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"Jean-Jacques Goldman, Hit, hit, hit, hourrah !"
([Publication belge inconnue], 1986)

"Jean-Jacques Goldman, Hit, hit, hit, hourrah !"
[Publication belge inconnue], 1986
Bernard Meeus
Retranscription de Marie-Laurence Cuvillier

Il s'adonne à la varappe dans les hit-parades. Et cause un malheur partout où il passe. Il marche seul, mais il marche très fort. Il donne un sacré tonus à la chanson française et marie le rock avec la langue de Molière. Et pourtant en rue, il passe dans la masse car le fait de s'appeler Jean-Jacques Goldman ne le fait pas marcher à côté de ses baskets. A Forest-National, les 29 et 30 avril et le 1er mai, il jouera pour 20 000 inconditionnels qui se sont rué pour ne pas rater "ça"...

"ça" c'est un spectacle enlevé avec une pêche d'enfer. Sur fond de gigantesque chaîne stéréo, avec tape-deck-fenêtre sur cour, diodes luminescentes et enceintes acoustiques démentielles, Goldman a rempli le "Zénith" durant trois semaines. Sans promo artificielle (on ne cite pas de nom par charité), en se permettant même de réunir les critiques les plus désastreuses à son sujet dans une double page du programme vendu en salle, en misant simplement sur le tam-tam. Cent mille fans ont ainsi suivi leur instinct, celui qui leur dicte que Goldman ne bluffe pas, que son titre de superstar (qu'il récuse pourtant en toute simplicité), il ne l'a pas volé.

Et de fait, après deux heures où il s'est surpassé, quand il quitte la salle en douceur, sur l'air de "Confidentiel", sans rappel automatique ni écho bravache du public accédant ainsi à son désir de se séparer sans frimer, on sort sous le choc.

Les fossoyeurs de la chanson peuvent donc aller se rhabiller. Eux qui versaient des larmes de crocodiles sur les aînés jamais remplacés en sont réduits à filer dare-dare chez leur disquaire pour remettre à jour leurs connaissances.

Car Jean-Jacques Goldman ne se taille pas que des succès de foule, il pèse aussi un certain économique (un corollaire moins évident qu'il y paraît à première vue). Ce qui, aux yeux d'une industrie discographique agonisante, lui donne des airs de poule aux œufs d'or.

Un tube, sinon rien ! "Quand la musique est bonne", "Au bout de mes rêves", "Envole-moi", "Je marche seul", "Je te donne"... Goldman est abonné aux tubes comme d'autres à la lanterne rouge. Lui, il mène, un peu étonné de toute cette effervescence, en donnant l'impression de ne pas trop piger comment il en est arrivé là, dépassé par cette inflation autour de sa personne.

Jeans élimé et chemise de grand-père, sourire désarmant, doux comme un agneau et surtout abordable (à l'inverse de beaucoup d'habitués du Top 20 et 30, persuadés de sortir de la cuisse de Jupiter), Super-Goldman a estampillé son dernier album du label "Non homologué", mais l'auteur-compositeur-interprète sait bien qu'il a reçu depuis longtemps son certificat de validation d'un public sans cesse croissant, galvanisé par sa fougue et touché par son naturel.

Bernard Meeus : Tu sembles avoir une nature réservée. C'est pour ça que tu as écrit "Les chansons sont souvent plus belles que ceux qui les chantent" au dos de ton dernier album ?

Jean-Jacques Goldman : Très souvent, les gens se font une image quasi immaculée de vous. Où l'on est disponible en permanence, rarement indifférent, toujours altruiste ! Mais cette vision est trompeuse parce qu'on met dans les chansons ce qu'on aimerait être, ou à la limite ce qu'on est quelquefois. On fait abstraction du quotidien, du côté banal. Un chanteur peut avoir un sale caractère ou une mauvaise haleine le matin en se levant. Dans une de mes chansons, "Compte pas sur moi", je me moque d'ailleurs un peu de ceux qui sacralisent et qui mythifient, des fausses insolences du chanteur engagé qui prétend transformer le monde et ne change rien du tout.

Bernard Meeus : Tu te dis semblable à l'homme de la rue et tu réfutes le qualif de star...

