Jean-Jacques Goldman : Bienvenue sur son boulevard
|
Jean-Jacques Goldman : Bienvenue sur son boulevard
Cool, mars 1986
Retranscription de Ludovic Lorenzi
Bienvenue sur le boulevard Goldman. Sur la gauche le rock, la variété, les hits. Sur la droite, le public, les musiciens, la 'famille'. Un peu plus loin, une statue 'non homologuée' représentant quoi ? Chut ! C'est 'confidentiel'. Encore plus loin, des gens tranquilles, de tous les coins, sans étiquette. Beaucoup plus loin, un chapiteau ou une grande salle. On ne voit pas très bien. Peu d'affiches, pas de flonflon mais déjà la musique résonne. Tout autour, des camions, des cars, des équipes qui s'affairent et des fans qui attendent.
Un petit bout de papier à la main, une photo, une pochette de disque pour déposer à jamais la signature tant attendue. Sur la scène, éternel jean délavé, éternel tee-shirt éternelles baskets, le cheveu long et la voix haute, 'il' répète, teste le son, vise à ce que le public soit dans les meilleures conditions...
Même si les boulevards n'ont pas été baptisés "Goldman", depuis plusieurs mois, c'est le même scénario. Les atteints de la 'Goldmanite aiguë' sont fidèles au rendez-vous. Mais ce qui se propage n'est pas une maladie. C'est plutôt un plaisir, une admiration, une émotion qui se traduisent par la reprise en chœur des 'mots Goldman'.
Même installé sur les sommets des tops, entre Mister Jean-Jacques et ses fans, il n'y a de place que pour la complicité. Pas de mot inutile, de fausse confidence, de discours hypocrite. Des deux côtés, ils s'attendent s'observent s'imaginent se rencontrent pour deux heures, se retrouvent sur vinyl. Les règles sont ainsi faites et il ne veut rien y changer.
Certains demanderont pourquoi, s'interrogeront sur cette timidité qui le caractérise, sur cet air serein face à tous ces regards éblouis. D'autres diront que ce n'est qu'attitude 'marketinguement' étudiée.
Qu'importe ! S'il faut entendre du 'pour' et tellement de 'contre' pour faire ce métier, Jean-Jacques a choisi. Les joies de la musique pansent sûrement toutes les blessures...
Cool : Tu arrives à la fin d'une partie de la tournée. Plusieurs mois sur les routes, ça laisse des souvenirs, des regrets, des anecdotes..
Jean-Jacques Goldman : Plein de choses, oui. parce que c'est la vie en surmultiplié. Tu découvres pleins d'endroits nouveaux, pleins de visages nouveaux, de salles différentes, des concerts différents.
Cool : Est-ce qu'à un moment ça devient une routine ?
Jean-Jacques Goldman : Non, je ne crois pas. Les routes ne sont pas les mêmes, les publics, les hôtels, les gens ne sont pas les mêmes.
Cool : Tu arrives à rencontrer ton public, à lui parler individuellement ?
Jean-Jacques Goldman : C'est difficile mais on y arrive. Il y a des rencontres quand même.
Cool : Quand tu discutes avec ces gens, c'est le personnage privé ou le musicien, le chanteur qui les intéresse ?
Jean-Jacques Goldman : C'est plus 'l'oreille'. Ils me racontent leurs vies avec beaucoup de confiance en ayant l'impression que je saurais mieux les écouter qu'un autre.
Cool : J'ai vu plusieurs concerts sur cette tournée et j'ai l'impression qu'il y a eu des changements, que tu te sens plus à l'aise sur scène...
Jean-Jacques Goldman : On modifie beaucoup le spectacle au fur et à mesure. Il y a pas mal d'improvisations sur scène. Les musiciens interviennent, le public intervient, ce qui fait que chaque soir n'est pas vraiment le même. Evidemment, il y a de grands points communs mais aussi des petites choses qui changent et qui font que, bizarrement, après une centaine de concerts, tout le monde a encore envie d'être sur scène. On est tous content de rejouer.
