Cassette audio, coffret FGJ
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Cassette audio, coffret FGJ
Novembre 1990
Philippe Robin
Philippe Robin : Jean-Jacques Goldman, bonjour. Nous allons faire avec vous connaissance avec votre nouvel album qui vient de sortir et qui finalement n'est pas votre album mais l'album de trois personnes : de Carole Fredericks, de Michaël Jones et de vous même.
Jean-Jacques Goldman : Oui, c'est un album trio, c'est-à-dire que toutes les chansons sauf une sont chantées à deux ou à trois. C'est un album de moi dans le sens où j'ai écrit toutes les chansons mais ça peut s'apparenter à ce qui se passe dans certains groupes où il y a plusieurs interprètes et une personne qui a écrit les chansons.
Philippe Robin : C'est pas trop déroutant ça pour votre public habitué, pour ceux qui sont des fans de Jean-Jacques Goldman, de se retrouver avec maintenant des schémas différents et trois artistes au même niveau. C'est pas un petit peu déroutant pour eux ?
Jean-Jacques Goldman : Je n'en sais rien. A priori ce n'est pas ce qui m'a dicté ce choix. En fait, c'est un choix qui est venu naturellement. Il me semblait que pour moi, dans la démarche que j'avais, dans les envies que j'avais, j'avais plus envie de refaire un album. Là j'en suis à cinq albums, dont un double ce qui fait soixante chansons. J'avoue faire les soixante à soixante-dixième, j'aurais eu l'impression un petit peu de me répéter. Le fait de les avoir rencontrés, tout ce qui s'est passé sur scène entre nous, les mélanges de voix et tout ça, c'est quelque chose qui m'intéressait. Et les compositions portent un peu l'empreinte de ces rencontres. Donc c'est avant tout une démarche personnelle. Ensuite si les gens suivent ou pas, ça, franchement je sais pas.
Philippe Robin : C'est aussi une façon pour vous de vous reculer un petit peu, de ne pas être la vedette cette fois-ci mais d'être un petit peu au sein d'un groupe ?
Jean-Jacques Goldman : Ça aurait voulu dire que quand j'ai commencé à chanter tout seul, c'était une façon de me mettre en avant, ce qui n'était pas le cas non plus. C'était aussi un concours de circonstances qui faisait qu'une période groupe s'était terminée et que j'avais plus envie de repartir dans ces galères là. Non, je crois que c'est simplement des décisions d'ordre musical et d'envie qui sont tout à fait liées d'ailleurs parce que très souvent on ne fait pas de la bonne musique quand on n'a pas envie de faire ce qu'on fait. Il ne faut pas aller chercher plus loin, je crois.
Philippe Robin : Avant de s'intéresser aux nouvelles chansons de cet album, on va s'intéresser un petit peu aux interprètes. On va essayer d'avoir un portrait de Carole Fredericks et de Michaël Jones, parce que c'est vrai qu'on les connaît un peu derrière vous, maintenant on va les connaître au même niveau. Alors, il faut nous les présenter un peu. Carole Fredericks d'abord....
Jean-Jacques Goldman : Carole Fredericks est née à Springfield dans le Massachusetts. Elle est arrivée en France, je crois en 1979. Elle jouait dans des groupes de gospels et elle est restée en France. Elle est devenue ce qu'on appelle " les musiciens de studio ", c'est-à- dire des gens qui ont des capacités techniques extraordinaires, qui sont employés par tous les autres artistes et tous les studios. Voilà, on l'a vue derrière beaucoup de chanteurs et moi je l'avais rencontrée à une occasion comme ça et je lui avais demandé de venir avec nous sur scène en 1986. Maintenant cela fait presque 4 ou 5 ans qu'on travaille ensemble, et de plus en plus j'ai appris à découvrir non seulement la voix qui est déjà assez phénoménale mais aussi le personnage qui est plein de générosité et de fantaisie... enfin, c'est aussi un personnage de scène avant tout.
Philippe Robin : Michaël Jones, c'est le complice de toujours ?
