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Les vigiles de la musique
(Le Monde, 22 juin 1993)

Les vigiles de la musique
Le Monde, 22 juin 1993
Véronique Mortaigne, Michel Guerrin
Retranscription de Monique Hudlot

La fête du 21 juin souligne le rôle de la SACEM, providence des auteurs et des compositeurs.

Sont-ils les seuls à ne pas jouer, chanter et danser en ce jour d'été ? Comme les quelque quatre cents "fantassins" de la SACEM qui sillonnent la France toute l'année, Richard Comastri devait être "de tournée" dans sa délégation de Creil (Oise), lundi 21 juin, pour voir si tout se passait bien durant la Fête de la musique, et, surtout, si le sacro-saint droit d'auteur était bien respecté dans les villes et les villages, bals musette et fanfares.

"Si le chanteur ne perçoit pas de cachet et si l'entrée est gratuite, on n'intervient pas lors de la fête de la musique. Sinon..." Sinon, Richard Comastri fait son travail, comme chaque jour, chaque nuit aussi, au service de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) : rencontrer les quelque quatre mille sept cents diffuseurs de musique de la délégation de Creil et récupérer chaque année une redevance qui sera centralisée à Paris. La moitié des droits d'auteur sont facilement identifiables. Ils sont récupérés auprès des chaînes de télévision, des radios ou sur les disques et cassettes vendus. C'est le centre parisien qui s'en charge, installé dans un immeuble chic, rond et panoramique, qui domine la Seine, à Neuilly (Hauts-de-Seine). En province, les "clients" de Richard Comastri sont souvent modestes : ils vont de la pharmacie sonorisée au supermarché, du bal des pompiers au thé dansant du troisième âge, de la boîte de nuit au concert de Jean-Jacques Goldman, du juke-box au parking souterrain, de la salle d'aérobic au spectacle de majorettes. "Le moindre village a sa fête. C'est un travail de fourmi", commente Richard Comastri.

Cent soixante-dix catégories de diffuseurs ont été répertoriées par la SACEM. Les taxes acquittées sont inégales. 300 francs par an pour un coiffeur. De 150 à 200 millions de francs pour Canal Plus, le plus gros "payeur". Entre les deux, des dizaines de grilles tarifaires ont été mises en place, dont le critère principal est le rôle joué par la musique dans le lieu concerné. Ainsi, un gros aéroport qui reçoit 5 millions de passagers par an ne paiera que 36 000 francs. Sur RTL, première radio de France, qui diffuse peu de musique, les trois minutes ont pu grimper, dans les bonnes années, jusqu'à 1 200 francs pour un tube.

Cette floraison d'utilisateurs (cinq cent mille en France) "témoigne du formidable développement de la musique et des commerces sonorisés dans les années 70", explique Richard Comastri. Avec son réseau qui couvre l'Hexagone, la SACEM est un bon poste d'observation de la France musicale.

Rien de tel pour constater la multiplication des fêtes dans le moindre hameau durant les mois d'été, la montée en flèche de la musique rétro (Claude François en tête), comment la musique "techno" supplante le disco, le décalage entre le Top 50 et la musique que l'on consomme en région. On y observe également le transfert massif des discothèques des centres-ville vers les villages.

La France, patrie du droit d'auteur

La SACEM a largement bénéficié de cette explosion musicale, tant sur le marché du disque qu'après la création des radios de la bande FM dans les années 80 (1 500 diffuseurs supplémentaires pour la société). Imaginée en juillet 1847 par Ernest Bourget, Paul Henrion et Victor Parizot, qui refusent alors de payer leur note au café-concert Les Ambassadeurs, au prétexte qu'ils sont les auteurs de la musique diffusée par l'établissement, la SACEM est devenue une entreprise prospère (lire l'encadré ci-dessous).

La France est la patrie du droit d'auteur, et la SACEM est une des sociétés d'auteurs les plus performantes au monde. A l'étranger ? Les organismes équivalents sont "une catastrophe aux Etats-Unis, un scandale en Angleterre, insignifiants au Portugal ou en Grèce, inexistants ailleurs", souligne un journaliste de l'hebdomadaire américain spécialisé Bilboard. "Sur 177 pays inscrits à l'ONU, seuls 80 défendent leurs auteurs", ajoute Jean-Loup Tournier, président du directoire de la SACEM depuis trente-deux ans.

"Le droit d'auteur, c'est le salaire de l'auteur". Le slogan adopté par la SACEM définit l'enjeu. Cette société civile collecte, répartit et reverse chaque année leur dû à des milliers d'auteurs ou compositeurs, souvent modestes, parfois enrichis par le succès. Dans quelques cas, le jeu en vaut la chandelle : un "tube français", par exemple, déposé en 1983, a rapporté à son auteur 2,6 millions de francs sur huit ans (157 000 francs en 1992), et ce n'est pas fini...

La SACEM est également le bras sauveteur qui permet à des petites salles, à des festivals, ou à des musiques réputées difficiles (musique contemporaine, jazz...) de se maintenir à flot. Le budget de mécénat culturel, géré par la société, atteint pour 1993 la somme de 52 millions de francs.