Cool : On est un peu comme au théâtre, on a une ligne à respecter, ou on peut se permettre des petits coups de folie ?
Jean-Jacques Goldman : C'est à dire qu'il y a des choses immuables comme l'ordre des chansons à cause des lumières qui sont programmées par ordinateur. Donc, il est évident qu'on ne peut pas changer de chanson à tel moment ou en enlever une, ou partir dans une improvisation trop folle parce qu'à un moment la lumière va être là et il faut qu'on soit en dessous. Il y a quand même une structure. Mais, par contre, pour tout ce qui est parlé, pour tout ce qui est contact, un peu communication quoi, ça peut changer.
Cool : Tu as l'image d'un chanteur timide alors que sur scène tu parles pas mal et avec humour en plus…
Jean-Jacques Goldman : Tu trouves ! Je ne parle pas tant que ça. En fait. je suis timide quand je ne connais pas bien les gens, donc au début du concert, je ne suis pas très très bien. Puis finalement, quand les gens réagissent bien, il est normal qu'il y ait une complicité qui se crée. Des fois, elle ne se crée pas.
Cool : Il y a des concerts où on n'arrive pas à établir le lien ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, il y a des concerts qui restent très durs, très froids jusqu'à la fin. C'est soit que nous, on n'est pas bons, soit que le public n'aime pas ce qu'on fait, soit que les conditions techniques ne sont pas bonnes, soit qu'ils n'entendent pas bien, ils ont trop chaud, ils ont trop froid, ils ne voient pas. Il y a des tas de paramètres qui font que chaque soirée est un peu un événement dans le sens de 'happening', quelque chose où tout peut arriver.
Cool : Certains soirs, on sent qu'on n'y arrivera pas, qu'on devra faire de gros efforts pour être vraiment là ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, il y a des soirs où on est en moins bonne forme, où on a moins envie de jouer que d'autres, mais finalement peu importe. Ça influe sur les premières chansons du concert mais ensuite, si le public a envie de te donner la pêche, tu y vas. Et le contraire est vrai. C'est à dire que des fois on rentre avec une forme formidable et si le public ne répond pas, vers la fin du concert on déprime un peu. Je pense que nous, on influence le public mais le public nous influence aussi énormément par ses réactions.
Cool : Vers 19 h, dans chaque ville c'est la série des interviews pour les FM, la presse locale... C'est difficile si peu de temps avant le concert ?
Jean-Jacques Goldman : Non. Et puis, c'est une façon de parler à des gens différents, qui sont du coin. Moi, ça m'intéresse toujours de causer avec une radio locale ou la presse locale, parce qu'en posant des questions, ils me fournissent des réponses d'une certaine manière. Ça dure une demi heure, une heure puis ensuite, il me reste une heure pour me préparer, pour penser à autre chose, pour chanter avec ma guitare, pour attendre.
Cool : Tu as le trac ?
Jean-Jacques Goldman : Oui. toujours un peu. C'est une tension, un manque de disponibilité. Je deviens un peu égoïste, replié sur moi-même... Mais je l'ai beaucoup moins qu'au début. Il y a quand même, au bout de cent concerts, une accoutumance qui se crée.
Cool : C'est ta deuxième tournée, quelle est la différence entre les deux ?
Jean-Jacques Goldman : L'énorme différence, c'est que moi je connais mieux le public. Lors de la première tournée, on ne se connaissait pas du tout, on s'était rencontrés. Maintenant, eux me connaissent mieux aussi. Ce qui fait que dès l'entrée sur scène, il y a en général une complicité immédiate. On est plus à l'aise côté scène et côté public. Ce qui n'était pas le cas pendant la première tournée où il y avait une méfiance, une curiosité, une timidité des deux côtés, plus importante que maintenant.