Jean-Jacques Goldman : De presque toujours, puisqu'on s'est rencontrés en 1977-78. Il est né au Pays de Galles. Je crois qu'il est arrivé en France il y a 15-20 ans et pareil en jouant dans un groupe, il a été séduit par le pays. Donc, lui c'est pareil c'est à peu près la même démarche. C'est avant tout un guitariste, tout en étant un très bon chanteur, mais il a surtout vécu en étant musicien de bals, de cabarets, de studios. Ensuite, on s'est rencontré dans le groupe Taï Phong et depuis je travaille avec lui sur scène et sur disque.
Philippe Robin : On va découvrir cet album avec 10 chansons... J'ai envie de dire que 10 chansons, c'est pas assez. Parce que maintenant, avec la technique moderne, on peut faire sur des CD 13 ou 14 chansons et puis que 10...
Jean-Jacques Goldman : Oui, mais j'ai jamais eu une grosse production... j'ai du mal ! Parfois, j'entends des chanteurs dire qu'ils ont 200, 300, 400 chansons de côté et j'ouvre les yeux extrêmement admiratifs de ça. Moi, j'ai vraiment du mal à faire 10 en trois ans... donc ça me paraît suffisant en ce qui me concerne !
Philippe Robin : Alors première chanson, je sais pas si elles vont être dans l'ordre, mais on va les prendre comme ça : " Je l'aime aussi ", chanson où vous chantez à trois. Dans cet album, il n'y aura qu'une chanson, on va le voir tout à l'heure, où vous chantez tout seul. " Je l'aime aussi " ?
Jean-Jacques Goldman : Elle est assez représentative finalement de l'album dans le sens où on chante tous les trois, on se répond... ça fait presque un peu comédie musicale. Je me souviens de cette chanson avec beaucoup de temps passé sur le son du rift de guitare où on empilait une guitare claire électrique, une guitare très saturée et une guitare acoustique. Je me rappelle du solo de guitare du milieu où on joue Michaël et moi qui nous a bien plu, et puis la partie de cuivres de la fin donc avec les Kick Horns, une section de cuivres de Londres, qui est venue deux, trois jours avec nous.
Philippe Robin : Une section que l'on retrouve d'ailleurs sur d'autres chansons, comme la deuxième : " Chanson d'amour ", beaucoup plus calme.
Jean-Jacques Goldman : Oui, ils jouent aussi, il y a tout un passage. Il y a assez peu de solo de sax et de cuivres dans cet album, bizarrement, je sais pas pourquoi. Mais, par contre il y a beaucoup de travail de sections. " Chanson d'amour " ? Là, on chante jamais ensemble c'est-à-dire qu'on chante les uns après les autres, chacun a son couplet. A la fin, pareil on se parle un peu, on se répond.
Philippe Robin : C'est une chanson très triste. Il y a un climat comme ça de clowns tristes ou de films italiens dans cette chanson.
Jean-Jacques Goldman : Le texte, lui-même, est absolument épouvantable... c'est la chanson la plus terrible qui ait jamais été écrite sur l'amour, très probablement !
Philippe Robin : Arrive ensuite " A nos actes manqués " avec un rythme tout à fait nouveau. On s'attendait pas à ça.
Jean-Jacques Goldman : C'est venu un peu par hasard. Il y a un rythme un peu antillais là-dedans, ce qui est vraiment très loin de ce que j'aimais au départ jusqu'à ce que j'aille aux Antilles où je commence un peu à comprendre un peu ça. Ça vient pas trop de moi, parce que quand j'ai composé la chanson, elle avait pas ce rythme là car c'est pas un rythme que je ferais naturellement. Par contre, j'ai beaucoup travaillé avec un jeune arrangeur qui a fait tous les claviers et les programmations rythmiques, qui s'appelle Erick Benzi. Il a travaillé longtemps dans des studios spécialistes de musiques antillaises, donc c'est lui qui a eu l'idée un petit peu de donner cette empreinte. Cette chanson lui doit beaucoup.
Philippe Robin : Et vous avez accepté l'idée pourquoi ? Parce que c'est dans l'air en ce moment de jouer des chansons très rythmées, très ensoleillées ?
