacques est sans doute le seul chanteur français à se faire accompagner en tournée par un cinéaste. Quel y est votre rôle ?
Bernard Schmitt : Roder la mise en scène place de telle ou telle chanson, équilibre chanson-commentaires, etc. En plus, un rôle de liaison entre l'infrastructure locale et Jean-Jacques, accaparé par les interviews et diverses autres occupations.
Paroles et Musique : Avez-vous le sentiment que peu à peu Jean-Jacques se laisse apprivoiser par l'image?
Bernard Schmitt : Jean-Jacques a un rapport curieux à son image. Il n'aimerait guère tourner de films mais, en revanche, il aime maintenant de plus en plus jouer dans les clips.
Paroles et Musique : Peut-être parce qu'il n'est pas a priori conscient de ce qu'il sait faire ?
Bernard Schmitt : Peut-être. Effectivement, il ne se prend par pour Dieu !
Propos recueillis par Jacques Erwan
Contact scène : Thierry Suc et Pascale Miralles, 89 quai Pierre Scize, 69005 Lyon (tél. 78.39.34.34).
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