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Juste à manger et juste à boire
(La Croix, 19 février 1996)

Juste à manger et juste à boire
La Croix, 19 février 1996
Geneviève Jurgensen
Retranscription de Monique Hudlot

L'art engagé fatigue. Les artistes sont des êtres perméables et changeants, qui s'enflamment et s'éteignent, aiment et désaiment, étreignent et rejettent. Sensibles, ils détectent. Curieux, ils cherchent vite ailleurs. Naïfs, de cette naïveté précieuse qui protège le merveilleux, ils se trompent. Doués de vitalité, ils rebondissent. A chaque détour ils créent, car ils sont nés pour cela. Leurs emballements politiques ou sociaux nourrissent leur inspiration plus que leur réflexion. Il faut chérir leurs oeuvres et aller penser ailleurs.

De la chanson plus que tout on ne se méfiera jamais assez. "La victoire en chantant nous ouvre la barrière", c'est bien connu, mais certaines auraient bien dû rester hermétiquement closes. Un air rythmé, des paroles vigoureuses, de larges gorges entonnant en un mâle unisson les couplets dont la générosité anesthésie, et hop ! on est prêt à tuer et à mourir pour absolument n'importe quoi.

Quelquefois, la cause est à l'évidence bonne. "Aujourd'hui, on n'a plus le droit, ni d'avoir faim, ni d'avoir froid... Dépassé, le chacun pour soi, quand je pense à toi, je pense à moi... Je n'te promets pas le grand soir, juste à manger et juste à boire... Un peu de pain et de chaleur... Dans les Restos, les Restos du coeur…" J'étais tard dans la rue il y a quelques nuits quand, au moment de rentrer dans mon immeuble par un froid de loup, j'ai entendu un froissement long et régulier. Je me suis retournée : un homme chaussé de papier journal passait derrière moi. On ne commente pas.

Pourtant, jusqu'à samedi soir, où TF1 a consacré sa soirée à la célébration des dix ans de l'association caritative créée par Coluche, je me suis sentie en retrait. L'immense pauvreté qui surgit chez nous inspire ce que Rainer-Maria Rilke appelait "de grandes et multiples tristesses", auxquelles la lourdeur de Coluche répondait mal. Les paroles mêmes de la chanson, signées par Jean-Jacques Goldman, me semblaient confuses (de Goldman, je le dis en passant, écoutez une chanson plus ancienne encore, "Comme toi" : ce n'est pas une chanson militante, elle raconte l'histoire d'une petite fille qui "s'appelait Sarah et n'avait pas dix ans" [sic], on n'a rien chanté de plus doucement aimant et désespérant sur la Shoah, et tous ceux qui ont été atteints dans leurs enfants y entendront l'écho de leur inépuisable plainte).

Confuses, ces paroles ? Oui, parce que je suis trop cartésienne. Je ne vois pas pourquoi il faudrait promettre le grand soir aux gens, si l'on entend par là couper la gorge à ceux qui, justement, peuvent donner. Penser à soi en pensant aux autres ne me semble pas devoir rétrécir la portée de la générosité, mais au contraire signer ce désir essentiel de hisser l'homme vers une dimension où il reconnaîtra son identité. Et, derrière tout cela, j'admets de ma part une lassitude inspirée par ceux qui, comme Coluche, n'ont cessé de brocarder bourgeois et dames patronnesses tout en étant eux-mêmes pleins de pognon et promoteurs d'entreprises de patronage.

Eh bien, samedi soir, c'était vraiment réussi. Apparemment, les artistes avaient pensé à tout. Les chansons étaient des chansons d'amour, pas des chansons à pesant message. Des chansons de toujours, des chansons inspirées par des prénoms - "Céline", "Michèle" -, par la route - "On the road again", "Sur la route toute la sainte journée" -, des chansons d'hier et d'aujourd'hui. Les stars se mélangeaient, les petites, comme Mimie Mathy, les grandes, comme Yannick Noah. A genoux devant elle, nez à nez, il lui chantait : "Pour un flirt, avec toi, je ferais n'importe quoi…" J'écris ces deux noms mais aucun ne fut prononcé à l'antenne, et presque personne ne chanta son propre tube : on chantait les chansons des uns des autres. On n'occupait pas le devant de la scène, on s'accompagnait, on faisait les choeurs, les guitares, et on avait bien répété, ça n'avait pas cette allure d'improvisation bâclée qui me choque car elle sous-entend : "Soyez contents que je sois là, vous n'allez pas en plus me demander de préparer". Des chanteurs qui, certainement, dans la vie courante, n'appartiennent pas aux mêmes cercles se faisaient la courte échelle. Des très, très confirmés, comme Céline Dion, des carrément balbutiants, comme Ophélie Winter. Il régnait sur le plateau un climat de trêve. Et puisque cela faisait dix ans déjà, on nous montrait des clips de la bonne époque. Ce chanteur-là avait encore des cheveux, cet autre était moins gros. Michel Berger vivait.

De son côté, TF1 ne s'était pas contentée d'ouvrir son antenne à une soirée qui réunirait plus d'un téléspectateur sur deux. Je me suis aperçue assez tard, alors que je cherchais les raisons du plaisir ressenti, que l'image était plus jolie que d'habitude. Soudain, j'ai remarqué que le logo de la chaîne avait été absent de l'écran toute la soirée. On n'avait pas annoncé les artistes, la chaîne ne s'était pas annoncée non plus. Ce que chacun avait pu faire pour échapper au mélange de la charité et du business, chacun l'avait fait.


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