Jean-Jacques Goldman : C'est sûr que le fait d'en entendre beaucoup doit probablement influencer, mais pas au niveau du conscient... Inconsciemment, je me suis rendu compte que cette chanson pouvait tourner comme ça et que ça nous donnait du plaisir à la chanter comme ça. Mais cela a été bizarre pour Michaël et pour moi de chanter sur un rythme pareil !
Philippe Robin : On parlait tout à l'heure de comédies musicales, d'ambiance de comédies musicales. Dans la chanson " Peurs " c'est complètement ça : c'est trois personnes qui discutent entre elles... c'est un petit peu une discussion de bistrot ?
Jean-Jacques Goldman : C'est un peu ça, oui. C'est une chanson qui ne peut être chantée qu'à trois, donc qui est tout à fait justifiée dans ce sens là. Moi, j'aime bien l'intro de guitare de départ, il y a les choeurs africains dedans aussi. Et puis le texte, toutes ces rumeurs qui se passent dans les grands ensembles : tiens, telle personne n'a pas ouvert ses volets aujourd'hui ou alors on a vu la voiture d'un tel garée à tel endroit, qu'est-ce qui se passe etc... Enfin, toutes les rumeurs qui peuvent se passer un peu partout, d'ailleurs.
Philippe Robin : Vous avez été victime de rumeurs ces dernières années, autour de vous ?
Jean-Jacques Goldman : Non, pas plus que d'autres. Probablement... Pour être au courant des rumeurs, il faut qu'elles nous reviennent. Elles ne me reviennent pas, donc je suis pas trop au courant de ces choses là. Mais par contre, je sais qu'il y a des gens qui sont de véritables victimes.
Philippe Robin : La première chanson extraite de cet album, c'est " Nuit ", chanson calme, chanson velours. Il était évident pour vous dès le départ que cette chanson devait être le premier 45 tours, devait être la carte de visite ?
Jean-Jacques Goldman : Non, ça a été un choix très difficile à faire et très long. Je crois qu'il n'y avait aucun titre qui se détachait vraiment très nettement de cet album, dans le sens où on les aimait tous. Il y avait toujours trois personnes qui étaient pour tel titre, trois personnes pour tel titre, trois personnes pour tel titre etc... Donc il a fallu choisir et je crois qu'on a choisi le dernier jour que ce soit celle là, mais sans raison vraiment très précise.
Philippe Robin : On choisit comment ? On choisit d'après l'ambiance du moment, d'après l'époque où la chanson va sortir, si c'est en été ou en hiver, ou d'après quelque chose... presque de la superstition quelquefois ?
Jean-Jacques Goldman : Non, là ce qui a guidé peut-être le choix, ça a été de se dire quelle chanson pouvait représenter assez bien ce qui se passe dans cet album. C'est un album qui est vraiment basé sur les voix et les guitares et donc on a pensé que celle-ci, et la face B qui est " Je l'aime aussi ", pouvaient bien montrer ce qui s'y passait. En fait, le choix d'un 45 tours, c'est le choix d'une vitrine. On ne peut pas tout mettre en vitrine mais on essaie de dire, voilà c'est à peu près ce qui se passe à l'intérieur.
Philippe Robin : Vous êtes superstitieux ?
Jean-Jacques Goldman : Non, pas du tout.
Philippe Robin : Rien, aucune chose qu'il ne faut pas faire en votre présence ou aucune chose que vous faites systématiquement sur scène ou en studio ?
Jean-Jacques Goldman : J'ai probablement tendance à passer plus souvent que les autres sous une échelle ou à donner des coups de pied aux chats noirs... Par principe !
Philippe Robin : Si, scénario catastrophe, cela se passe moins bien dans les prochaines années, si la carrière se passe moins bien, si les disques se vendent moins bien, qu'est-ce que vous faites ? Vous arrêtez tout ?
