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Tirez pas sur le guitariste
([Publication inconnue], octobre 1986)

Tirez pas sur le guitariste
[Publication inconnue], octobre 1986
Caroline Laurent
Retranscription de Anne Lambert

“Une voix de castrat endimanché”, “le B.H.L de la ritournelle”, “une voix difficilement supportable”, “le rocker mou pour qui l’essentiel du jeu de scène consiste à relever les manches de sa veste au-dessus des coudes”… Voici un petit échantillon des gentillesses et autres douceurs qu’ont réservées les critiques spécialisées à Jean-Jacques Goldman lors de sa dernière tournée. Et la liste n’est pas exhaustive ! Pas étonnant que l’idole des quatorze – dix-huit ans refuse les tête-à-tête journalistiques ! “Chat échaudé…” Il faut avouer qu’on a rarement vu tel déversement de fiel envers un chanteur populaire. C’était carrément “Tir groupé” et “Tir à vue” ; son jeu de scène "inexistant", ses textes "des bluettes à l’eau de rose", sa musique “boum-boum-badaboum et on remet ça”, son look “barricades- branché-négligé”, et sa prestation scénique comparable au “bombardement de Dresde, sirènes d’alerte en moins”… Et pourtant, il s’accroche à sa guitare, hoche la tête et martèle du pied gauche en cadence, fort d’un succès auprès du public qui ne cesse de s’accroître. Avec un million cent mille exemplaires vendus de “Je te donne”, et quatre albums “disques d’or”, il est régulièrement dans le tiercé des meilleures ventes françaises au top 20 et 50. Capable aussi de remplir le Zénith dix-huit jours consécutifs sans campagne publicitaire alléchante. Adulé par les gamins des “Minguettes” ou les élèves sages du “Couvent des oiseaux”, snobé par les intellos et autres purs et durs de la culture rock.

On critique, on descend en flèche le chanteur et on connaît mal l’homme. Peu prolixe sur sa vie (pour son œuvre, voir plus haut les réactions journalistiques), il a coutume de répéter : “Ma vie est normale. Mon enfance est normale. Je suis normal”. Tout de même, pour une fois qu’on a affaire à un “rocker” (si, si !) exempt de tout débordement sulfureux ! C’est vrai qu’il est sympa, Goldman, et qu’il ne se répand pas en messages philosophiques et idéologiques, qu’il garde sagement sa chemise sur scène et qu’il reste toujours très poli. Et alors, franchement, qui ne s’est pas surpris à fredonner le tube franco-gallois de l’hiver dernier ? Pudique, timide ou blessé, peut- être, il ne se laisse toutefois pas démonter et s’offre en guise de clin d’œil-revanche une pleine page dans les journaux avec, au milieu, des vacheries imprimées, le seul “Merci d’avoir jugé par vous-même” destiné à son public. J’en connais d’autres qui seraient allés pleurer dans les robes de leurs avocats…

Bon, il fait un peu “col blanc” de la chansonnette ? Discrétion toujours : il a préféré aux dentelles de Prince ou au cuir des rejetons d’Elvis, ses années de galère dans les bals du samedi soir, son aventure avec le groupe Taï Phong et les nuits blanches dans les studios d’enregistrement. A trente-cinq ans, le leader de la nouvelle génération des chanteurs français aura tout de même attendu un bout de temps les bravos. Tout cela à cause d’Aretha Franklin qui provoque le déclic chez cet adolescent, fils de réfugiés juifs d’Europe de l’Est, qui, soudain, abandonne violon et études commerciales pour la guitare et le vinyl. L’essentiel est que ça marche, que les ados accrochent au texte des chansons des “Restos du cœur” ou de “Chanteurs sans frontières”, qu’ils reconnaissent en lui le grand frère ou le copain sympa. Tant pis pour les excités de la plume amère. Lui revendique en douceur, mais fermement, des origines musicales anglo-saxonnes et ne renie pas honteusement un petit ton “variétés commerciales”. Depuis ses débuts, il n’a pas changé, avec toujours l’unique désir de “s’éclater”, de faire de la musique, tout simplement. Bon père et bon mari, bon copain, bon fils, et pourquoi pas bon chanteur ?


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