Jean-Jacques Goldman : "Le bonheur est obscène"
|
Jean-Jacques Goldman : "Le bonheur est obscène"
Télé 7 jours, 7 octobre 1997
Fabrice Guillermet
La déferlante des musiques rap et techno ne lui a pas volé l'affection de son public. Et s'il ne chante jamais " je t'aime ", Goldman se dévoile pudiquement "En passant". Confession.
Télé 7 jours : Nouveau disque et nouvelle formule. Exit le trio Fredericks, Goldman, Jones. Revoilà, avec "En passant", Jean-Jacques Goldman qui marche seul.
Jean-Jacques Goldman : J'ai une véritable vénération pour les chansons. Ce sont toujours elles qui priment. Pendant un temps, ce que j'écrivais prenait naturellement la forme de duos ou de trios. Aujourd'hui, c'est plus intimiste. Mais Carole et Michael sont présents sur ce disque.
Fabrice Guillermet : Intimiste et plus personnel. Vous arrivez enfin à chanter : "je t'aime" ?
Jean-Jacques Goldman : Non, dans "Sache que je", je tente plutôt d'expliquer pourquoi je ne parviens pas à le dire !
Fabrice Guillermet : Dans une autre chanson, "Bonne idée", vous faites un petit inventaire à la Prévert de ce qui vous touche. Pêle-mêle : Johnny Winter, Frédéric Dard ou le rugby et les routes. Vos petits bonheurs ?
Jean-Jacques Goldman : Toutes les raisons de trouver une journée belle. Winter est le guitariste qui m'a le plus influencé. J'aime dans le rugby les notions de solidarité. C'est bien plus qu'un sport. Tout le monde a sa place. Les gros, les grands. les petits, les lents, les rapides. J'aime les routes de traverse qui mènent à une destination inconnue. Quant à Frédéric Dard, il s'approprie les mots, les triture comme personne. Et derrière sa truculence, il y a de la générosité, de l'humanité à chaque ligne.
Fabrice Guillermet : Ces dernières années, vous avez consacré votre temps à écrire pour les autres, Céline Dion, Khaled...
Jean-Jacques Goldman : Ecrire des chansons est ce qui m'importe le plus. Je ne suis que l'un de mes interprètes, privilégié certes.
Fabrice Guillermet : N'avez-vous pas envie de garder certaines chansons pour vous quand vous écrivez pour les autres ?
Jean-Jacques Goldman : Je me sers en premier, je suis pistonné. Mais c'est rare parce que, quand je travaille pour d'autres, c'est vraiment pour eux. Je ne puise pas dans un stock. Sauf quelques exceptions comme "La Mémoire d'Abraham" pour Céline Dion. Je l'avais écrite dix ans plus tôt. M'étant vite aperçu qu'elle n'était pas pour moi, j'attendais, depuis, le bon interprète.
Fabrice Guillermet : Comment avez-vous procédé pour "Aicha", à ce jour le plus gros succès de Khaled ?
Jean-Jacques Goldman : S'il avait décidé de faire appel à moi, d'autant plus qu'il est un bon compositeur, ce n'était pas pour que je m'engouffre dans son registre. Depuis longtemps je pensais qu'il pouvait flirter avec un reggae-soul, entre Marvin Gaye et Bob Marley. J'ignorais qu'au même moment, il avait commencé à collaborer avec des musiciens jamaïcains.
Fabrice Guillermet : Est-il vrai que si des amis ne vous avaient pas poussé à chanter vous-même vos premières chansons, vous ne seriez pas devenu chanteur ?
Jean-Jacques Goldman : Je n'y avais même pas songé. La difficulté pour moi de correspondre avec les autres m'a poussé à écrire des chansons. Me mettre en avant ne m'a jamais attiré. A l'école, c'était déjà ainsi. Aujourd'hui encore, ce n'est pas ma nature, je ne suis pas très à l'aise en société. En trio, je me sentais moins devant.
Fabrice Guillermet : Monter sur scène doit être une véritable épreuve !