Jean-Jacques Goldman : Non. En fait, la frontière est simple : est-ce qu'on peut vivre de ce métier ou est-ce qu'on peut ne pas en vivre ? D'abord, le fait de ne pas en vivre n'empêche pas d'en faire. Moi, j'ai fait 15 ans ou 20 ans de musique sans en vivre, plutôt je travaillais pour ça puisque ça coûte cher aussi, et cela ne m'empêchait pas d'en faire comme il y a des gens qui jouent au tennis ou au bridge, sans être des professionnels. Donc, ça c'est le premier plan. Maintenant, sur le plan professionnel, je crois pas qu'on ait besoin d'être dans les cinq premiers du Top et de faire des salles de 5 000 ou 10 000 personnes pour vivre de ça. Je pense qu'on peut vivre très décemment. Il y a des tas de gens qui font des carrières très dignes et très intéressantes, à mon avis, en faisant des salles de 500 ou 1 000 places et en vendant, je sais pas, 30 000 ou 50 000 albums. Donc, le problème se poserait si je n'arrivais même plus à payer mon loyer. Ça empêche pas, même ça, de faire de la musique.
Philippe Robin : Ça c'était les années 1980, l'installation, la mise en place de tout ça. Aujourd'hui, c'est les années 1990 qui commencent. Vous avez des privilèges quand même, un album est attendu à chaque fois qu'il va sortir, il y a de la demande avant même que cet album soit proposé sur le marché. Cette situation de privilège est confortable mais il y a sûrement des inconvénients, non ?
Jean-Jacques Goldman : Il y a quand même beaucoup plus de privilèges que d'inconvénients. Les inconvénients... ? Un des inconvénients, mais qui est un inconvénient que je trouve mineur par rapport aux inconvénients des gens dans leur boulot à eux, c'est peut-être la disproportion qu'il y a entre les demandes des gens par rapport à mes capacités à moi de répondre à ces demandes. Je vais vous donner un exemple : vous avez des copains d'école, par exemple, d'il y a 20 ans qui veulent vous revoir. Il y en a un ou deux probablement qui veulent vous revoir, moi ils sont probablement 35... donc c'est à moi de faire un choix, ce qui n'est pas toujours facile, c'est-à-dire qu'il y a des fois où je réponds : je suis désolé mais je n'ai pas le temps de vous voir. Je peux pas quoi ! Voilà, il y a beaucoup de demandes et mes capacités à répondre à ces demandes sont évidemment limitées. C'est un des désavantages, disons une des choses qui me pose problème.
Philippe Robin : Ça veut dire qu'à partir d'un certain moment on est obligé de se défendre, de se protéger et on ne se fait pas que des copains ?
Jean-Jacques Goldman : C'est ça. Les sollicitations sont trop importantes et on est obligé de faire des choix ce qui est toujours assez désagréables.
Philippe Robin : Quels sont vos privilèges, vos luxes ?
Jean-Jacques Goldman : Le plus gros privilège, c'est de pouvoir vivre à son rythme. Par rapport à la vie que je menais avant et je vois la vie que mènent les gens, la grosse différence c'est ça, c'est de ne pas être dépendant des autres, du moment, d'horaires... Tous les horaires sont choisis : je peux très bien jouer jusqu'à 5 ou 6 heures du matin si l'inspiration est là ou si j'ai envie sachant que je peux dormir le lendemain. Je peux partir en vacances quand les gens n'y sont pas, je peux partir à des endroits où les gens ne sont pas. Et puis les privilèges que donne le fait de bien gagner sa vie.
Philippe Robin : Vous êtes incroyablement discret, parce que la plupart des gens ne savent rien sur le côté coulisses. Ils ne savent rien de votre famille, de votre vie privée. Comment on protège ça : on ne va pas dans les endroits où cette vie est exposée, on ne répond pas aux invitations des grandes émissions de télévision par exemple ?
Jean-Jacques Goldman : Je sais pas. Je n'ai pas l'impression que cela soit si difficile que ça. On n'est pas en Italie ou dans ces pays où les médias sont vraiment à l'affût de la vie privée. Je crois qu'il faut être un peu conciliant. Je crois que tous les gens qui passent sur les " premières de couv " sont un peu complices de ça. Si on n'a pas envie de l'être, on n'y est pas et je ne suis pas le seul à pas y être.