Cool : Il y a des moments d'émotion. des moments forts qui se retrouvent à chaque concert au même endroit ?
Jean-Jacques Goldman : Non, ça varie. Des fois, il se passe quelque chose sur une chanson, d'autres fois non. C'est souvent dû à des raisons techniques. Il suffit que le son ne soit pas bon, que quelqu'un crie, que moi je ne sois pas bon pour que ça ne passe pas. Parfois, il se passe des choses très fortes sur 'Comme toi', d'autres fois sur 'Pas toi' ou sur 'Confidentiel'. Ça dépend des villes.
Cool : La vie de 'famille' avec les gens qui font partie de la tournée, c'est difficile ? Ça demande des concessions ?
Jean-Jacques Goldman : C'est difficile et puis c'est fabuleux. Là, il se trouve qu'on est 50 sur cette tournée et qu'il n'y en a pas un qui est en trop. Du road jusqu'aux gens du son ou des lumières, je trouve qu'il y a une motivation. C'est leur spectacle autant qu'à moi. Il se dégage de cette tournée une chaleur. C'est rare et tout le monde est conscient que ça va se terminer alors on en profite.
Cool : Il y a cette famille de la tournée et en même temps, tu te coupes un peu de ta vie, de ton autre famille.
Jean-Jacques Goldman : Plus ou moins puisque c'est ma vie. Je ne peux pas envisager ma vie en dehors de ce métier-là.
Cool : La tournée fait partie des meilleurs moments de ce métier ?
Jean-Jacques Goldman : Pas au début, mais maintenant oui. C'est quelque chose que j'aime beaucoup, qui m'est vraiment indispensable.
Cool : Tu es plus chanteur lorsque tu es sur scène ?
Jean-Jacques Goldman : Non, je ne crois pas. Je pense que ce qui est fondamental, c'est le moment où on écrit la chanson. Même la tournée ensuite, dépend terriblement du poids des chansons. Je crois vraiment que le nœud, là où tout part, c'est le moment où on est tout seul devant un piano ou une guitare et où il y a une mélodie qui sort avec des mots. L'essentiel est là. Ensuite, ce qui va se passer en télé, en radio, en presse, sur scène, dans l'avenir dépend de ce moment-là.
Cool : Lorsque tu as terminé une chanson, tu ressens le besoin d'avoir l'avis de personnes particulières ?
Jean-Jacques Goldman : Oui. Il y a le fond et la forme et je me pose beaucoup de questions sur la forme. C'est à dire les arrangements, la tonalité, le tempo, le découpage, l'introduction, le son... Donc, là, je demande un peu l'avis de tout le monde. Mais je me rends bien compte, moi-même, quand je suis sur quelque chose ou sur du vide.
Cool : Il y a quelque chose qui te parie dans la tête, un petit truc qui te guide ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, qui me dit 'ça c'est bien', 'ça c'est moyen', 'ça c'est habile', et 'ça c'est vraiment bien'.
Cool : Ça correspond au goût du public à chaque fois ?
Jean-Jacques Goldman : Oui.
Cool : Les chanteurs disent qu'il n y a pas de recette pour les tubes ?
Jean-Jacques Goldman : Ce n'est pas une recette, ce que je dis. De temps en temps, je suis là, au piano. Je peux travailler beaucoup comme j'ai travaillé sur 'Je marche seul', en faisant des changements mais en me posant des questions sur cette chanson jusqu'à la fin. Même sortie, je ne savais pas si elle allait marcher ou non. Alors qu'il y a des chansons comme 'Confidentiel', 'Comme toi', 'Pas toi', 'Je te donne' sur lesquelles je ne me suis jamais posé de questions. J'étais sûr de ces chansons. Ce n'est pas de la prétention. Mais pour moi, elles étaient pleines, pas construites ou fabriquées... Le jour où je les ai jouées, je me suis dit 'ça y est'.