"Je les aime, je les aime, la standardiste, l'attachée de presse, sans oublier ma petite SACEM", chante Eddy Mitchell, dans "Lèche-Botte Blues". Les auteurs-compositeurs sont parfois critiques mais, de peur de casser l'outil qu'ils se sont forgé, se montrent discrets sur ses imperfections. Car, ainsi que le dit Nino Ferrer, après une traversée du désert : "Si la SACEM n'avait pas existé, j'aurais sûrement braqué une banque". Des compositions comme le "Sud" lui ont permis de "tenir".

Richard Comastri estime qu'il y est pour quelque chose puisque son rôle est d'effectuer des "tournée d'écoute" et de répertorier les titres qu'il entend. A son programme ce soir-là, quatre boîtes de nuit, un restaurant et un bar. Démarrage à 22 heures, arrêt vers 4 heures. 200 kilomètres en voiture dans la nuit. "Quand vous débarquez à 3 heures du matin dans un bal face à des types saouls et que vous dites que vous venez pour la taxe SACEM..." Mais c'était encore plus dur quand il arpentait les routes enneigées des Alpes ou multipliait les descentes dans les "discos" de la Côte.

Dans leur ensemble, les droits sont récupérés sans heurt, le plus souvent dans le cadre de conventions avec les représentants des diffuseurs de musique (Syndicat des entrepreneurs de bals, Confédération nationale de la coiffure française, etc.). Le centre de Creil a ainsi touché 8 millions de francs en 1992, dont 600 000 francs rien que pour le parc Astérix, principal "client".

Pourtant, avec la crise, la délégation de Creil enregistre une sensible augmentation des "mauvais payeurs" depuis un an. Dans toutes les professions. "Certains n'ont simplement plus les moyens de payer". Même les élus, organisateurs de festins municipaux, contestent. Mais il y a pire. "La loi est constamment violée", estime Jean-Loup Tournier, pourtant satisfait de la bonne entente avec les radios, totalement acquise depuis que Skyrock, dernière "grosse" radio privée récalcitrante, a fait affaire en 1988. Restent les discothèques.

"Une SACEM si chère..."

La tournée de Richard Comastri commence au Pub Carnot de Creil. "Je vous offre un coup. Sans pot-de-vin bien sûr", blague le patron, Marc Dussaule. Il est rejoint par le directeur de la discothèque Les Chandelles, située de l'autre côté de la rue. On leur parle droit d'auteurs et ils répondent crise économique, sécurité, charges exorbitantes, baisse d'activité de 30%, conflits avec la mairie sur les autorisations. La SACEM est perçue comme une taxe de plus, toujours trop chère, "qu'on règle en dernier, car c'est d'elle qu'on risque le moins".

Même son de cloche au Grand-Saint-Germain, la "boîte" la plus agréable de la région. On y vient de Compiègne, Creil, Beauvais, Paris, Reims. Grand parking, 18 employés, 900 clients par soir, installations ultra-modernes. Heureux ? "Heureux s'il n'y avait pas une SACEM si chère...", affirme le patron, M. Bléron : 35 000 francs par mois, calculés sur un chiffre d'affaires annuel de 7 millions de francs. Pour calculer ses tarifs, le préposé SACEM s'appuie sur les renseignements fournis par le disc-jockey. Rarement de bonne grâce.

L'histoire de la SACEM et des patrons de discothèques en colère, ce sont quinze ans de procès, d'intimidations, d'invectives. Six-cents procédures judiciaires en cours, 90 arrêts de la Cour de cassation, des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, des rapports à la pelle, 8 millions de francs de frais de justice pour la SACEM rien que pour 1992.

"C'est une bonne affaire pour les avocats", dit-on de chaque côté. C'est bien le seul point d'accord. Ivan Poupardin a pris la tête des "réfractaires" au sein du BEMIM (Bureau européen des médias de l'industrie musicale). Son credo : "Les 4,63 % que la SACEM ponctionne sur notre chiffre d'affaires est bien trop élevé. 2 % serait supportable".

Il est vrai que les tarifs sont élevés. Mais une boîte de nuit sans musique... "En plus, les "boîtes" minimisent souvent leur chiffre d'affaires", dit-on à la SACEM, qui a attaqué en justice toutes les discothèques qui refusent de payer les fameux 4,63 % de taxe. Cinq syndicats l'ont accepté, seul le BEMIM résiste (600 établissements selon la SACEM, 1 400 selon le BEMIM sur les 4 300 répertoriés en France). Première conséquence : les discothèques ont payé 237 millions de francs en 1988, seulement 156 millions en 1992. "Cela ne représente que 6 % de notre chiffre global, mais c'est une question de principe. Et si nous n'agissons pas, nous risquons la contagion", affirme Jean-Loup Tournier.