Philippe Robin : Et les émissions de télévisions ? Ces fameuses émissions où on invite un artiste pour qu'il parle pendant une heure de lui ou d'autre chose, ou commenter l'actualité. Je suppose que les invitations sont venues souvent lors de ces dernières années mais jamais on ne vous a vu la dedans.
Jean-Jacques Goldman : Oui, mais ce n'est pas du tout par mépris. Moi, je trouve ces émissions très dignes et je trouve pas du tout qu'il soit méprisable d'y aller. Il se trouve que moi, je n'y suis pas à l'aise. Je ne vais pas dans des émissions où on me pose des questions sur les problèmes entre le Venezuela et le Guatemala parce que je ne peux pas répondre ou comment résoudre les problèmes de faim dans le monde, je ne sais pas. Je crois que ce n'est pas mon rôle de répondre à ces choses là. Si il y a une émission où on me demande la nécessité d'une chaîne musicale en France ou comment marchent les studios actuellement, la crise des studios etc... je peux éventuellement m'exprimer parce que je crois que j'ai quelque chose à dire là dessus. Ensuite, en ce qui concerne les émissions avec des surprises où on vous fait rencontrer des gens que vous n'avez pas vu depuis longtemps, je ne suis pas contre le principe mais faire ça devant vingt millions de personnes... j'avoue qu'il y a beaucoup d'autres choses que je ne fais pas même devant une autre personne. Moi, ça me gêne personnellement mais une fois de plus, je n'ai aucun mépris et je ne juge pas du tout les gens qui vont dans ces émissions que je regarde d'ailleurs très souvent avec plaisir. Mais je n'ai pas l'impression d'y être à ma place !
Philippe Robin : On va revenir à cet album pour découvrir les cinq autres chansons. Il y en a une qui s'appelle " C'est pas d'l'amour " qui est très californienne.
Jean-Jacques Goldman : Oui, c'est tout à fait ça. C'est tout à fait cet esprit de guitares acoustiques qui d'ailleurs avait été un peu défriché il y a une dizaine d'années et même peut-être il y a plus longtemps que ça par un groupe français, un duo qui s'appelait Grimaldi et Zeiher, qui était allé faire un album au sud des Etats- Unis avec Larry Carlton. Eux-mêmes s'étaient beaucoup inspirés de cette musique californienne. C'est sûr que sur le plan guitaristique en particulier c'est passionnant cet univers-là. Il y a une belle guitare acoustique qui est jouée par Gildas Arzel et les autres guitares qui sont jouées par Michaël et par moi. Philippe Robin : Il y a une compétition entre vous et Michaël sur le plan des guitares, sur scène ou en studio ? Quel est le meilleur guitariste des deux ?
Jean-Jacques Goldman : C'est Michaël incontestablement. Mais, il y a certaines parties que je ne lui laisserais à aucun prix, ça c'est sûr ! Il m'aide beaucoup sur les guitares que je fais, il règle beaucoup les sons, il est beaucoup plus pointu que moi, c'est un professionnel. Non, il n'y a pas de compétition dans le sens où il est clair qu'il joue mieux que moi !
Philippe Robin : Une chanson qui s'appelle " Cent vies ", avec cent s'écrivant c.e.n.t.
Jean-Jacques Goldman : Oui, plusieurs vies...
Philippe Robin : Pourquoi ? Parce qu'on n'a pas le temps de tout faire avec une seule ou alors c'est parce que la quarantaine approche ?
Jean-Jacques Goldman : Il est sûr qu'en arrivant à quarante ans, je n'ai pas les mêmes préoccupations et les mêmes réflexions que j'avais à vingt ans. A vingt ans, c'était je vais changer le monde, je vais faire ça et ça. Et c'est vrai, quand on arrive à quarante ans, on fait plutôt le constat de tout ce qu'on ne sera pas. On sait assez précisément tout ce qu'on ne sera pas, tout ce qu'on a plus ou moins loupé, sans être forcément mélancolique. Mais il est sûr que la façon de penser n'est pas la même.