Cool : On parle souvent de mélodies évidentes. Qu'en penses-tu ?
Jean-Jacques Goldman : Je n'y crois - pas parce qu'il y a plein de chansons évidentes qui sortent tous les jours, de chanteurs que je ne citerai pas et qui ne marchent pas. Et puis tu as Police ou Sting avec 'Russians' ou Depeche Mode, Duran-Duran, Tears for Fears avec des mélodies qui ne sont pas évidentes au départ mais que les gens assimilent très, très bien. Moi, je pense qu'on ne peut pas parler de truc, de facilité, de choses comme ça. C'est simplement l'émotion. Ou elle passe ou non, Mais à partir du moment où toi, tu es très, très touché parce que ce que tu viens de faire, tu as quand même beaucoup plus de chance de toucher les autres.
Cool : A force de chanter presque tous les soirs, est-ce qu'il y a certains mots que tu ne ressens plus, que tu n'as plus envie de chanter, des morceaux que tu rejettes ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, il y a des morceaux qui m'ennuient parfois et puis le lendemain j'ai du plaisir à les rejouer. Enfin, en gros, ça va ! Je ne me plains pas.
Cool : Pendant la tournée, tu travailles un peu ? Tu es à l'affût de mots, de mélodies ?
Jean-Jacques Goldman : Je prends beaucoup de notes en tournée. J'ai un carnet où j'écris tout ce que la vie peut susciter. Il y a des tas de notes qui ne seront jamais des chansons et d'autres qui pourront être des thèmes de chansons. Et puis, il y a aussi des musiques qui arrivent petit à petit et qui souvent impliquent des thèmes ou des mots. Tu ne sais pas encore de quoi va parler la chanson mais les notes et les rythmes font qu'il va falloir des mots dessus. Pourquoi ? Je ne sais pas.
Cool : Tu n'es donc pas spécialement méthodique ?
Jean-Jacques Goldman : C'est ça. C'est comme ça pendant un an et demi, des petites brides, des accords de guitare, des thèmes, des petites notes... Ensuite, au bout de cette période, quand c'est plein, là ça devient très méthodique. Je dépouille tout ça. J'ai un petit cahier où je remets tout ça par thème et à partir de ce moment là, je commence à travailler méthodiquement en essayant de rejoindre les idées des textes et des musiques, en approfondissant les arrangements... C'est ma cuisine, quoi !
Cool : Quand on fait ce métier, on est un peu écolier qui a des chansons à rendre en guise de devoirs ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, mais c'est le cas de pas mal de gens. Un employé de banque doit avoir une caisse qui tombe juste à la fin de la journée, un journaliste doit faire de bons articles. On est tous jugés plus ou moins, par ce qu'on fait.
Cool : C'est important pour toi d'avoir des échéances, des dates ?
Jean-Jacques Goldman : Non. Moi, j'écris des chansons par nécessité personnelle. Quand je travaillais, quand j'étais étudiant, j'écrivais des chansons. Et si ça ne marchait pas pour moi, si le travaillais à la librairie d'en face, j'écrivais quand même des chansons. Donc, c'est comme un type qui a besoin de courir et qui est pavé pour courir. Tant mieux, mais s'il n'était pas né pour ça, ça ne l'empêcherait pas tous les matins d'avoir envie de courir. Ce n'est pas du tout par devoir que je les écris ces chansons, c'est parce que ça pousse dans ma tête et qu'il faut nue le les fasse sortir. Sinon, je suis mal. Il me faut tout de suite une opération chirurgicale… (rires)
Cool : Tu écris des chansons depuis quel âge ?
Jean-Jacques Goldman : Ça a commencé par des poèmes, des cahiers intimes, des musiques vers 13-14 ans. Puis vers 20 ans, c'est devenu plus systématique.