Jean-Jacques Goldman : Au début, j'étais obligé de prendre des médicaments ! Aujourd'hui, les gens dans la salle ne sont plus tout à fait des inconnus. C'est très rassurant.
Fabrice Guillermet : Certains de vos confrères disent que vous êtes le chanteur français qui connaît le mieux son public.
Jean-Jacques Goldman : Il m'arrive de m'installer au milieu de la salle, incognito pendant les premières parties, avec un imper et un bonnet. Ce sont des gens globalement plutôt intégrés dans la société, des étudiants, des gens qui ont un emploi, pas des marginaux ni des rebelles. Ils savent se débrouiller assez bien avec les règles de la société.
Fabrice Guillermet : Un peu à votre image ?
Jean-Jacques Goldman : Peut-être. Le seul moyen de ne pas être le jouet de ces règles, c'est de les maîtriser. Ma génération est bourgeoise, formatée, éduquée. Les enfants à deux jus d'orange par jour. Pas vraiment des victimes.
Fabrice Guillermet : N'y a-t-il pas là un peu de cynisme ?
Jean-Jacques Goldman : De réalisme plutôt. La plus grande injustice n'est pas tant celle de l'argent que celle de l'accès à la culture.
Fabrice Guillermet : On dirait que ceux qui vous suivent aujourd'hui ne sont plus si jeunes ?
Jean-Jacques Goldman : Nous vieillissons ensemble. Mes enfants écoutent résolument autre chose. De la techno, du rap. Ils prêtent une oreille à ce que je fais pour me faire plaisir !
Fabrice Guillermet : Que vous disent ceux que vous rencontrez à la sortie de vos concerts ?
Jean-Jacques Goldman : Qu'ils se reconnaissent dans mes mots.
Fabrice Guillermet : Voilà une sacrée responsabilité.
Jean-Jacques Goldman : Je ressens plutôt cela comme un cadeau en retour. Je suis touché à mon tour de les savoir touchés.
Fabrice Guillermet : Eprouvez-vous une répugnance face à l'engagement ?
Jean-Jacques Goldman : Plutôt à en parler. Quand j'évoque l'engagement, comme dans 1'album "Rouge", c'est celui de mes parents. Rappeler qu'avant d'être bafoués par des gens malhonnêtes, leurs idéaux étaient sincères, généreux.
Fabrice Guillermet : Que devez-vous à vos parents ?
Jean-Jacques Goldman : Je suis le fruit de ce qu'ils ont été. De leur histoire, de leur fierté d'être devenus français après leur exil douloureux. Je suis le fruit de la société française, de l'école de la République. Et aussi de leurs accents, de leurs traditions, de leurs langues. De ces mélanges.
Fabrice Guillermet : A l'inverse de certains de vos confrères, vous n'avez jamais cédé au charme de Mitterrand.
Jean-Jacques Goldman : Je ne lui ai jamais fait confiance. A part un soutien à Michel Rocard, démarche anti-mitterrandiste, mon seul acte politique est celui d'un simple citoyen, le vote.
Fabrice Guillermet : Dans cette méfiance à l'égard de l'engagement, n'y a-t-il pas aussi la trace de cicatrices qui ne se referment pas ? (NDLR: La mort de son demi-frère Pierre Goldman, intellectuel et militant d'extrême gauche).
Jean-Jacques Goldman : Malheureusement, le temps cicatrise tout. Pour Léo Ferré, il a même raison de l'amour, cette cicatrice que l'on croit toujours ouverte. J'ai de la tendresse pour les blessures. La vie vaut d'être vécue aux blessures qu'on s'y fait.
Fabrice Guillermet : Vous semblez préférer les défaites aux victoires.
Jean-Jacques Goldman : Je ne saurais pas raconter une histoire d'amour heureux. Le bonheur est obscène plus encore que le malheur. La seule chose racontable, c'est ce qui nous fait tous entrer en connivence. Les grandes douleurs, les grands bonheurs, quoi qu'on en dise, nous séparent, ne peuvent se partager.
Propos recueillis par Fabrice Guillermet Photo Claude Gassian
Retour au sommaire - Retour à l'année 1997