Philippe Robin : Vous avez l'impression que les années maintenant vont passer plus vite ou vont passer différemment, et il va falloir mieux les organiser. Vous avez peur du temps qui passe ?
Jean-Jacques Goldman : Non, pas trop. Je crois que ça arrive à des milliards et des milliards de gens sauf ceux qui meurent tôt, sauf James Dean. Je ne serais pas du genre à dire " je n'ai jamais été aussi heureux de ma vie... ", enfin, j'entends tous ces gens de quarante, cinquante, soixante-dix ans déclarer à tout le monde. Alors je me dis, qu'est-ce qu'ils ont du être malheureux plus jeunes !... Non, moi j'aurais bien aimé rester à trente, trente-cinq ans mais c'est évidemment pas dramatique d'avoir quarante ans !
Philippe Robin : Comment vous vous imaginez ne serait-ce que dans dix ans ?
Jean-Jacques Goldman : Je ne crois pas qu'il y ait une énorme différence entre un homme de quarante ans et de cinquante ans. Les âges clé pour un homme sont probablement autour de la trentaine où j'ai eu vraiment l'impression de passer ailleurs. Et probablement vers soixante ans, on passe aussi ailleurs. Entre trente et cinquante ou trente et soixante, je ne sais pas si il y a des différences essentielles, enfin je vous dirai ça un peu plus tard ! Philippe Robin : Vous êtes du genre Tina Turner, Chuck Berry ou Johnny Hallyday qui restent sur scène le plus longtemps possible. Vous pensez que dans dix ans vous serez encore sur scène ?
Jean-Jacques Goldman : Pourquoi pas. Je ne pense pas trop en terme de carrière. C'est peut-être pas bien pour son image mais à partir du moment où on a du plaisir à y être et où on trouve toujours cent ou deux-cent personnes qui sont contentes de vous voir, je trouve cela très digne et c'est absolument pas ridicule de le faire.
Philippe Robin : " Né en 17 à Leidenstadt ", introduction au piano qui rappelle là aussi la Californie et un californien en particulier.
Jean-Jacques Goldman : Oui, c'est mon californien, c'est l'une de mes grandes rencontres musicales ces derniers temps qui est Bruce Hornsby. C'est quelqu'un que j'aime beaucoup, sans le connaître, je l'ai croisé une fois mais c'est une des choses les plus intéressantes que j'ai entendues ces derniers temps : Bruce Hornsby and the Range.
Philippe Robin : Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il y a de séduisant ?
Jean-Jacques Goldman : Là, je suis incapable de répondre. Comment expliquer que la première fois que j'ai entendu Jimi Hendrix ou Aretha Franklin, j'ai eu l'impression de rencontrer des choses qui me touchaient plus que toutes autres. Ça c'est inexplicable !
Philippe Robin : " Un, deux, trois ", retour à la chanson rythmée et album souvenir du Rock & Roll ?
Jean-Jacques Goldman : Entre guillemets, oui. C'est un peu l'histoire de chacun, comment tous les trois, que ce soit Carole, Michaël ou moi, un jour, on a entendu des choses à la radio qui ont changé nos vies. Un rythme un petit peu désuet, beaucoup de travail de voix et puis les Kick Horns aussi à la fin pour un travail de sections.
Philippe Robin : Et puis alors une chanson particulière qui dure un peu plus de huit minutes, que vous chantez seul et c'est la seule de l'album. Elle s'appelle " Tu manques " et elle fait partie de cette famille de chansons comme " Confidentiel ", comme " Veiller tard " qui sont des chansons que l'on écoute au casque, si possible dans un endroit sombre, qui sont vraiment très intimes.
Jean-Jacques Goldman : Oui, c'est une chanson très intime. C'est des chansons qui viennent une nuit généralement. Pour moi, c'est le souvenir que j'ai de ça, d'une nuit passée sur ce titre : il y a trois accords, ça dure dix minutes. Le texte est venu assez rapidement. Et puis ensuite, on a enregistré cette chanson complètement live c'est-à-dire d'un côté bassiste Pino Palladino, un immense bassiste, Claude Salmieri à la batterie et deux guitaristes que j'adore qui sont Basile Leroux et Patrice Tison, Erik aux claviers, moi au piano et à la voix, les lumières qui se baissent et on a enregistré ce titre là, live comme ça, dix minutes de musique. C'est vraiment un vrai souvenir.
