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La plus belle brochette d'Enfoirés jamais rassemblée
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La plus belle brochette d'Enfoirés jamais rassemblée
Le Devoir, 25 mars 1995
Sylvain Cormier
Retranscription de Monique Hudlot
Les Enfoirés au Grand Rex
Les Restos du coeur, c'était une idée à Coluche, tout à fait typique de ce drôle de clown sans fard dont la bedaine n'était réjouie que pour servir de caisse de résonance aux battements de ses ventricules démesurés. Une application un peu plus organisée de ce qu'il faisait déjà sans le dire à personne, dans l'immense salle à manger de son pavillon de banlieue où il y avait à tous les soirs des tas de petites tables aux couverts mis au cas où, "pour mes potes qui ne savent pas où bouffer, ils viennent ici, ils n'ont pas besoin de prévenir" (c'est l'auteur-compositeur Michel Mallory qui le cite dans son passionnant livre-témoignage sur Johnny Hallyday, "Vingt ans d'amitié").
Un peu comme Dan Bigras avec son Show du Refuge, Coluche a réuni autour de lui ses enfoirés d'amis, stars du comique, du cinéma et de la chanson, dans le cadre de spectacles ou de tournées mixtes à l'intention de ses potes mal barrés. "Moi je file un rancart à ceux qui n'ont plus rien / Sans idéologie, discours ou baratin / On vous promettra pas les toujours du grand soir / Mais juste pour l'hiver à manger et à boire". La différence avec le Show du Refuge, qui n'aboutit qu'à la SRC le dimanche soir, c'est qu'une telle initiative, en France, vire illico à l'événement monstre et donne inévitablement lieu à des albums et des vidéocassettes-souvenirs : chaque nouvelle brochette d'Enfoirés y a droit. L'an dernier, on a eu "Les Enfoirés chantent Starmania". Cette fois, pour changer, on nous fourgue "Les Enfoirés au Grand Rex". Le Grand Rex étant une salle fabuleuse, l'un des derniers cinoches grand luxe à Paris, aujourd'hui dédié principalement aux spectacles.
Nettement plus égal que les autres mélanges d'Enfoirés, celui-là propose des acoquinages qui, bizarres autant qu'étranges sur papier, n'en sont pas moins généralement heureux. Francis Cabrel en duo avec France Gall sur "Ella, elle l'a", y auriez-vous songé ? L'auriez-vous souhaité ? Moi non plus. Et pourtant, ces voix-là s'entendent et se répondent. Maman Jane Birkin et fifille Charlotte Gainsbourg reprenant le délicieux "Di Doo Dah" que papa Serge avait écrit pour sa Jane ? Je craque. Eddy Mitchell et Renaud réunis "Sur la route de Memphis" ? Avec Paul Personne à la guitare et l'excellent Jean-Jacques Milteau à l'harmonica, le plaisir de Renaud est criant et les harmonies du père Schmoll bien en place.
Mais Patrick Bruel avec Charles Aznavour partageant "Hier encore" ? Étonnant. Il a les genoux solides, le Patriiiiick. C'est lui qui amorce la chanson et l'on se dit, tiens donc, pas mal du tout : les aigus sont francs, le verbe senti. Et puis le p'tit grand Charles, en deux phonèmes magistralement allongés, l'expédie à l'école des fans. Sans faire exprès, sans forcer la note. Pur souffle. Pas démonté, Bruel tente d'harmoniser, sympa de maladresse, incapable de suivre le phrasé infiniment subtil de l'Arménien. La finale, grâce au ciel, est réussie, les deux voix enfin mariées : Bruel a sauvé la face. Aznavour l'a sûrement félicité. Moi aussi.
Plus faciles, l'hymne gospel "Oh! Happy Days" des Edwin Hawkins Singers (par Carole Fredericks, Florent Pagny et rien de moins que la Chorale des Chérubins de Sarcelles) et le "Cecilia" de Simon & Garfunkel (par Michael Jones et Pow Wow), s'en tirent sans blasphème. "Les Crayons", émouvante chansonnette de Bourvil, trouve en Valérie Lemercier une digne héritière.
Presque tout bon, quoi, à deux ou trois ratages près. L'actrice Romane Bohringer, avec Jean-Louis Aubert, a le filet de voix qui se défile : on chuchote qu'elle chantonne, dirait Michel Serrault. Notre Céline Dion internationale et Jean-Jacques Goldman, le mercenaire de son nouvel album francophone, se livrent un duel d'aigus qui ne fait que des victimes. Et Vanessa Paradis est à "Foule sentimentale" et aux voix d'Alain Souchon et de son frère de sang Laurent Voulzy ce que Tweety est à Sylvester : un oisillon irritant qui mériterait d'être avalé tout rond. Remarquez, ça doit faire plaisir à Coluche dans sa baraque foraine au septième ciel à gauche en sortant de l'ascenseur : il aimait l'humour grincant. Et les amuse-gueules. Bon appétit, enfoiré de mon coeur !
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