"Taratata", les ingrédients du succès
|
"Taratata", les ingrédients du succès
Le Monde, 15 mai 1995
Jean-Louis André
Retranscription de Monique Hudlot
De la conception à la réalisation, l'émission présentée chaque semaine par Nagui doit une part importante de sa réussite au réalisateur-musicien Gérard Pullicino.
Le générique est plutôt crypté. On y lit que "Taratata" est une émission "goupillée" par Nagui et "dégoupillée" par Pullicino. Traduisez : présentée par l'un et réalisée par l'autre. Comme l'animateur de "Que le meilleur gagne" et "N'oubliez pas votre brosse à dents" (également cosignés Pullicino) sait à propos se montrer et parler de lui, on oublie parfois que Gérard Pullicino, un des meilleurs metteurs en images de la télévision, est pour beaucoup, depuis la pénombre de sa régie, dans la facture et le succès de "Taratata". "J'ai pas mal participé à sa conception, se souvient-il. J'essaie d'intervenir toujours en amont des projets".
Les deux hommes se sont rencontrés il y a plus de dix ans. A l'époque, Nagui fait un peu de radio et travaille pour FR 3 sur la Côte d'Azur. Pullicino lui, revient de l'étranger, Etats-Unis et Allemagne, où il a fait ses premières armes comme assistant-réalisateur. "En fait, raconte cet ancien élève de l'Idhec, c'est la musique qui m'a amené à l'image. Quand j'avais quinze ans, j'étais batteur dans un groupe de rock qui connaissait un certain succès. Une équipe de télévision est venue tourner, trois jours durant, un reportage sur nous. J'ai été fasciné par leur travail, par le ballet des caméras, et j'ai décidé d'en faire mon métier".
Pullicino n'a jamais oublié pour autant sa première vocation : il continue à se définir comme un compositeur. Il a signé la musique de nombreux génériques, comme celui de "La Roue de la fortune", et celle du dessin animé "Les Mille et Une Nuits". Pour "Taratata", cependant, il s'est effacé devant Jean-Jacques Goldman : "C'est trop génial", s'excuse-t-il.
Mais au-delà de l'anecdote, c'est peut-être la double formation du réalisateur qui donne à "Taratata" son ton particulier. Dès les premières émissions, le principe était en effet arrêté. Plutôt que de montrer au public une classique séance de variétés, il s'agissait de restituer l'ambiance chaleureuse d'une répétition. Ce qui impliquait de faire vraiment jouer les artistes, de les "décontracter" de telle sorte qu'ils improvisent et se livrent : "La configuration du plateau s'est imposée naturellement, poursuit Pullicino. Les musiciens devaient être en cercle pour se regarder les uns les autres, comme ils le font entre eux. Il fallait du parquet, comme dans les vraies salles de répétition. Quant au public quatre cents personnes seulement, il ne pouvait que s'asseoir autour, en fer à cheval".
Une fois ce dispositif établi, les six caméras (trois fixes, une montée sur grue et deux portables) doivent rester aussi discrètes que possible. "Tout est mis en place l'après-midi avant que l'on commence à tourner. En fait, on laisse les artistes s'échauffer, se mettre à l'aise, régler les retours son sur le plateau comme ils le désirent. Ce n'est que lorsqu'on sent qu'ils sont prêts qu'on vient se greffer sur leur performance. De toute façon, à ce stade, je connais les morceaux qu'ils vont interpréter par coeur et j'ai écouté plusieurs fois leurs disques pour bien m'imprégner de leur style".
Pendant l'émission, le réalisateur-musicien s'attache à filmer ses anciens collègues au plus près. "Je sais par exemple que lors d'un solo de guitare, toute l'image doit se concentrer sur le regard et le mouvement des doigts. Le reste sera anecdotique". Encore faut-il ne pas manquer le moment où l'action se déclenche. "Taratata" est en effet tourné dans les conditions du direct, avec peu de montage et de post-production. Pour réagir rapidememnt, suivre le rythme et musicaliser l'ensemble, Pullicino s'est doté d'un outil particulier : "Un clavier qui remplace la console traditionnelle de commutation, explique-t-il. Pour changer de caméra, je ne pousse pas des boutons, je pianote sur des touches. Je peux réagir vite, en ayant l'impression d'accompagner la mélodie avec mes images".
Un éclairage qui sculpte l'espace, un son de qualité qui assume sa différence avec celui du disque, des cadres qui multiplient les angles de vue inattendus : "En fait, l'équipe n'a pas changé depuis le début, poursuit Pullicino. On se comprend au quart de tour sans avoir besoin de longues explications, ce qui me permet de gagner encore en rapidité". Le réalisateur est pourtant en train de former des jeunes pour assurer la relève. Car, en septembre, c'est décidé, le metteur en pages de "Taratata" se lance dans un premier long métrage pour le cinéma.
Retour au sommaire - Retour à l'année 1995