Jean-Jacques Goldman : Ce sont les gens sans histoires qui me touchent le plus, car j'ai été de leur bord pendant très longtemps. Jusqu'à trente ans, j'ai vécu dans l'anonymat le plus complet (NDLR : il vendait des articles de sport dans le magasin de son frère). Personne n'est indispensable. Le reconnaître, c'est être lucide. En fait, ma vie, tout le monde aurait très bien pu s'en passer. Est-ce que ma femme aurait été moins heureuse si ne j'avais pas existé ? Elle aurait vécu autre chose, c'est tout. On retombe dans l'histoire de Jean-Louis Bory sur la moitié d'orange. Selon lui, sur terre, il y a une autre moitié qu'il retrouvera forcément un jour. Moi je n'y crois pas. Pour le côté star, j'ai l'impression que c'est un peu démodé, non ? Les gens n'en ont plus besoin pour fantasmer. Ils apprécient davantage quelqu'un pour ce qu'il fait que pour ce qu'il représente.

Bernard Meeus : Mais tu as tout de même mis ton poids dans la balance pour l'Ethiopie et pour "Les restaurants du cœur". Ces deux disques, l'un avec "Chanteurs sans frontières", l'autre avec Coluche, Montand, Drucker et Nathalie Baye, c'est engager son nom !...

Jean-Jacques Goldman : Mais je trouve ça dramatique. Ça ne devrait pas être notre boulot mais celui des autorités. Hélas, les faits sont connus. On ne peut plus les ignorer. On est spectateur tous les soirs, donc on n'a plus l'excuse de ne pas être au courant de tous les malheurs du monde. Je pense aussi que la situation n'a pas empiré mais que les médias, par contre, se sont beaucoup améliorés. Engager son nom, tu dis, mais les chanteurs ont un pouvoir très limité sur les gens. Ce n'est pas faire preuve de fausse modestie que de le reconnaître.

Bernard Meeus : N'empêche, fréquenter les hit-parades t'assure une influence, non ?

Jean-Jacques Goldman : Peut-être, mais la notoriété n'a jamais été un désir personnel. Mon ambition, c'est de me réaliser à travers la musique et tant mieux si elle plaît. Mon but n'a jamais été de jouer pour des curieux ou pour convaincre. Au contraire, je m'adresse à ceux qui connaissent bien mon répertoire. Cela dit, il faut aussi avoir l'envie de vaincre et de gagner. J'apprécie cette qualité chez les gens. C'est comme pour la scène. Je n'en rêvais pas. Elle me faisait même plutôt peur. Mais, quand on y va, c'est à fond. Ce qui implique d'offrir le maximum pour se montrer à la hauteur de l'attente des gens. C'est une chance inouïe... et une terrible responsabilité de faire un spectacle pour tant de monde.

Un signe prometteur

Jean-Jacques Goldman a vraiment décollé en 81 avec "Il suffira d'un signe". Ses rythmiques inspirées du rock F.M., ses paroles qui volent, et son air de famille avec la "swatch-génération" font bouillir la marmite du succès. C'est dans la poche. Il récolte ainsi ce qu'il a semé depuis un moment.

Jean-Jacques Goldman : En fait, j'ai appris le violon jusqu'à 15 ans (NDLR : il en joue sur scène). Puis j'ai fait partie de petits groupes. Finalement, la musique a pris le pas. Mes parents me poussaient à poursuivre des études commerciales. Ce qui m'obligea à m'inscrire en fac de socio pour brosser les cours des deux côtés et aller répéter.

Bernard Meeus : A force de jouer, tu rentres dans "Taï Phong" et tu décroches le gros lot avec "Sister Jane". Tu n'as d'ailleurs pas oublié cette époque, en invitant le groupe sur scène...

Jean-Jacques Goldman : Faut ajouter que j'étais un élève moyen, très anodin même. Un de mes anciens profs a d'ailleurs confirmé récemment dans une émission de radio qu'il ne se souvenait pratiquement pas de moi. Pour "Taï Phong", ça me paraissait tout-à-fait normal de les faire venir.

Bernard Meeus : D'autant plus que tu ne t'es jamais séparé de Michael Jones...

Jean-Jacques Goldman : On est inséparables et on a toujours chanté ensemble. Aujourd'hui, c'est "Je te donne" mais demain, ce sera lui tout seul avec "Guitar Man", son premier disque à lui. On se comprend bien. C'est une question d'état d'esprit. Même avec les autres musiciens. Ils doivent être heureux de se trouver là et ne pas se contenter de toucher leur cachet. On vit ensemble pendant un an, tout le temps. S'agit que ça colle.

Bernard Meeus : Si tu te sens parfaitement à l'aise en musique, par contre tu n'es pas très visuel. Toujours ce côté effacé compensé par l'amitié de Bernard Schmitt, fidèle parmi les fidèles ?

