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Jean-Jacques Goldman : la gloire malgré lui
(Télé Star, 29 mars 1986)

Jean-Jacques Goldman : la gloire malgré lui
Télé Star, 29 mars 1986
Article d'Annick Rannou
Retranscription de Christine Tascher

Star des années quatre-vingt, il a inventé une forme de gloire fondée sur la banalité. Il ne rêvait pas d'être chanteur professionnel, il ne rêvait pas d'être adulé par des millions de fans. Pourtant, il y est parvenu. Et il est heureux.

Incroyable mais vrai, même si les jeux sont faits : politique (représentée par Laurent Fabius et Dominique Baudis) et showbiz (le collectionneur de tubes du moment : Jean-Jacques Goldman) se sont affrontés secrètement à Toulouse, trois jours avant les dernières élections. Le seul véritable vainqueur : le chanteur qui, lui, donnait le premier de ses trois concerts toulousains, au Palais des Sports, étape d'une tournée qui se prolongera jusqu'en octobre. Goldman ! S'il était anglais, on traduirait son nom par : "homme en or".

Le lendemain, le chanteur gardait ce souvenir : "La concurrence a été dure. Le matin même, une dépêche de l'AFP annonçait l'annulation de mon concert. J'en conclus que certaines personnes jugent très ennuyeux que sept mille Français s'intéressent à la musique le jour où elles auraient sans doute mieux à faire : écouter un homme politique. Ceux qui ont lancé cette fausse nouvelle se montrent prêts à rameuter n'importe quel public. L'intérêt : chez eux, c'est gratuit. Chez moi, il faut payer. Même si j'ai démenti formellement l'information, je reste persuadé que deux à trois cents spectateurs, ayant payé cent vingt francs leur billet, ont renoncé à se déplacer".

Une heure avant le début de ce second spectacle, assis sur le bord d'un canapé, mâchonnant des dattes, il fait provision de calories. Buste penché en avant, il boit doucement une mystérieuse boisson susceptible de métamorphoser les capacités de toutes les cordes vocales (celles des hommes politiques comprises) en mélodies magiques. (Recette : infusion de tilleul, jus de citron, miel). Sur un cintre pend son costume de scène : chemise blanche non repassée et gilet noir. Seuls effets personnels. Goldman ne se déplace pas avec des tapis persans comme Elton John, qui l'a précédé une semaine plus tôt sur le même siège : "J'aimerais avoir besoin de ces artifices", s'excuse-t-il. Hurlements lointains. On le réclame. A l'intention de ceux qui n'ont pas encore vu sur scène le chanteur français le plus populaire (un million cent mille exemplaires vendus de "Je te donne" et quatre albums disques d'or), Jean-Jacques Goldman, capable de remplir le Zénith dix-huit jours en interdisant toute publicité, prévient : "Il n'y a pas de danseuses de claquettes, pas de cracheurs de feu, pas de ballets nautiques. Mais six musiciens. Tout est basé sur les chansons. Décor : une chaîne hi-fi".

Dans les fumigènes et les faisceaux lumineux, il apparaît guitare à la main. Il va d'un côté du plateau, sautille sur place, sourit, sautille encore, rejoint pour un duo Michael Jones, son complice depuis 1976. A l'époque, il appartenait au groupe Taï Phong. "Je ne suis pas une bête de scène", m'avait-il prévenue. Le public (filles et garçons de seize à vingt-cinq ans) réclame autre chose. Le voir s'agiter ne leur suffit pas. "Souvenez-vous d'un certain match de foot", lance-t-il à une vague humaine composée de spectateurs en folie qui, brusquement, se presse vers la scène. Debout, à genoux, les filles, mains crispées sur les cuisses, hurlent. Les garçons se donnent des bourrades, crient des mots bizarres. La tension monte. L'élu, pour le moment, c'est lui. Il représente cette frange de jeunes gens qui ne reconnaissent pour l'instant qu'une seule voix : celle de la chanson. L'atmosphère lourde devient tantôt orageuse, tantôt mélancolique. Une fille s'évanouit. Puis une autre. Le gourou Goldman, à l'oeuvre, produit sur son assistance l'effet d'une manifestation vaudou. On comptera quatre évanouissements. Les policiers, retenus dans deux cars stationnés, discrètement, devant la porte, n'auront pas à intervenir. Parmi les fans de Goldman, pas de loubards, de voyous, d'alcooliques. Coup de patte aux politiciens, coups de griffes aux dirigeants. Cris et sifflets redoublent. Jean-Jacques Goldman tire juste.

Showbiz politicien ? Pas du tout. Inutile de chercher un message. "Seules les chansons dans lesquelles l'interprète s'implique remportent du succès", précise à son tour Jean-Jacques Goldman. Du même coup, il perd de son mystère. Et pour se révéler davantage, il en dit plus sur ses textes. A commencer par "Je te donne" : ""Je te donne toutes mes différences...", là je m'adresse à Michael Jones, Gallois, de parents comme les miens venus d'ailleurs. Parce que mon père, qui vivait près de Varsovie, avait lu Victor Hugo en yiddish, il décida de venir en France. A quinze ans (en 1924), il passa les frontières clandestinement, deux pièces de monnaie cousues dans le col de sa veste. Tailleur, poseur de rails, il a fini par s'engager dans les chasseurs d'Afrique. Ma mère habitait Munich. A l'arrivée d'Hitler au pouvoir, la famille s'exila à Lyon. Mon grand-père maternel ne voulait pas finir ses jours en Allemagne, son pays". Parenthèse pas encore mise en musique : son enfance résumée et soulignée avec un sourire amusé. "Jamais je n'ai craché au visage de ma mère, pas plus que je n'ai traité mon père de vieux pourri. Jamais je n'ai fumé dans les toilettes de l'école. Jamais je n'ai volé de mobylette. Jamais on ne m'a ramené chez moi entre deux policiers. Rien que de désespérément ordinaire !"

