Fredericks-Goldman-Jones : La preuve par 3
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Fredericks-Goldman-Jones : La preuve par 3
OK, du 24 au 30 décembre 1990
Retranscription par Anne Moreau
Pour son sixième album, Jean-Jacques Goldman a choisi de ne pas œuvrer seul. Fort de ses rencontres avec Carole Fredericks et Michael Jones, il a uni sa voix aux leurs. Après neuf mois de studio, les voilà sur le devant de la scène. Jean-Jacques Goldman prend la parole.
OK : L'album qui vient de sortir n'est finalement pas votre album mais celui de trois personnes : Carole Fredericks, Michael Jones et vous-même.
Jean-Jacques Goldman : Oui, c'est un album trio. Toutes les chansons, sauf une, sont chantées à deux ou à trois. C'est un album de moi dans le sens où j'ai écrit toutes les chansons. Mais ça peut s'apparenter à ce qui se passe dans certains groupes où il y a plusieurs interprètes et une personne qui écrit les chansons.
OK : N'est-ce pas déroutant pour les fans de Jean-Jacques Goldman ?
Jean-Jacques Goldman : Je n'en sais rien. En fait, c'est un choix qui m'est venu naturellement, dans la démarche que j'avais. J'en suis à cinq albums dont un double, ce qui fait 60 chansons. À faire la soixante-dixième, j'aurais un petit peu l'impression de me répéter. Le fait d'avoir rencontré Carole et Michael, tout ce qui s'est passé sur scène entre nous, les mélanges de voix, c'est ce qui m'a intéressé. Et les compositions portent un peu l'empreinte de ces rencontres. Donc, c'est avant tout une démarche personnelle. Ensuite, si les gens suivent ou pas, ça franchement, je ne sais pas.
OK : Pouvez-vous nous présenter Carole Fredericks ?
Jean-Jacques Goldman : Carole est née à Springfield dans le Massachusetts. Elle est arrivée en France en 79. Et elle est devenue ce qu'on appelle un musicien de studio. C'est-à-dire de ces gens qui ont des capacités techniques extraordinaires et qui sont employés par tous les autres artistes. On l'a vue derrière beaucoup de chanteurs. Moi, je l'avais rencontrée comme ça et je lui avais demandé de venir avec nous sur scène, en 86. Maintenant, ça fait quatre ou cinq ans qu'on travaille ensemble. Et de plus en plus, j'ai appris à découvrir non seulement la voix qui est déjà assez phénoménale mais aussi le personnage qui est plein de générosité.
OK : Et Michael Jones, c'est le complice de toujours ?
Jean-Jacques Goldman : C'est avant tout un guitariste tout en étant un très bon chanteur. On s'est rencontrés dans le groupe Taï Phong en 77-78. Depuis, je travaille avec lui sur scène et sur disque.
OK : La première chanson extraite de l'album est "Nuit". Etait-il évident pour vous qu'elle devait être la carte de visite ?
Jean-Jacques Goldman : Non. Aucun titre ne se détachait vraiment très nettement de cet album, dans le sens où on aimait toutes les chansons. Il a fallu choisir et on a choisi le dernier jour que ce serait celle-là. Mais sans raison vraiment précise.
Ok : Vous êtes superstitieux ?
Jean-Jacques Goldman : Non. Pas du tout. J'ai probablement tendance à passer plus souvent que les autres sous une échelle, ou à donner des coups de pied aux chats noirs, par principe !
OK : Scénario catastrophe : si ça se passe moins bien dans les prochaines années, si vos disques se vendent moins bien, vous arrêtez tout ?