Jean-Jacques Goldman : J'ai toujours été handicapé au niveau de l'image. C'est donc Bernard qui s'occupe de concevoir les pochettes, le décor hi-fi du spectacle et de réaliser les clips (NDLR : dont "Américain" tourné à Bruxelles voici deux ans) car je suis totalement inapte pour la comédie. Mieux vaut qu'il me conseille, car je suis effectivement très peu réceptif à tout ce qui est visuel. Je suis insensible à un tableau. D'ailleurs, je suis incapable de distinguer un bon peintre d'un mauvais. Je n'ai jamais été ému par un paysage. Je déteste les musées. Tout comme de m'extasier devant un coucher de soleil. En fait, je ne suis jamais aussi remué que par la musique ! Par contre, grosse exception, j'aime la photo, à cause de la vie qu'elle emprisonne. Elle est vivante, et en ce sens, elle me touche beaucoup. Mais cela provient davantage de sa signification que de sa beauté. C'est mon caractère : je suis sensible aux visages mais pas aux cartes postales !

Bernard Meeus : Tu as une prédilection pour les rapports humains, non ?

Jean-Jacques Goldman : C'est primordial. Moi, je n'ai jamais été attaché à une maison ou à un objet, ni même à une guitare ; mais à des tas de gens, si !

Tout sauf nul !

Les pieds sur terre et une tête bien faite plutôt qu'une tête bien pleine, Goldman ! Lui qui gagne de l'or en barre n'a pas modifié sa vision des choses. Il prend position en se gardant bien de lancer des formules-choc. "Je ne suis pas du genre à gueuler "Racisme, le peuple aura ta peau !" On peut en parler autrement, non ?".

Parmi les chanteurs avec lesquels il se sent des atomes crochus, comme Michel Berger, feu Daniel Balavoine ou Francis Cabrel, il occupe une place plutôt enviable.

A 35 ans - "Je me connais de mieux en mieux à force de me pratiquer" - il se sent suffisamment fort pour ne pas se laisser piéger par le miroir aux alouettes du star-system. Avec ses trois enfants, âgés de un à neuf ans, aux côtés de sa femme, psychologue, il continue de vivre comme si de rien n'était. Il chante la peine de cœur, l'ineptie des idées reçues l'amitié. Des thèmes usés à force d'avoir servi, "mais, ajoute-t-il, il faut avoir vécu certaines choses pour trouver les mots justes pour en parler". Et pourtant, peut-être parce qu'il se fond dans la génération des 30-40 ans, celle des Renaud, Jonasz ou Souchon, qui n'hésitent pas à offrir un supplément d'âme, il tétanise un public qui lui aussi a mûri. Vous pouviez toujours essayer, au temps des tomates et des œufs pourris balancés à la tête des artistes chouchous des années soixante, de terminer un concert en douceur, "sans que l'un ait l'impression de lâcher l'autre", comme l'explique Goldman. Lui, il y arrive, parce que la salle et l'interprète sont sur la même longueur d'onde, et parce que le sentiment de s'être compris vaut tous les applaudissements...

Parce qu'il alterne chaleur communicative et énergie brute. Parce qu'il ne tire pas la couverture à lui, laissant ses musiciens en terrain découvert. Et les jeunes, pris en sandwich entre un individualisme forcené (ex : pour le boulot, chacun pour soi) et une franche solidarité (ex : "Touche pas à mon pote"), apprécient sans doute son style direct. Les chanteurs qui planaient à des années- lumière des préoccupations (et des émotions) du public sont aujourd'hui mis au rencart. Goldman en a bien conscience.

On nous a reproché, s'insurge-t-il, à moi et aux "Chanteurs sans Frontière" de n'agir que pour la misère du bout du monde. C'est vrai qu'on en voit aussi beaucoup par ici. Et si l'occasion m'est donnée de faire un geste, je le ferai !

Peu de temps après cette déclaration, il participait aux "Restos du cœur", un 45 tours presque dansant, pragmatique en tout cas. Car pour récolter des fonds, il fallait bien concevoir un truc entraînant (vous achèteriez, vous, un disque barbant, même par souci humanitaire ?...)

L'image de Goldman se superpose à cette action : un mélange dynamique de volonté et de modestie. Il agit à son niveau, avec pour tous moyens une six-cordes et un refrain mis au service d'une action valable, sans pour autant emboucher les trompettes de l'autosatisfaction.

J'ai peur car je suis sûr que je ne peux que décevoir ceux qui en viendraient à me connaître vraiment, s'inquiète-t-il.

Au fait, tout cette aventure survenue depuis à peine cinq ans, on n'appellerait pas ça un heureux avènement ?...

[légende photo] : Avec Michael Jones, complice de ses débuts, Jean- Jacques Goldman interprète "Je te donne". Une preuve chantante de son sens de l'amitié.


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