Cool : Je crois que tu as un projet d'écriture de chansons pour Johnny Hallyday ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, c'est vrai. Johnny m'a demandé de lui écrire des chansons. Moi, je ne pouvais pas prendre en charge un album en entier comme l'a fait Berger parce que j'écris très, très peu. Je n'aurais pas dix bonnes chansons à lui donner, mais si j'en ai trois ou quatre qui tiennent la route, je le ferai pour son prochain album.
Cool : C'est une aventure qui a l'air de te plaire, de t'intéresser ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, ce qui m'intéresse le plus c'est d'écrire des chansons et quand on a la chance d'être demandé par un interprète comme Hallyday, il ne faut pas passer à côté de ça. C'est vraiment un privilège.
Cool : Quand on écrit pour les autres, on essaie d'entrer dans leur peau, de savoir ce qu'ils auraient envie de dire, les mots qu'ils choisiraient ?
Jean-Jacques Goldman : Sûrement, oui. On est un peu un scénariste. On s'adapte à l'acteur. C'est comme quelqu'un qui écrit un rôle sur mesure pour Montand ou Depardieu. Mais c'est sûr que quand je vais écrire ces chansons, je me dirai 'est-ce que Hallyday aura envie de dire ça ?' N'importe comment, c'est lui qui jugera...
Cool : Tu as des objectifs de carrière ? Tu penses à l'avenir, à ce que tu vas faire par la suite ?
Jean-Jacques Goldman : Non. Je crois que c'est un métier de plaisir et je ne pense pas qu'on puisse donner du plaisir sans en ressentir soi-même. Je crois que la clef est là. Si quelqu'un à 25 ans n'a plus envie de faire de scène, il faut qu'il arrête. Si Hallyday, à environ 40 ans, se tient bien encore sur scène et a envie d'en faire, il faut qu'il en fasse. C'est pareil pour les chansons. Je crois que la seule limite, c'est le plaisir.
Cool : Pour le moment, tu vis ca bien ?
Jean-Jacques Goldman : Oui. Mais je ne le vis pas depuis très longtemps. Ça marche depuis 4-5 ans. C'est très, très récent. Je ne suis pas encore blasé, loin de là…
Cool : En dehors de la chanson, il y a d'autres choses que tu as envie de faire ?
Jean-Jacques Goldman : Non. J'aime bien aussi ne rien faire. C'est une de mes grandes joies. Je suis capable de ne rien faire pendant une semaine... Sinon, j'aime bien vivre normalement, aller au cinéma, bouquiner quand c'est possible, lire les journaux... Mais rien de spécial.
Cool : La tournée s'arrête fin mai, puis elle reprendra en juillet ?
Jean-Jacques Goldman : Oui au Canada. Là-bas, ça ne marche pas pour moi. Ça marchera peut-être une fois qu'on y sera allé.
Cool : C'est une façon d'aller à la rencontre d'un nouveau public ?
Jean-Jacques Goldman : Non, franchement c'est pour faire plaisir aux musiciens. Moi, ça m'est un peu égal, alors on va y aller pour le plaisir, pas dans l'esprit de faire carrière. Si on a un bide là-bas, tant pis. On ne sera pas content mais on y va surtout pour le voyage, pour voir d'autres horizons. Si ils n'en veulent pas, on la remettra dans notre soutane... (rires). Ensuite, on va faire huit dates en France en plein air, des arènes, des stades... Fin septembre, on retourne au Canada. En octobre, on termine la tournée en France et je pense que fin octobre ou début novembre on va la terminer définitivement vers la Polynésie, histoire de faire escale à Los Angeles et rentrer avec un bon souvenir.
Cool : En quatre albums, tu es un peu installé. Tu fais partie de la vie de certaines personnes…
Jean-Jacques Goldman : Je crois que les chansons font vraiment partie de la vie des gens. C'est vraiment un des vecteurs d'émotion qui est le plus simple, mais auquel les gens sont le plus attachés. Des chansons comme 'Prendre un enfant par la main' de Duteil sont vraiment des chansons avec lesquelles les gens vivent.