Jean-Jacques Goldman : Non en fait la frontière est simple. C'est : est-ce qu'on peut ou est-ce qu'on ne peut pas en vivre. D'abord le fait de ne pas en vivre n'empêche pas d'en faire. Moi, j'ai fait quinze ou vingt ans de musique sans en vivre ou plutôt je travaillais pour ça, puisque ça coûte cher aussi. Ça ne m'empêchait pas d'en faire, comme il y a des gens qui jouent au bridge ou au tennis sans être des professionnels. Et sur le plan professionnel, on n'a pas besoin de 5 000 ou 10 000 personnes pour en vivre. Il y a des tas de gens qui font des carrières très dignes et très intéressantes, à mon avis, en faisant des salles de 500 ou 1 000 places et en vendant 30 000 ou 50 000 albums. Donc, le problème se poserait si je n'arrivais même plus à payer mon loyer. Mais ça n'empêche pas, même ça, de faire de la musique.
Ok : Quels sont vos privilèges, vos luxes ?
Jean-Jacques Goldman : Le plus gros privilège, c'est de pouvoir vivre à son rythme. Par rapport à la vie que je menais avant et à la vie que mènent les gens, la grosse différence, c'est de ne pas être dépendant des autres, du moment et des horaires. Tous les horaires sont choisis. Je peux très bien jouer jusqu'à 5 ou 6 heures du matin si l'inspiration est là ou, si j'en ai envie, sachant que je peux dormir le lendemain. Je peux partir en vacances quand les gens n'y sont pas, je peux partir à des endroits où les gens ne sont pas. Et enfin, évidemment, il y a les privilèges que donne le fait de gagner bien sa vie.
OK : La plupart des gens ne savent rien de votre famille, de votre vie privée. Comment se protège-t-on ?
Jean-Jacques Goldman : Je sais pas, je n'ai pas l'impression que ce soit si difficile que ça. On n'est pas dans un pays où les médias sont vraiment à l'affût de la vie privée.
OK : Et les émissions de télévision où l'on invite un artiste pour qu'il parle de lui, ou de l'actualité. On ne vous y a pas vu…
Jean-Jacques Goldman : Ce n'est pas du tout par mépris. Je trouve ces émissions très dignes. Mais il se trouve que moi, je n'y suis pas à l'aise. Je ne vais pas dans des émissions où l'on pose des questions sur les problèmes entre le Vénézuela et le Guatémala parce que je ne peux pas répondre. Comment résoudre les problèmes de faim dans le monde ? Je ne sais pas. Donc, je crois que ce n'est pas mon rôle de répondre à ces choses-là.
OK : La quarantaine approche, vous le vivez comment ?
Jean-Jacques Goldman : Il est sûr qu'en arrivant à quarante ans, je n'ai pas les mêmes réflexions que j'avais à vingt ans. À vingt ans, c'était : "Je vais changer le monde, je vais faire ci et ça". Quand on arrive à quarante ans, on fait plutôt le constat de tout ce qu'on ne sera pas. On sait déjà précisément tout ce qu'on a plus ou moins loupé, sans être forcément mélancoliques. Mais c'est sûr que la façon de penser n'est pas la même.
OK : Avez-vous peur du temps qui passe ?
Jean-Jacques Goldman : Non pas trop, non. Ça arrive à des milliards de gens sauf à ceux qui meurent tôt, comme James Dean. Je ne serais pas du genre à dire : "Je n'ai jamais été aussi heureux de ma vie". Quand j'entends tous ces gens de quarante, cinquante, soixante, soixante-dix ans, le déclarer à tout le monde, je me dis : "mais qu'est-ce qu'ils ont dû être malheureux plus jeunes !". J'aurais bien aimé rester à trente, trente-cinq ans, mais ce n'est évidemment pas dramatique d'avoir quarante ans.
OK : Quelle serait l'urgence dans les prochains mois ?
Jean-Jacques Goldman : J'ai une grande envie de repartir sur scène parce qu'avec Michael et Carole, on va énormément s'amuser. J'aime bien les chansons de cet album. Avant d'être des chansons de disque, ce sont des chansons de scène. Donc, j'ai envie de le faire, surtout quand on a passé comme nous, presque neuf mois terrés dans un studio. J'ai cette envie-là, mais ce n'est pas une urgence. On va attendre mars avril.
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