Goldman à la folie...
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Goldman à la folie...
Voix du Nord, 26 avril 1986
Jean-Marie Sourgens
Retranscription de Benjamin Broucke
Pas un public, ni une foule, un moutonnement de têtes, de bras tendus, une marée humaine. Ou plutôt une forêt ondoyante illuminée par la flamme des briquets. Pas une salle comme il y a deux ans au Palais des Congrès, un espace où l'on se retrouve debout, au coude à coude, au corps à corps, par milliers, comme un gigantesque mille-pattes électrisé par le rythme. Pas non plus un spectacle, ni un show, mais une communion amicale, fraternelle, une complicité collective de feu de camp, de jamborée, de fête nocturne où l'on vient revivre et surtout chanter ensemble ses rêves et ses amours adolescents.
Pas un chanteur à la mode comme bien d'autres, ni une idole-météorite comme quelques-uns, mais bel et bien une star française du rock - enfin, il était temps ! - qui vous tutoie l'âme et le cœur de sa guitare électrique comme une caresse avant de vous boxer les entrailles de la voix, à vous en laisser K.-O. sur le tapis.
Déjà une "idole"? Peut-être, quand on boit sur les lèvres de quelqu'un, ses paroles, si on a l'air de ne plus pouvoir se passer de ses mots, de sa musique, de son rythme, de sa respiration même pour se reconnaître, exister vraiment, s'agit-il d'idolâtrie ?
C'était, hier soir, à Lille, ce qu'il faut bien appeler quand même le premier concert de Jean-Jacques Goldman. Sur scène, un curieux décor métallique avec deux bobines qui tournoient et des écrans où se projettent des figures géométriques multicolores, des scènes et des personnages en noir et blanc, une vidéo d'un spectacle du même Goldman en gros plan. Les inévitables fumigènes. Une fantastique sono, des éclairages pas trop racoleurs, précis, efficaces.
Un orchestre, ramassé, corsé, ravageur, avec une rythmique décapante, des cuivres éclatants. Et puis le chanteur, cet élégant jeune homme bien sage avec une fraise éclatée, sa guitare au travers du jean. Sa voix au timbre clair, frais, limité quant au registre, un peu tricheur en fausset, mais qui découpe les mots au carré et catapulte les notes franchement, sans frimer. Avec du romantisme quand il faut faire planer et de l'électrochoc pour l'exaltion, tout cela bien dosé, en vrai "pro".
Les chansons, ce public les connaît aussi bien que lui, il n'en boule pas une strophe. Même les nouvelles, il les a apprises par cœur pour lui offrir une chorale. Goldman n'a pas de bile à se faire. Il effeuille son agenda de souvenirs, de confidences, de succès, avec le geste économe, métronome, pour capturer, un instant après l'autre, le temps qui passe.
Et la foule chaloupe, défaille, s'enflamme, envole.
Au rock-nature de l'anarcho Renaud, Goldman oppose le rock-couture d'un gentil cover-boy. Et avec sa muse électronique, on aime son rock fleur bleue. Un peu ? Beaucoup ? Passionnément ? Hier soir, à la folie !
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