Trio pour vedette seule
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Trio pour vedette seule
Le Monde, 10 janvier 1991
Thomas Sotinel
Retranscription de Monique Hudlot
En France, Jean-Jacques Goldman est une figure unique, qui s'est dessinée sur un modèle américain, une rock-star qui a établi avec son public un rapport fait, à parts égales, de distance infranchissable et de proximité immédiate. Fredericks-Goldman-Jones est une nouvelle manche de la partie de cache-cache que livre Goldman. Carole Fredericks, choriste churchy, nourrie au gospel, et Michaël Jones, guitariste et chanteur, sont de vieux partenaires de Jean-Jacques Goldman. Malgré les prétentions démocratiques du titre et de la pochette, ils ne sont que des paravents : le disque a été composé, écrit (à l'exception des quelques couplets en anglais, signés Jones) et produit par Goldman. C'est un chanteur qui voudrait revenir au cocon du groupe, mais à qui sa gloire interdit ce chemin.
Reste un disque qui ne se permet que quelques libertés avec les figures généralement imposées aux rois du Top albums. Goldman traîne depuis toujours un cafard immense qui nourrit sa musique. Au fil des ans, la colère et l'énergie qui accompagnaient ce blues français se sont taris. Sur Fredericks-Goldman-Jones, les titres rapides (l'embarrassant "Un, deux, trois" ; "Je l'aime aussi", un peu forcé) sont là comme par obligation. Leur animation affectée exacerbe la grisaille des ballades, "Nuit", "Chanson d'amour" (…!). Goldman sait être mal comme personne, l'innocence de sa voix claire et fragile fait voler l'infinie tristesse de son propos jusqu'à la cible. Plus il est maladroit, plus il est juste.
Mais les risques poétiques ne trouvent pas leur équivalent musical. Goldman et Jones sont des guitaristes exquis, le premier est aussi un chanteur plus malin qu'il ne veut le laisser paraître. Mais la facilité, les séquences harmoniques qui ont fait leur preuve tiennent les chansons dans le droit chemin. A part les africanismes de "A nos actes manqués", jamais le disque ne dévie de la ligne FM (comme dans modulation de fréquence) que s'est depuis longtemps fixée Goldman. Parfois, le résultat est à la hauteur des originaux (le final de "C'est pas l'amour") ; souvent, il est prévisible et vite ennuyeux. C'est aussi une part du mystère de Jean-Jacques Goldman : savoir entretenir l'attente de grandes choses à venir sans jamais tout à fait la satisfaire ni la désespérer.
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