Cool : Il y a des choses que tu aurais envie de dire, des sujets dont tu aurais envie de parler et que tu laisses dormir parce que ça risquerait d'étonner ou parce que ce n'est pas le moment ?
Jean-Jacques Goldman : Oui. Tout simplement, ce sont des chansons que je trouve trop personnelles par exemple, ou je me dis que ça n'intéresserait pas les gens. Des choses trop d'introspection, trop autobiographiques.
Cool : Quand on fait ce métier, On évite un peu de se regarder, de trop se fixer sur soi ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, je crois Que c'est un danger parce qu'on a vraiment tendance à tout ça. Toute la journée, il y a des gens qui nous posent des questions sur nous. On parle de soi sans arrêt. Tous les gens nous regardent. Alors d'ici à ce qu'on pense qu'on est effectivement le centre du monde, il n'y a qu'un pas qu'il faut essayer de ne pas franchir. Et dans les chansons, on a aussi cette tendance là, à se raconter de plus en plus. Alors, je pense qu'il faut se souvenir de temps en temps qu'il faut faire des chansons qui puissent intéresser les gens et pas simplement des choses utiles pour les psychanalyses personnelles.
Cool : Après un concert des dizaines de personnes vont penser à toi. C'est une chose à laquelle tu penses ?
Jean-Jacques Goldman : Je suis conscient qu'on va penser les uns aux autres. Je sais qu'il y en a qui vont penser à moi et moi, je pense à eux aussi. Je sais qu'on est chacun chez soi, qu'on aurait probablement des choses à se dire et qu'on ne va pas se les dire. C'est comme ça. C'est plus douloureux que dans la vie de tous les jours parce que là on s'est quand même dit pas mal de choses et parce qu'on s'est donné envie de se parler. Avec les réactions qu'ils ont eu, j'ai parfois envie d'en savoir un peu plus et pour eux c'est pareil.
Cool : C'est un peu une torture pour les uns et pour les autres alors ?
Jean-Jacques Goldman : Ce sont des actes manqués. Il y en a pleins d'autres. Il y a plein de gens qu'on rencontre comme ça. On échange deux, trois mots et puis on se dit au revoir parce que c'est comme ça. Plus tard, on se dit 'finalement, j'aurais bien aimé en savoir un peu plus', mais c'est trop tard...
Cool : Tu as l'impression que tes rapports avec les gens se sont transformés, qu'ils sont un peu faussés ?
Jean-Jacques Goldman : Oui.
Cool : Tu hésites quelquefois à parler à quelqu'un en te demandant s'il répondra à Goldman ou à Jean-Jacques ?
Jean-Jacques Goldman : Oui. Ça c'est vrai. Les rapports avec les autres changent, même si toi tu ne changes pas, les autres changent, soit en agressivité, soit en timidité... C'est assez difficile d'avoir des rapports sains, normaux avec les gens. Soit on se laisse submerger et c'est une absence de rapports. Ce n'est pas en signant des autographes que tu discutes avec les gens. Des fois, je ne vois même pas leurs visages, je suis là, je signe et c'est tout... Soit c'est une absence de rapports parce que tu te protèges, tu as quatre gardes du corps et tu vois tout le temps les mêmes têtes. C'est pour moi, le comble de la misère ça. Alors. il faut tricher un peu. On y arrive mais c'est difficile.
Cool : Si c'était à refaire, tu recommencerais ? Il y a des choses que tu ne referais pas ?
Jean-Jacques Goldman : Je ne sais pas. Il faut voir comment ça va évoluer, si vraiment j'ai fait des erreurs. Ça dépend pas tellement de moi mais de la réaction des gens. J'espère surtout que la vie normale va être encore possible. Je le souhaite…
Retour au sommaire - Retour à l'année 1986