Céline et Jean-Jacques vont en bateau
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Céline et Jean-Jacques vont en bateau
Le Monde, 29 avril 1995
Véronique Mortaigne
Retranscription de Monique Hudlot
L'album "D'eux" réunit les talents de Céline Dion et de Jean-Jacques Goldman.
Il se dit épaté. Elle trouve cela normal. Il a eu envie de travailler avec elle, de lui offrir un bouquet de chansons en hommage à sa voix "exceptionnelle". Elle a fini par accepter. Qu'on la comprenne : Céline Dion, Québécoise francophone, est aujourd'hui une star planétaire après avoir vendu près de dix millions d'exemplaires de son précédent album, enregistré en anglais, et fait un tabac sans pareil aux Etats-Unis, grâce notamment à de troublantes reprises de standards américains. Ce n'est donc pas un chanteur français, dont, dit-elle, elle ignorait quasi l'existence avant qu'il ne lui téléphone pour lui proposer un déjeuner et des chansons, qui devrait l'impressionner a priori.
Mais Goldman étant Goldman, gros vendeur ("Rouge" approche le million), bon faiseur de tubes, de chansons de charme et de blues européen, la maison de disques ayant constaté que Céline Dion vendait moins (300 000 environ) en version française et le mariage du succès avec le succès n'étant, tout compte fait, pas si absurde, la naissance de "D'eux" fut programmée pour le début du printemps. Depuis Jean- Jacques Goldman, qui, fâché avec la critique, avait pourtant renoncé aux entretiens avec la presse, et Céline Dion, qui fut habituée dès sa tendre enfance aux variétés télévisées, font de la promotion. Ensemble, ils expliquent dans une suite d'un grand hôtel parisien qu'il n'y a rien à dire. Il a été épaté par la voix de Dion et elle a fini par accepter des chansons "qu'il avait voulu écrire pour elle". Après réflexion, elle les avait senties à sa mesure.
Des contrées plus noires
Le feu vert obtenu, Jean-Jacques Goldman a donc concocté, en toute humilité, douze titres très goldmaniens à la jeune star de l'Amérique élargie : mélodies droites, battements de blues, pulsions secrètes de country et revendications affichées du blues blanc. Pour le coup, Céline Dion a poussé sa voix, qu'elle a effectivement exceptionnelle, vers des contrées plus noires. Elle remercie Jean-Jacques au passage de lui avoir apporté sur un plateau une partie d'elle-même qu'elle n'avait pas encore explorée. Sourire du chanteur discret, à la timidité parfois abrupte.
Pour elle, il aura tout fait (paroles, musique, arrangements, supervision, etc.) et même prêté Carole Fredericks pour les choeurs. Et accepté un duo très "rock joyeux", le seul de tout l'album ("J'irai où tu iras" : "J'aime tes envies, j'aime tes lumières, j'irai où tu iras, mon pays sera toi, qu'importe la place, qu'importe l'endroit"). Que demander de plus ? Rien. Céline Dion est comblée, jeune mariée (avec son manager) à qui un musicien talentueux et parolier de circonstance a offert des ballades amoureuses ("J'attendais") ou des gospels hexagonaux ("Prière païenne"). Goldman est-il heureux ? Oui : ils sont restés cabochards tous les deux, se protégeant des assauts conjugués des directeurs de produits des maisons de disques (en l'occurrence, ils ont la même : Columbia chez Sony) et des avis dissociateurs (mettre dans cet exercice de trapèze volant d'autres auteurs que Goldman, ou faire chanter untel ou untel). Ils ont ainsi évité l'album à deux, ne gardant que l'essentiel du propos : Dion sous le regard de Goldman. Ils n'ont pris l'un de l'autre que ce qu'ils ont bien voulu considérer comme étant le meilleur d'eux-mêmes. Si l'un avait tiré la couverture à soi, le bateau aurait dangereusement gîté. Mais dans un équilibre sans bavure, "D'eux" est devenu un produit artistiquement correct.
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