Khaled
|
Khaled
Le Monde, 14 mars 1997
Stéphane Davet
Retranscription de Monique Hudlot
Porté par le succès d'"Aïcha", Khaled atteint sa maturité musicale à l'Olympia. Le chanteur de raï, qu'on n'appelle plus "cheb" (le jeune), entame une tournée en France.
Cette semaine, l'Olympia fera salle comble pour accueillir la star du raï moderne. Fidèle à la célébration de l'ivresse amoureuse, Khaled a enrichi ses racines sahariennes d'influences qui vont de la Jamaïque à la chanson française. Chanteur exceptionnel, il a enthousiasmé les spectateurs parisiens comme il a récemment emballé le Top 50 avec "Sahra", son dernier album, et son tube, "Aïcha", signé Jean-Jacques Goldman.
A l'Olympia, où Khaled a élu domicile jusqu'au 16 mars, la foule entre un peu plus lentement que d'habitude. Un service de sécurité fouille discrètement les spectateurs. Star mondiale de la musique algérienne, l'Oranais ne s'exprime que très rarement sur la situation de son pays. Mais le seul fait de chanter le raï, cette célébration de l'ivresse amoureuse et du spleen, peut apparaître à certains comme une provocation. Plusieurs artistes déjà l'ont payé de leur vie.
Le sourire éternellement éclatant du chanteur brave à lui seul les interdits religieux et ceux des doctrines militaires. Comme pour conjurer ces angoisses et partager des envies de fête, Khaled entamera son récital en traversant son public. Si des familles entières sont assises au balcon, les plus jeunes se sont massés debout à l'orchestre. Micro à la main, le chanteur croise des enfants du Maghreb et beaucoup de visages plus pâles. Entre youyous et vivats, la gent féminine impose bruyamment son enthousiasme. Depuis qu'en 1992 "Didi" a connu un succès planétaire, Khaled a rassemblé une audience bien plus large que celle habituellement rêvée par les artistes de world music. Au-delà de ce tube, le musicien arabe s'est construit une carrière et un répertoire qui ont brillamment profité des nouvelles technologie et des métissages.
Sorti il y a quelques semaines, "Sahra", son album le plus récent, s'est déjà vendu à près de deux cent mille exemplaires, porté par l'impressionnant triomphe d'"Aïcha", ritournelle signée Jean-Jacques Goldman, écoulée en France à plus d'un million de singles.
Dans un décor de cabaret oriental s'est installé un groupe de neuf musiciens, symbole de la maturité de celui qu'on n'appelle plus cheb ("le jeune"). On pourra juger envahissant certains sons de synthétiseurs et une poignée de solos de guitare, mais les accompagnateurs du héros de la soirée évitent les pièges de la modernité toc dans lesquels tombent encore trop de groupes de raï. Guidés par la cohérence d'un groove organique, les instrumentistes fusionnent les racines multiples de cette musique métisse.
Derbouka et violoncelle, accordéon et ordinateurs, flûte et basse, cuivres et guitare invitent au voyage. Les mélodies bédouines se marient aux saccades jamaïquaines, les pulsions funk ondulent sur une danse des sept voiles. Flamenco, calypso et variété française s'embrasent en une seule torche. La sophistication de ces mélanges n'empiète jamais sur leur efficacité intuitive.
Comme s'il avait toujours eu du mal à passer de l'étroitesse des scènes de cabaret de ses débuts aux plateaux qu'implique aujourd'hui son statut de vedette, Khaled donne souvent l'impression de ne savoir quoi faire de son corps. Sur les planches, il se déplace avec maladresse, marche comme un canard ou danse à contretemps. Bredouillant, tout sourire, quelques remerciements, sa timidité ne lui laisse pas non plus le temps de dialoguer avec son public. Tout cela n'a finalement aucune importance puisque son chant a décidé de tenir tous les rôles.
Cette fois encore, son timbre voilé, sa rudesse villageoise nimbée de grâce princière, sa gouaille de titi oranais, ont transcendé chaque chanson et communiqué aux spectateurs l'envie de partager son enthousiasme. Pendant des morceaux de bravoure comme "Didi", "N'ssi N'ssi" ou "Chebba", tout l'Olympia danse et frappe dans ses mains. La simplicité fédératrice d'"Aïcha", seule chanson en français de son répertoire, permet aux fans de reprendre chaque mot en choeur. Au point que, au second rappel, Khaled cédera à la facilité de remettre le couvert.
Retour au sommaire - Retour à l'année 1997