L'idole des lycées
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L'idole des lycées
Le Monde, 13 juillet 1987
Jean-Louis André
Retranscription de Monique Hudlot
Ses chansons parlent de jours qui piétinent, de matins pour rien, d'envolées magiques qui narguent la fatalité et l'ennui. Goldman aime bien les grands mots et les bons sentiments. Coups de batterie assassins, saxos qui gémissent, guitares qui trainent, de préférence dans les aigus : une espèce de Sardou réorchestré rock pur et dur, un pont, comme en avaient jeté avant lui Johnny Hallyday (pour qui il a d'ailleurs composé) et Renaud, entre la bonne vieille chanson française et les délires des kids made in USA. A vivre "quand la musique est bonne".
Bonne, l'est-elle vraiment? En quatre albums, cet ancien élève sérieux des classes préparatoires a eu le temps de peaufiner son image, d'y rajouter, même, les angoisses de l'artiste qui s'épuise. "J'ai vraiment l'impression de n'avoir plus rien de nouveau à apporter, d'être dans une phase descendante", déclarait-il récemment. Les critiques, qui ne l'aiment pas, se le "paient" régulièrement, à titre d'exercice de style. Dans son dossier de presse, on relève toutes sortes d'amabilités du genre : "beau comme un chou-fleur de Bretagne", "le BHL de la ritournelle", "une voix de castrat endimanché". Patrice Delbourg se déchaine : "Tous les hommes sont nés chanteurs, sauf quelques chanteurs; Goldman est de ceux-là". Facile d'ironiser sur le sourire trop sympa de ce bon fils-bon père de famille, sans signes particuliers de déglingue, bardé de cuir comme un étudiant qui s'encanaille plus que comme un vrai de la zone.
Et pourtant, le succès est là, presque à tous les coups. Plus d'un million de disques vendus avec "Je te donne", dix-huit jours au Zénith en décembre dernier, des fans dans toutes les cours de récréation. Un pied de nez à ceux qui pariaient sur l'éphémère, le joli coup sans avenir : les autres vivent d'éternels premiers disques, il s'installe, lui, dans la durée.
Le physique aide, c'est vrai. Teint mat, visage émacié et regard un peu gamin, entre Gérard Lanvin et Richard Berri, il a tout pour faire craquer les adolescentes, mais ça ne suffit pas. Il doit bien y avoir autre chose : la fragilité de la voix, qui force, se brise, et rappelle un peu celle de Balavoine, l'autre idole des lycées ; l'efficacité des paroles, qui ressortent, avec des mots chocs, des trucs qui serrent le coeur, vieux comme le monde, mais qu'importe ? On n'est pas là pour la poésie. Sur scène, il décline toute la gamme des élans généreux : la révolte des rêves, la mélancolie d'une femme qui trompe son ennui en nourrissant les pigeons, la tragédie d'une petite fille des ghettos de Varsovie victime des nazis. Marketing direct sur l'émotion. Sortez vos mouchoirs !
La grande réussite, pourtant, c'est de faire vibrer, pleurer sans en avoir l'air, sans jamais pleurnicher soi-même dans le micro. Goldman, c'est fait surtout pour bouger, danser, refaire le monde le poing levé le temps d'un concert. Il n'y a peut-être pas grand-chose derrière, mais les variétés avaient sans doute besoin de ses chansons à hurler.
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