Philippe Robin : Les paroles sont assez difficiles. C'est pour tout le monde une histoire vécue cette chanson là. Est-ce qu'il faut avoir souffert ou souffrir pour faire de belles chansons comme ça ?
Jean-Jacques Goldman : Ce n'est pas exceptionnel de souffrir de l'absence, que ce soit une absence momentanée ou définitive, de quelqu'un. Je crois que riche ou pauvre, blanc ou noir, femme ou homme, probablement martien ou vénusien, tout le monde à un moment souffre de l'absence de quelqu'un.
Philippe Robin : Est-ce qu'il y a quelque part dans le répertoire d'un autre chanteur, une chanson que vous auriez aimé écrire à sa place ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, il y en a beaucoup. Il y a beaucoup de chansons que je regrette, dont je suis terriblement jaloux.
Philippe Robin : Vous avez deux ou trois exemples qui viennent ?
Jean-Jacques Goldman : Je ne sais pas... Les chansons évidentes comme " Hey Joe " ou " All along the watch tower " c'est des chansons parfaites pour moi. Quasiment toutes les chansons du premier album de Dylan sont irréprochables, ce sont des chefs-d'œuvre... Dans les français, une chanson comme " Avec le temps "... D'autres, des chansons récentes, quand j'entends Texas " I don't need a lover ", je m'en veux de ne pas avoir trouvé ça, la slide guitare, la basse et puis l'entrée de la caisse claire... Tout ça fait mal quand on entend les autres écrire ces choses là ! Mais il doit y avoir des exemples encore plus précis que ça, plus proches et d'artistes français. Je n'en ai pas là mais une chanson comme " Plus près des étoiles " de Gold, j'aurais bien aimé écrire ça aussi.
Philippe Robin : Qu'est-ce qui sera urgent dans les prochains mois maintenant ?
Jean-Jacques Goldman : Rien. J'ai une grande envie, c'est de repartir sur scène parce que c'est repartir dans ces conditions là, avec Michaël, avec Carole, on va énormément s'amuser ! J'aime bien les chansons de cet album, je sens qu'avant d'être des chansons de disque, c'est avant tout des chansons de scène. Donc ça, j'ai envie de le faire, surtout quand on a passé comme on vient de le faire presque neuf mis terré dans un studio à pas sortir. Donc j'ai cette envie là, mais c'est pas une urgence, on va attendre le mois de mars ou avril.
Philippe Robin : Cette nouvelle tournée va se faire à l'image des précédentes, c'est-à-dire avec une période parisienne, une période d'été le long de la mer et puis une grande tournée ensuite un peu partout en France, puis peut-être ensuite des voyages ?
Jean-Jacques Goldman : Il n'y a pas beaucoup de choix, en fait. Les seuls choix, ce sont les voyages tout ce qui est un peu international parce qu'on ne le fait que par goût, dans la sens où cela n'a aucune incidence sur la carrière, c'est pas du tout pour faire une carrière internationale, ce qui ne dépend pas de ces tournées mais de beaucoup d'autres choses qu'on ne contrôle pas, donc c'est juste par plaisir si on part en Thaïlande, en Afrique ou si on part dans les Caraïbes ou à Bali comme on a fait sur la dernière tournée. Les choses "imposées" par contre, entre guillemets, ne sont pas très originales, c'est-à-dire toute la province, Paris, un peu de Suisse, un peu de Belgique, éventuellement du Canada, je ne sais pas.
Philippe Robin : A Paris, la dernière fois, vous étiez passé successivement au Bataclan, à l'Olympia, au Palais des Sports et au Zénith, c'est-à-dire du plus petit à l'immense.
Jean-Jacques Goldman : Il n'y a jamais eu d'immense.
Philippe Robin : Le Zénith quand même, c'est six à sept mille personnes par soir !