De "Je marche seul", il dit : "J'ai voulu écrire un "hymne" à la liberté. Quand je chante: "Je suis riche de ça / mais ça ne s'achète pas...", je pense qu'on a de la chance. Celle de se balader, sans risques, dans les rues, de croiser des gens. Rien ne m'apparaît plus inestimable".

"Pas toi", dernière-née, tournée en clip avec, comme réalisateur et partenaire son copain Bernard Smitt [sic], révèle Goldman-le-sentimental. "Plus qu'une chanson d'amour, il faut y voir un texte qui parle de ce sentiment banal mais douloureux que l'on ressent lorsque l'autre ne le partage pas. Pour moi, l'amour et l'amitié se ressemblent".

Naturellement, il veut parler de sa "famille" spirituelle, également enregistrée sur disque. "Danielle Messia, chanteuse morte dans l'indifférence, appartenait à cette famille. Il nous suffisait d'un mot, d'un regard pour éclater de rire. Parce que Danielle illustre parfaitement ce que j'exprime dans cette chanson, je la lui ai dédiée.

Pour un autre, Daniel Balavoine, il a chanté à "Champs-Elysées" "Confidentiel". Ils s'étaient rencontrés à l'époque où tous deux se produisaient dans des bals. Balavoine dans le groupe Présence, Goldman dans Phalanster, l'un de ceux auxquels il a appartenu de l'âge de quinze ans à vingt-quatre ans. "On se connaissait trop peu encore. Sur la façon d'envisager la musique et de mener nos existences, nous nous ressemblions. Nos différences: Daniel était un fonceur. Un type qui pouvait donner des avis sur tout. Moi, je n'en ai sur rien. Il aimait convaincre. Moi, cela ne m'ennuie pas de ne pas rallier les autres à mes idées. Je suis trop égoïste. L'effort est beaucoup trop important".

Seuls les liens qu'il a noués avec des êtres chers ou en qui il a confiance le font vibrer. "J'habite depuis toujours le même pavillon de banlieue, situé à cent cinquante mètres de celui de mes parents, à cent vingt mètres de celui de mes beaux-parents, à cent douze mètres de celui de mon beau-frère, à cent quarante-quatre mètres de celui de ma soeur, à cinq cent vingt mètres du magasin de sports que tient mon frère et où j'ai moi-même travaillé à la fin de mes études commerciales à l'EDHEC- Lille. Nous formons une tribu".

Ses rêves, il les a dépassés mais il continue de chanter "Au bout de mes rêves". "Je me trouve au-delà de mes ambitions premières. Comment aurais- je pu imaginer devenir un chanteur professionnel, alors que je me destinais à travailler au service comptabilité d'une PME avec pour hobby la musique ? Ce succès phénomènal, je ne l'ai jamais espéré. Tiens, je pourrais m'en servir pour écrire une prochaine chanson. Pas sensationnel, n'est-ce pas ? Comment expliquez-vous cela ?"

De cette banalité, Goldman a créé son succès. Son quotidien rejoint celui des autres. Il vit ce que subissent les hommes et les femmes de notre époque. Pas même mystérieux, seulement instinctif.

[Encart où l'on voit une photo de Jean-Jacques Goldman chantant avec Daniel Balavoine] "De tous les mouvements de solidarité, ils avaient chanté ensemble lors du concert pour l'Ethiopie. Au souvenir de Daniel, Jean-Jacques est encore ému. Lors du "Champs-elysées" qui suivait la mort de Daniel Balavoine, Jean-Jacques Goldman avait interprété "Confidentiel" en hommage à son ami disparu. Jean-Jacques n'a pas écrit cette chanson pour la circonstance. Mais aujourd'hui, en écoutant les paroles de "Confidentiel", il est vrai que celles-ci prennent une dimension toute particulière..."

[Suit la retranscription des paroles de "Confidentiel"]

[Photo 1] JJG assis dans une chaloupe dans un pays étranger : "Depuis quatre ans, ses disques d'or lui permettent de profiter d'un certain luxe. Exemple: les voyages au bout du monde".

[Photo 2] JJG assis, un micro à la main, avec à ses côtés Johnny Hallyday : "De lui, Johnny Hallyday dit: "C'est celui qui a su le mieux tirer parti de l'histoire de la musique des quinze dernières années".

[Photo 3] "Le groupe Taï Phong. Trois albums et un succès, "Sister Jane" (1975)". "Parce que je voulais composer une musique plus ouverte à l'émotion qu'aux prouesses techniques, et que les propositions furent refusées, j'ai trouvé que la démocratie ne règnait plus dans notre groupe. Ce fut la séparation".


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