Les phénomènes de la chanson française
|
Les phénomènes de la chanson française
Capital n° 62, Novembre 96, pp 74-75
Emmanuel Legrand
Retranscription de Jean-Michel Fontaine
Le champion des ventes Chanteur, compositeur, Jean-Jacques Goldman est une PME à lui tout seul
Le leader de la variété tricolore est aussi un parolier et un arrangeur de mélodies très recherché. Et il sait gérer son succès...
"Céline Dion, c'est quand elle veut !" C'est par cette formule abrupte, fort peu dans son personnage, que Jean-Jacques Goldman, face aux responsables de Sony France, exprima en 1994 son désir de travailler avec la diva québécoise. Deux ans plus tard, "D'Eux", l'album né le leur collaboration (il a été écrit, composé et réalisé par le Français), s'est déjà vendu à 6 millions d'unités (dont 3 millions en France). Record du mande pulvérisé pour un artiste francophone. Même les Anglais (qui ont acheté 200 000 exemplaires du CD, soit un double disque d'or) en redemandent.
Numéro 1 incontesté de la chanson française, Jean-Jacques Goldman possède ce que les Américains dénomment "la Midas touch", l'art de transformer tout ce qu'il touche en or. Premier artiste, en ventes cumulées, de ces quinze dernières années, ses albums solo et ses trios avec Carole Fredericks et Michael Jones ont dépassé le million d'exemplaires. Adulé à la fois par les ados, leurs mères et leurs grand-mères, J.-J. G. est, selon Monique Le Marcis, la responsable de la programmation musicale de RTL, "le seul artiste transgénérations actuel".
Jean-Jacques Goldman est aussi un compositeur et parolier à succès. "Gang", l'album qu'il a mitonné pour Johnny Hallyday en 1987, s'est vendu à plus de 600 000 exemplaires. Ecrites sous le pseudo de Sam Brodsky [sic], ses chansons pour Patricia Kaas ou Florent Pagny ont cartonné. "Aïcha", le titre taillé dans le diamant pour Khaled, est au sommet du top.
En France, où les succès et les traversées du désert alternent (comme l'attestent les carrières en dents de scie de Patrick Bruel ou de Renaud), une telle longévité est unique. D'autant que, très secret, avare de ses interviews, n'étalant jamais sa vie privée dans les magazines, Goldman refuse le jeu du star-system.
"C'est le triomphe de la simplicité sur l'esbroufe", commente Henri de Bodinat, l'ancien patron pour la France de Sony Music (ex-CBS), la maison de disques à laquelle l'artiste est fidèle depuis quinze ans.
-------------------------------------------------- Robert, le frère, est l'homme orchestre de la PME. --------------------------------------------------
Antistar et millionnaire, tel est devenu le gratouilleur de guitare du groupe Taï Phong. Car la PME Goldman (quatre personnes) génère un chiffre d'affaires variant, au gré des ans, entre 25 et 40 millions de francs. "Mon organisation ? Je fais confiance aux services promotion et marketing de Sony Music. Mon frère se charge des tournées et de la paperasse avec un assistant et une secrétaire", résume, lapidaire, Jean-Jacques Goldman. Bien que diplômé de gestion (il a été élève de l'Edhec à Lille), J.-J. G. ne s'occupe que de la partie artistique. A la fois manager, négociateur, gérant-comptable, coordinateur des tournées et filtre des sollicitations extérieures, Robert, le frère aîné, est l'homme orchestre de la PME. C'est lui qui, en 1994, a re-négocié avec Sony le contrat de l'interprète de "Quand la musique est bonne".
Un fabuleux contrat, sans équivalent en France. Le précédent accord octroyait à l'artiste un niveau de royalties (pourcentage touché sur le prix de gros du disque), déjà exceptionnel, de 32 %. En moyenne, un jeune chanteur touche des royalties de 6 à 8 %. Et une star confirmée dépasse à peine les 20 %. Or, voici deux ans, Robert Goldman a renégocié à la hausse (entre 37 et 38 %) les royalties de son frère.
Traduction : pour chaque CD vendu par Sony à un détaillant (80 francs), Goldman touche de l'ordre de 25 à 30 francs. Comme il vend, en moyenne, un million d'albums, cela donne une idée du pactole ainsi amassé. "Je ne suis pas un bon négociateur. Je négocie pour un bon chanteur. Nuance...", avance, pour tout commentaire, Robert Goldman.
Contrepartie de ce "contrat en or", l'ensemble des "masters" - les bandes des enregistrements - appartient à la maison de disques et non à l'artiste. Si, d'aventure, Goldman souhaitait changer de maison de disques, il laisserait son catalogue chez Sony Music. Mais ce n'est pas tout. A ces royalties s'ajoute le pourcentage (9 %) versé par Sony pour chaque disque pressé à la SDRM (Société pour l'administration du droit de reproduction mécanique). Il s'agit d'un droit d'exécution publique touché par tout auteur, compositeur ou éditeur chaque fois qu'un de ses titres est joué à la radio, à la télévision ou dans un lieu public. J.-J.G. possédant l'ensemble de ces casquettes, on estime qu'il double quasiment les revenus provenant de la vente de ses disques.
Cette manne financière n'a pas trop perturbé un chanteur restant obstinément en marge d'une industrie de la musique qu'il juge trop dépendante des médias ". Fidèle soutien d'associations caritatives (Amnisty Internationa1, Les Restos du coeur), Jean-Jacques Goldman n'a rien changé de son mode de vie. Contrairement à un Johnny Hallyday, résidant à Neuilly, il habite toujours un pavillon de banlieue à Montrouge. Et, aux costumes Hugo Boss et Armani, il préfère toujours le jean et le blouson de cuir.
[Note de Jean-Michel : Dans ce très intéressant dossier de Capital, on peut également noter que les cinq meilleures ventes d'artistes étrangers en France en 1995 sont :
01. D'eux (Céline Dion) 02. No need to argue (The Cranberries) 03. HIStory (Michael Jackson) 04. MTV Unplugged (Nirvana) 05. Made in Heaven (Queen)
et que les cinq meilleures ventes de Français en France depuis 1994 sont :
01. Samedi soir sur la Terre (Francis Cabrel) 02. Chants et danses des Indiens (Indians Sacred Spirit) 03. Du New Morning au Zénith (FGJ) 04. Lorada (Johnny Hallyday) 05. Paroles d'hommes (Johnny Hallyday)
On constatera donc que JJG est "coupable" de la meilleure vente d'artistes étrangers en France, et que parmi les cinq premiers Français, il est mêlé à trois d'entre eux !
Retour au sommaire - Retour à l'année 1996