Jean-Jacques Goldman : Oui, c'est ça. Mais on s'est arrêté à peu près là, on n'est pas allé plus loin, sur Bercy. Au-dessus de dix mille, j'avoue perdre un peu le contact avec les gens. Mais là ce qu'on va essayer de faire, c'est de trouver un endroit en plein air parce que comme vous l'avez dit, en août, on se garde ce cadeau qui est toutes les grandes arènes du sud de la France qui sont vraiment des moments magnifiques. Le fait de jouer en plein air change un peu l'ambiance, des endroits comme Orange, comme Nîmes, Fréjus, Béziers.... On aimerait bien garder cette ambiance là puisqu'on fera Paris vers le mois de juin et essayer de trouver un endroit en plein air à Paris, ce qui est très compliqué. Parce que je ne veux pas un endroit en plein air immense non plus donc il faudrait presque le construire. Je ne sais pas si on va réussir ça mais on est en train de travailler là dessus.
Philippe Robin : Il n'y a pas un risque avec la météo à Paris ?
Jean-Jacques Goldman : Il y a énormément de risques. C'est absolument irresponsable et déraisonnable de faire ça... ! Mais bon, si on fait pas des choses déraisonnables et irresponsables, je crois qu'on ne s'amusera plus tellement. C'est aussi irresponsable et déraisonnable que de faire un album à trois personnes.
Philippe Robin : Donc vous avez passé le cap du plus raisonnable, maintenant vous retombez en enfance...
Jean-Jacques Goldman : Non, pas trop mais je crois que dans toute démarche artistique il faut que le plaisir et l'envie soient présents. On peut pas faire une chanson comme on poinçonne un ticket. On peut éventuellement poinçonner un ticket cent fois, il y aura un trou dedans. On peut pas faire une chanson cent fois, sans envie : cela se voit immédiatement.
Philippe Robin : Alors pratiquement, cette tournée on peut l'attendre pour quand ? D'abord les dates parisiennes et puis ensuite la route ?
Jean-Jacques Goldman : Nous allons partir outre-mer, comme d'habitude, pour roder un peu tout ça : Ile Maurice et Réunion. C'est en même temps une façon de souder l'équipe, de jouer souvent et puis moitié vacances... On revient pour faire une petite tournée en province d'une quinzaine de dates, probablement dans les grandes villes, puis Paris vers le mois de juin. Ensuite on commence la province vers le mois d'août avec ces arènes du sud, puis septembre, octobre, novembre, décembre toutes les villes de France.
Philippe Robin : Quand vous partez en tournée, vous emmenez une, deux, trois guitares, vos préférées comme on emmène une fiancée en vacances ?
Jean-Jacques Goldman : Oui, sauf que là c'est des fiancées qui ne dorment pas dans le même lit que nous, qui sont dans leur flight case, au froid dans les camions ! En général, on en choisit deux qu'on règle mais c'est vraiment le boulot de Michaël, qui est très pointu là dessus.
Philippe Robin : Là non plus, il n'y a pas de superstition, il n'y a pas le fait de dire que si je pars avec celle-ci, tout va bien se passer ?
Jean-Jacques Goldman : Non, la preuve c'est que j'ai changé cette année. Jusqu'à maintenant j'ai toujours joué sur Gibsons et là j'ai envie de changer un petit peu avec des guitares Lag ou des sons un petit peu plus creux parce que cela évolue. Je ne suis pas tellement attaché aux choses.
Philippe Robin : Il n'y a pas de sentiments entre le guitariste et sa guitare, pas de lien, "pas d'amour" ?
Jean-Jacques Goldman : Probablement, mais moi j'en ai peu. Je suis très attaché à une vieille Lespol que j'ai parce que c'est la guitare de mes débuts et que je la garde : celle-ci, je la garderai toujours. Je suis attaché à une Gretche parce que Coluche me l'avait offerte. Mais finalement c'est plus lié à des personnes ou à des époques qu'à l'objet lui-même.
Philippe Robin : Jean-Jacques Goldman, merci et bonne route.
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