Ivan Poupardin, lui, parle des "milices de la SACEM". L'obstination de ce propriétaire d'un restaurant-discothèque dans la banlieue de Rouen, La Brocherie, est impressionnante : "J'ai fait l'objet d'une quarantaine de procédures judiciaires en quinze ans, elles ont bien dû me coûter 100 000 francs". Sur le terrain, les "boîtes" réfractaires ont des réactions musclées : "On est en guerre. On sème et la SACEM récolte". Certains parlent de "racket". Le propriétaire de l'espace, à Compiègne, affirme : "Si j'étais en Allemagne, je paierais 30 000 francs au lieu de 200 000 francs".

L'argument-choc du BEMIM est bien là : les tarifs acquittés par les discothécaires français sont dix fois plus élevés qu'en Allemagne, trois fois plus qu'en Belgique, quatre fois plus qu'en Espagne, cinq fois plus qu'aux Pays-Bas. Seule l'Italie a des tarifs similaires. La Commission de Bruxelles a déclaré que le conflit devait être résolu par les tribunaux français. La cour d'appel de Paris a demandé l'avis du Conseil de la concurrence. Ce dernier, qui s'appuie sur un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, a rendu son avis, le 20 avril dernier.

"Les tarifs pratiqués par la SACEM sont sensiblement plus élevés que ceux pratiqués par ses homologues" et, surtout, la SACEM "ne justifie pas la supériorité de ses tarifs" par une meilleure protection des auteurs. Sous- entendu : si la société d'auteurs ne justifie pas ses tarifs élevés, c'est que son train de vie (ses frais généraux) sont trop importants.

"Forteresse assiégée"

Dans ses brochures sur papier glacé, la SACEM affirme que sur "100 francs perçus, 83 francs sont reversés aux auteurs, les frais ne représentant que 17 francs". Mais l'avis du Conseil de la concurrence les porte à 29 %, ce qui n'excède d'ailleurs pas la moyenne européenne. Les deux parties attendent surtout la décision de la cour d'appel de Paris, qui devrait intervenir au mois de septembre. Si elle suit le Conseil de la concurrence et donne raison aux discothèques, ce qui est possible, cela provoquera bien du tumulte... La SACEM devra-t-elle rembourser le trop-perçu ?

Autant d'arguments qui agacent Jean-Loup Tournier : "Nous sommes plus chers, mais le concept d'une moyenne européenne est aberrant, inadmissible". Il a également beau jeu de noter que "si les frais de gestion sont excessifs, c'est aux auteurs de s'en plaindre. Or, ils entérinent notre gestion". Mieux, 850 auteurs la soutenaient, le mois dernier, dans une campagne de publicité de 500 000 francs, parue dans la presse nationale. "La SACEM s'est mise à développer une culture de forteresse assiégée", souligne un proche de Jack Lang, ancien ministre de la culture. A cause des discothèques, mais aussi devant la tentation des uns et des autres d'appliquer le droit anglo-saxon, qui privilégie l'investisseur, et protège l'oeuvre comme une marchandise, et non la propriété artistique comme un droit inaliénable.

Il y a ensuite la cohorte de nouvelles technologies (disques interactifs, programmes à la carte) qui supposent une adaptation constante. Ou encore la concentration des compagnies discographiques dans les pays les plus favorables à leurs intérêts. Sans compter les oeuvres rapportant gros qui s'apprêtent à tomber dans le domaine public soixante-dix ans après la mort de leur auteur, le délai légal.

Un certain déséquilibre

Les auteurs sont-ils vraiment maîtres chez eux à la SACEM comme le soutient Jean-Loup Tournier ? On trouve à la tête du conseil d'administration des personnalités comme Pierre Delanoë, Jean-Christophe Averty, ou Gérard Calvi. Les auteurs plus modestes ou plus jeunes ont peu de chances d'y siéger. Par ailleurs, le système de sondages dans les discothèques et les projections "par analogie" pour les radios favorisent les grosses pointures (Lavilliers, Barbelivien...) au détriment des musiciens moins illustres.

D'autres critiques visent les délais de répartition, qui atteignent au mieux six mois, parfois un an, ou même plus quand il s'agit de l'étranger. "Je paie 8,80 % de mes recettes dans les quinze jours. L'argent ne reviendra à l'artiste que plusieurs mois plus tard", dit une productrice de spectacles. Elle souligne la difficulté pour une petite société de vérifier que les relevés ont été correctement effectués. Beaucoup souhaitent une SACEM "allégée", plus productive, et surtout plus transparente, qui s'expliquerait sur ses contradictions.

Peut-on par exemple être une société lucrative qui réalise des produits financiers et des investissements immobiliers, tout en faisant constamment référence à la très philanthropique propriété intellectuelle ? Et en matière de profits, on reproche à la SACEM d'avoir d'opportunes oeillères. N'a-t-elle pas tardé à tirer au clair la fraude de la "Lambada" en 1989 ? Un blâme, qui fit sourire, fut délivré à l'usurpateur français, inscrit en toute légalité. Les droits (7,5 millions de francs en deux ans), furent, il est vrai, finalement bloqués en faveur des vrais auteurs boliviens. Mais il a fallu les révélations de la presse pour que la SACEM bouge...


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